Abdelmajid Mselmi: "Le directeur nommé par le ministre de la Santé à Sfax n’a pas les compétences requises"

Abdelmajid Mselmi: "Le directeur nommé par le ministre de la Santé à Sfax n’a pas les compétences requises"
 
 
Depuis 6 mois, une grave crise secoue l’hôpital Habib Bourguiba de Sfax. Le syndicat du personnel paramédical s’oppose à la nomination d’un médecin militaire à la tête de l’hôpital. La situation a empiré après le limogeage de quatre responsables syndicaux qui seront traduits devant le conseil de discipline.
 
En réaction à cette mesure jugée répressive, un mouvement de grève est annoncé par le syndicat les jours prochains. Parallèlement, des négociations ont été entamées, parrainées par le ministre des Affaires sociales pour résoudre ce conflit qui s’est prolongé plus qu’il ne faut.
 
Pour donner un éclairage sur ce conflit, nous avons eu cette interview avec le Docteur Abdelmajid Mselmi, ancien responsable syndical hospitalo-universitaire, membre du front populaire qui a longtemps été auparavant un fidèle compagnon de route d’Ahmed Néjib Chebbi, au sein du PDP. Récit de cette rencontre !
 
Espacemanager: Pourquoi la nomination d’un nouveau directeur à l’hôpital Habib Bourguiba de Sfax a-t-elle autant dérangé?
 
Abdelmajid Mselmi: Une large opinion à l’hôpital Habib Bourguiba de Sfax soutient que le directeur désigné n’a pas les compétences requises pour diriger un grand centre hospitalo-universitaire (CHU) comme celui de Sfax. De ma part et avec tout mon respect à mon confrère, je partage l’avis du syndicat. Je n’en doute pas qu’il est un bon médecin mais la gestion d’un méga hôpital est une autre affaire.
 
Depuis 1994 et la transformation des hôpitaux universitaires en établissements publics de santé (EPS) suite à la réforme du feu Dali Jazi, un consensus a été établi: le directeur général ne peut être un médecin, il doit être un gestionnaire formé en la matière et ayant des diplômes de gestion et de management (souvent des énarques). 
 
Les médecins participent à la gestion de l’hôpital à travers leurs représentants au conseil d’administration et par le biais du comité médical dont le président joue le rôle de directeur médical. La gestion d’un Hôpital est tellement complexe et spécifique que les pays développés ont eu recours à la formation des cadres spécialisés dans la gestion hospitalière car ne peut gérer un Hôpital qui veut. 
 
En Tunisie et depuis une vingtaine d’années, le ministère de la Santé s’est attelé à former un pool de directeurs spécialisés formés sur le terrain mais aussi à traves les formations théoriques et les stages pour pouvoir répondre aux nouveaux défis de la gestion  des hôpitaux. 
 
Généralement et au début de sa carrière, le directeur commence par diriger un hôpital local ou régional ou intégrer l’administration d’un grand hôpital. Ce n’est que vers l’apogée de sa carrière qu’il peut ambitionner de diriger un grand hôpital tel que Charles Nicolle, Sahloul ou Habib bourguiba.
 
Nous pensons effectivement que le candidat désigné par le ministre de la Santé publique ne répond pas aux critères requis pour diriger le CHU de Sfax ni sur le plan de sa formation de base ni sur le plan de son expérience. 
 
Certains syndicalistes pensent que cette nomination est une sorte de dégradation pour leur institution et qu’elle est réactionnelle au conflit qui oppose le ministre au personnel de l’hôpital. En outre La désignation d’un militaire (une première dans l’histoire du ministère de la Santé publique) a été perçue comme une sorte de châtiment et de dissuasion contre ce que considère le ministère comme un laisser aller dans l’hôpital.
 
Mais le ministre est pleinement dans ses prérogatives, il a le droit de nommer le responsable qu’il veut et qu’il assume ses responsabilités !
 
En réalité, la nomination par décret d’un directeur général (l’équivalent d’un PDG) est de la responsabilité du chef du gouvernement sur proposition du ministre. Mais à mon avis, le ministre ne peut désigner qui il veut, sinon ça va devenir arbitraire et abusive et chacun va désigner ses copains et ses cousins aux postes-clefs et on va sombrer dans le clientélisme. 
 
Les nominations dans ce genre de postes doivent obéir à des critères préétablis, sinon c’est la gabegie. Le ministère de la Santé publique a des traditions anciennes dans ce genre de  nominations, il a une base de données et des mécanismes pour établir les nominations et le roulement. Si cette nomination a bloqué c’est qu’il y a problème. L’arbitrage de la présidence du gouvernement est souhaitable pour juger de la pertinence de cette nomination et si elle est conforme aux règles ou non.
 
Certains accusent les syndicats d’ingérence dans les nominations qui ne sont pas de leur ressort et les appellent à se tenir à leur propre rôle de défendre leurs subordonnés?
 
Au contraire, je trouve que leur rôle est positif, car ils attirent l’attention de l’opinion publique sur les agissements abusifs.  C’est cela le contre-pouvoir. Je pense que c’est leur droit et c’est leur devoir. Rappelez-vous sous l’ère de Hammadi Jebali, les syndicats ont refusé la nomination du directeur à la tête de Dar Essabah et Said Aidi qui était dans l’opposition à l’époque s’est déplacé pour soutenir les grévistes qui contestaient la nomination. N'eussent été le courage et l’engagement du député Mehdi Ben Gharbia, le dossier de la banque LAZARD n’aurait pas été soulevé et finalement le gouvernement lui a donné raison. La société civile a le devoir de montrer les failles et les problèmes pour mieux freiner et  rationaliser les politiciens qui ont l’impression d’avoir les mains libres et peuvent faire ce qu’ils veulent.
 
Le ministre évoque un déficit de l’hôpital de 30 milliards et accuse certains syndicalistes de corruption ?!
 
C’est de la pure démagogie. D’une part, presque tous les hôpitaux universitaires sont déficitaires et c’est encore une maladresse de la part du ministre de concentrer les accusations contre l’hôpital Habib Bourguiba, ce qui provoque encore plus  le personnel qui a l’impression que leur établissement est dans le collimateur. D’ailleurs ce déficit est commun à tous les établissements publics (transport Tunis air, STEG etc…). Le déficit des hôpitaux est compréhensible car le budget alloué est en deçà des besoins et les hôpitaux soignent une majorité des citoyens gratuitement. C’est en leur honneur. C’est un choix sociétal : si on veut la gratuité des soins, il faut accepter un certain déficit.
 
Au Front Populaire, nous saluons les hôpitaux publics, les médecins et le personnel  paramédical et administratif et on sait qu’ils font beaucoup d’efforts en dépit des moyens limités. Et ce n’est pas paradoxal que l’hôpital Habib Bourguiba accuse un tel déficit puisqu’il assure des soins à 7 gouvernorats du sud et de l’ouest. Il faut certes améliorer et rationaliser la gestion par la réforme des procédures de gestion administrative et financière des hôpitaux non actualisées depuis la réforme de feu Daly Jazi. Mais le ministère ne fait rien dans ce sens.
 
Pour les accusations de corruption et de mauvaise gestion, nous attendons les preuves et les faits et ni l’UGTT ni les démocrates ne défendront des corrompus.
 
Propos recueillis par B.M.
 
 

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