74ème anniversaire de sa destitution : Moncef Bey, le souverain patriote

74ème anniversaire de sa destitution : Moncef Bey, le souverain patriote

 

Ce 15 mai marque  le 74ème anniversaire de la destitution du seul monarque patriote de la dynastie Husseïnite (1705-1957), Sidi Moncef Bey. Durant son court règne qui ne dure que moins de onze mois (19 juin 1942-15 mai 1943), l’avant dernier monarque de cette dynastie, tente en pleine seconde guerre mondiale d’affirmer son indépendance vis-à-vis des autorités de Vichy dont dépend la Tunisie, tout en protégeant sa population des conséquences du conflit. Il est dans le même temps l’un des principaux soutiens au mouvement nationaliste tunisien. Alors qu’on exigeait de lui d’imposer le port de l’étoile jaune par les juifs de Tunisie, il avait refusé en faisant savoir que ces derniers sont ses sujets au même titre que leurs compatriotes musulmans.

Né le 4 mars 1881, quelques mois avant la proclamation du Protectorat , Moncef Bey, fils et petit fils de Beys du trône (Naceur Bey et Mhamed Bey) s’illustre dans sa jeunesse en jouant un rôle politique important, notamment en soutenant les revendications des membres du parti Destour d’Abdelaziz Thaalbi et ses compagnons. Il fait recevoir les représentants du parti nationaliste par son père Naceur Bey. Pour lui, son attitude est tout à fait légitime car il se fonde sur le Pacte fondamental de 1857 où la Tunisie est considérée comme un pays souverain protégé par la France mais non colonisé, malgré les Conventions de la Marsa signées en 1883. Il est investi prince héritier le 30 avril 1942 et succède à son cousin Ahmed II Bey le 19 juin de la même année. Une fois sur le trône, son attitude n’est pas de nature à plaire à la France qui a l’habitude de souverains plus malléables.

Ainsi, dans un mémorandum du 2 août 1942 présenté par son Premier ministre Hédi Lakhoua et adressé au maréchal Pétain, il met en avant plusieurs revendications visant à raffermir la souveraineté tunisienne aux côtés de la souveraineté française : il demande notamment l'institution d’un Conseil consultatif de législation où les Tunisiens seraient largement représentés, l'accession des Tunisiens à la fonction publique, la lutte contre la misère et le chômage, la représentation des corporations et corps de métiers au sein des comités économiques, la participation des Tunisiens au contrôle des recettes et dépenses budgétaires, la refonte de l’administration centrale, la libre acquisition de la propriété rurale par les Tunisiens, l'instruction obligatoire avec enseignement de l'arabe ou encore la nationalisation des entreprises présentant un intérêt général.

Le 12 octobre 1942, au cours de la cérémonie de l’Aïd el-Fitr au palais de la Marsa, Moncef Bey exprime son étonnement de voir qu’aucun Tunisien ne figure parmi les chefs de l’administration venus avec le résident général, l’amiral Jean-Pierre Esteva. Ce dernier lui répond que « seuls les Français sont aptes aux postes de commande ». Moncef Bey s’empresse d’envoyer un télégramme au maréchal Pétain dans lequel il exige le rappel d’Esteva. Cependant, la tension ne cesse d’augmenter entre Moncef Bey et le résident général. Dans un geste de défi, le souverain reçoit alors le consul général des États-Unis, Hooker Doolittle.

Les troupes de l’Axe débarquent en Tunisie le 19 novembre 1942 et l’offensive anglo-américaine transforme la Tunisie en champ de bataille. Après des consultations, et face aux demandes contradictoires de Pétain l’appelant à s’aligner sur la France et du président américain Franklin Roosevelt lui demandant le libre passage des troupes alliées en Tunisie, Moncef Bey proclame la neutralité de son pays dans le conflit, même s'il informe Roosevelt dans un message secret du ralliement de la Tunisie aux alliés. Moncef Bey refuse, dans cette conjoncture, l’offre de l’ambassadeur italien Bombieri d’annuler le traité du Bardo signé avec la France et d’en conclure un autre avec l’Italie, qui a alors des visées sur la Tunisie.

Lors d’un conseil des ministres tenu à la fin décembre 1942, un incident éclateentre le résident général Esteva et le ministre de la Justice Abdeljelil Zaouche, ce ministre ayant fait des réserves au sujet d’une attribution de crédits à la gendarmerie nationale française. Esteva s’élève sévèrement contre l’attitude du ministre et déclare qu’il n’admet aucun reproche contre la gendarmerie. Mis au courant de l’incident, Moncef Bey se considère offensé en la personne de son représentant.

Le 1er janvier 1943, Moncef Bey nomme M'hamed Chenik, qualifié de « demi-américain » par le représentant allemand Rudolf Rahn, à la tête d’un gouvernement associant le destourien Salah Farhat, le néo-destourien Mahmoud El Materi et une personnalité indépendante, Aziz Djellouli.

À l’approche des troupes alliées de Tunis, Esteva exige de Moncef Bey qu’il décore du Nichan Iftikhar (la médaille de l’honneur) des officiers français dont le colonel Sarton du Jonchay envoyé en Tunisie pour organiser une « légion tricolore » appelée à se battre aux côtés des troupes allemandes et italiennes, en dégageant le souverain « de toute responsabilité » .

À la libération, le lobby colonial, autour du général Henri Giraud et comptant notamment l’ancien résident général et ministre vichyste Marcel Peyrouton, trouve un prétexte pour accuser le souverain de collaboration avec les forces de l’Axe. Le 13 mai 1943, sur ordre de Giraud, le général Alphonse Juin devenu résident général à titre temporaire après la fuite d’Esteva, lui demande d’abdiquer, ce que le bey refuse : « J’ai juré de défendre mon peuple jusqu’à mon dernier souffle. Je ne partirai que si mon peuple me le demande ».

Le lendemain, on l’embarque dans un avion de l’armée de l'air française alors que sa déposition par une ordonnance de Giraud est annoncée. Dans ses mémoires, Juin confirmera qu’il a reçu des directives exigeant cette déposition « pour de prétendus faits de collaboration avec les puissances de l’Axe au cours de l’occupation et aussi pour les complaisances un peu trop marquées qu’on lui prêtait envers les agissements du Destour, parti nationaliste militant ouvertement hostile au protectorat ».

Son cousin Lamine Bey lui succède le 15 mai 1943. Ce dernier sera le dernier monarque de la dynastie husseinite. Installé d’abord à Laghouat dans le Sud algérien, il abdique officiellement le 8 juillet 1943 et se voit exilé à Ténès, petite ville côtière dans le nord de l’Algérie, dans des conditions difficiles ; il est transféré le 17 octobre 1945 à Pau, dans le sud de la France où il réside jusqu’à sa mort le 1er septembre 1948. Il est alors rapatrié et inhumé, avec les honneurs dignes d’un martyr, sur les hauteurs du cimetière du Jellaz à Tunis, où il a demandé à être inhumé contrairement à la majorité des souverains husseinites qui sont enterrés à Tourbet El Bey situé dans la médina de Tunis.

Moncef Bey est considéré comme le protecteur des Juifs. Alors que son prédécesseur réputé être « le bey des Français », Ahmed II Bey, signe plusieurs textes proposés par les autorités vichystes et visant la communauté juive, Moncef Bey met tout en œuvre pour empêcher leur application et refuse tout nouveau texte allant dans le même sens, notamment sur le port de l’étoile jaune, l’instauration du travail obligatoire ou l’exclusion des Juifs de la vie économique. Durant la présence en Tunisie des troupes de l’Axe, de novembre 1942 à mai 1943, il intervient régulièrement pour protéger la population, en particulier les Juifs, chaque fois qu’elle est exposée aux exactions des forces occupantes.

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