59 ans après, la République est entrée en pleines zones de turbulences

59 ans après, la République est entrée en pleines zones de turbulences

 

Aujourd'hui, la Tunisie célèbre le 59e anniversaire de la République, dans un nouveau contexte marqué par l'adoption d'une nouvelle Constitution de janvier 2014 qui a remplacé celle de juin 1959, l'instauration de nouvelles institutions issues d'élections libres et transparentes organisées fin 2014 et l'engagement du pays dans un processus démocratique qui se veut irréversible.

Un contexte qui tranche avec celui des premières années de l'indépendance marquées par d'autres soucis, ceux d'un pays exténué par 75 ans de colonisation, pauvre et sans ressources et dont la seule arme était la volonté de son peuple en osmose avec celle des leaders de l'indépendance autour de « son combattant suprême », Habib Bourguiba.

Quand le Bey « signa » la fin de son règne !

Aux origines, il y a ce décret beylical promulgué le 29 décembre 1955, appelant à l'élection d'une Assemblée nationale constituante pour le 25 mars 1956, ayant pour but de doter le royaume d'une Constitution. En signant ce texte, Mohamed Lamine Bey, dernier monarque husseinite, n'avait pas imaginé un seul instant qu'il signa en même temps la fin d'une dynastie qui a régné sur le pays plus de deux siècles et demi (252 ans exactement). Ledit décret comporte trois dispositions. Il convoque une Assemblée nationale constituante pour le 8 avril 1956. Il précise ensuite que cette Assemblée devra être élue au suffrage universel direct et secret et stipule, enfin, que cette même Assemblée sera chargée d'élaborer une Constitution pour la monarchie, laquelle « constitution sera revêtue du sceau du Bey ».

Depuis, les choses se sont précipitées avec d'abord la victoire du Front national composé du Néo-Destour dirigé par Habib Bourguiba, de l'Union générale tunisienne du travail, de l'Union tunisienne de l'agriculture et de la pêche et de l'Union tunisienne de l'industrie, du commerce et de l'artisanat, qui remporte la totalité des 98 sièges. Cette victoire devra assurer une bonne marge de manœuvre à Bourguiba qui n'a jamais pris la famille beylicale dans son cœur, coupable, d'après lui, de tout ce qu'avait enduré le peuple tunisien durant la période coloniale. Il pesa de tout son poids pour amoindrir les pouvoirs du Bey et orienter les débats vers la suppression de la monarchie.

Elu président de la Constituante, il n'y resta finalement que quelque trois jours se voyant proclamer par cette même Constituante président du Conseil le 11 avril 1956. Commença alors un transfert méthodique des pouvoirs du Bey vers le président du Conseil. Ce fut le début de la déchéance du Bey isolé dans son palais sans contact avec les membres de l'Assemblée. D'après certains de ses compagnons, « Bourguiba avait dans l'esprit de proclamer la République le 1er juin 1957 », date symbole pour tous les Tunisiens qui coïncide avec « le retour triomphal du combattant suprême » de son exil français. Mais certains événements survenus entre temps avec l'ancien pays colonisateur avaient retardé l'échéance.

Force est de souligner que la commission chargée de préparer le projet de la Constitution avait, au départ, opté pour une monarchie constitutionnelle, conformément au décret de décembre 1955. D'ailleurs, l'article premier qui avait à l'époque suscité un débat intense, notamment, autour de la place de l'Islam et s'il devait être défini comme religion du nouvel Etat, stipulait dans sa première mouture, que la Tunisie est « une monarchie constitutionnelle dont la devise est liberté, ordre et justice ». Mais au fur et à mesure de l'avancement des travaux, des voix commencent à s'élever pour critiquer parfois avec véhémence la monarchie et la rendre responsable de tous les maux du pays. Une manière de discréditer le Bey et de précipiter sa chute.

L'histoire s'accélère alors, et le 25 juillet 1957 Bourguiba convoque une réunion conjointe entre le bureau politique du Néo-Destour dont il est le président et le Conseil des ministres pour décider de proposer à l'Assemblée nationale constituante une résolution ayant pour objectif de dissoudre la monarchie, de proclamer la République et de désigner Habib Bourguiba comme chef de l'Etat avec le titre de président de la République. La résolution lue par le président de l'Assemblée, Jalouli Farès, fut adoptée à l'unanimité. C'était jeudi 25 juillet 1957 à 18.h00.

Qui veut donc faire avorter l'avènement de cette deuxième République ?

Ceci pour l'histoire. Et il serait, peut-être, fastidieux de revenir sur les différentes péripéties de la jeune République tunisienne et les faits marquants de ces 58 dernières années. Ni sur les heurs et malheurs du peuple tunisien au cours de cette période. Laissons cette tâche aux historiens et autres analystes de tout acabit. Et concentrons-nous sur cette IIe République dont on espère beaucoup qui vient d'être instaurée suite aux élections législatives d'octobre 2014 et l'élection présidentielle de novembre et décembre de la même année et qui ont mis fin à une période provisoire qui a duré plus que prévu. Période marquée par plusieurs événements qui ont failli faire chavirer « la barque Tunisie », avec trois assassinats politiques, l'émergence du phénomène du terrorisme directement et indirectement encouragé par le laxisme des différents gouvernements et des difficultés sociales et économiques.

Partie pour être un exemple à méditer et à suivre, cette Tunisie est en pleine zone de turbulences par la faute de ses enfants. Plus de cinq ans et six mois après le 14 Janvier 2011, les difficultés s'amoncellent et on navigue à vue. Pourtant, les élections de 2014ont soulevé un immense espoir auprès des Tunisiens classés parmi les peuples les plus pessimistes du monde. La situation n'incite guère à l'optimisme.

La situation sécuritaire, sociale et économique n'est pas en reste. La restauration promise de l'autorité de l'Etat se fait attendre et les indicateurs sont pour la plupart au rouge. Le taux de chômage grimpe, le déficit économique s'aggrave, la précarité s'installe et l'on est beaucoup plus dans une « approche misérabiliste » de la situation sociale. Le double langage dans les positions de certains hommes politiques beaucoup plus soucieux de leurs intérêts partisans, ajoute à cette situation intenable, au moment où l'on s'attendait à une forte mobilisation de la classe politique, de la société civile et des médias pour assurer les conditions idoines au passage à cette IIe République.

Qui veut donc faire avorter l'avènement de cette deuxième République ? Tout le monde accuse tout le monde et le peuple semble être le dindon d'une farce, une farce écrite et jouée par des politiciens, survenus de nulle part, sans envergure et sans vergogne, dont le discours se trouve relayé par une certaine presse en mal de repères, et qui entraînent dans leur sillage une partie de la population, souvent de bonne foi parce qu'ignorant les vrais desseins d'un projet diabolique visant à casser ce processus tant espéré et souhaité. Ce climat de suspicion entre les acteurs de la vie politique et ces accusations qui fusent de partout ne font que semer le doute dans les esprits, renforcer la méfiance des Tunisiens vis-à-vis des partis, en général, et des hommes politiques, en particulier.

En dépit de ce sombre tableau, l’espoir est permis. Le peuple tunisien qui, l e25 juillet 1957, fêta l’avènement de la République dans la joie et l’allégresse, saura, sans nul doute,  « être au rendez-vous de l’histoire », pour reprendre une citation chère à Habib Bourguiba,, pour instaurer cette deuxième République  sur les valeurs pour lesquelles ses enfants ont donné leurs vies : « dignité, liberté, justice et égalité ».

Brahim OUESLATI

 

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