Affaire de l'inscription des étudiants tunisiens en médecine issus de l'étranger: Anatomie d'une injustice

Affaire de l'inscription des étudiants tunisiens en médecine issus de l'étranger: Anatomie d'une injustice
 
 
Les  Universités jouissent, selon les milieux académiques,  de l’autonomie, cela signifierait qu’en matière d’inscription des étudiants, de choix des programmes d’enseignement, d’examens et de concours, elles  seraient absolument libres de prendre toutes les décisions utiles  pour faciliter  la marche des établissements, améliorer la pédagogie et adapter les programmes  à l’évolution des connaissances.
 
Il faut reconnaître qu’un Code de l’Education et un ensemble de décrets avaient  concrétisé cette autonomie,  accordant aux Doyens et aux Directeurs d’Instituts Supérieurs des pouvoirs très larges qu’on peut qualifier de discrétionnaires. 
 
Est-ce à dire que ce pouvoir soit exclusif et que les autorités académiques ne soient pas tenues de respecter les Lois qui s’appliquent à tous les Citoyens d’un pays ? la question mérite d’autant plus d’être posée que des récentes contestations des décisions des Doyens des Facultés , en particulier de Médecine , ont conduit un nombre non négligeable d’étudiants à porter plainte auprès du Tribunal Administratif , et même dans un cas précis, auprès de la Juridiction Pénale.
 
La raison ? d’abord aux dires de certains,  la fâcheuse tendance qu’auraient les Doyens d’exercer leurs prérogatives d’une manière régalienne, c'est-à-dire absolument arbitraire, en particulier pour l’accès des étudiants aux universités et aux facultés qu’ils dirigent.
 
C’est justement forts de ce Pouvoir qui leur est désormais  contesté par une opinion publique de plus en plus hostile que les Doyens de Médecine,  en guerre contre une étudiante porteuse du Niqab,qui avait trainé devant les tribunaux un de leurs collègues,  avaient pris la décision cette année 2016 , avec le plein accord du Ministre Chiheb Boudden, de ne plus accepter le retour dans les facultés Tunisiennes, des étudiants en médecine inscrits en facultés étrangères, ainsi que  cela s’était toujours fait depuis plus de 20 ans.  
 
Prétendre qu’un préavis raisonnable eût précédé la décision serait contraire à la vérité : le Ministre Chiheb Boudden avait dans un communiqué en 2015 annoncé  que les inscriptions cesseraient fin 2016-2017, mais une année plus tard, ayant apparemment changé d’avis, il publiait un nouveau communiqué avançant la date d’application de sa décision d’une année, ce qui poussait le Tribunal Administratif à en suspendre l’exécution, et à permettre cette année encore l’inscription des étudiants selon les conditions du Communiqué Ministériel de 2015 dont lui même  avait apparemment oublié l’existence.
 
C’était donc au  nouveau ministre de l’Enseignement Supérieur Mr Slim Khalbous , qu’avait échu la responsabilité de résoudre ce problème , et il s’était trouvé coincé entre le refus des Doyens , arguant de leur souveraineté,  d’ouvrir les inscriptions, et   mécontents de voir  leur autorité  bafouée, et la volonté des 85 candidats forts du jugement administratif, d’en obtenir l’exécution. Souveraineté ? ce terme s’applique normalement aux jurys d’examens ou de concours et à leurs présidents, et il leur accorde  uniquement dans ce cadre là, un pouvoir de décision concernant l’évaluation des candidats,  que nulle autre autorité ne saurait contester, en particulier politique ou administrative. 
 
Cependant, même jouissant de la souveraineté le Jury ne peut se soustraire aux règles du Droit, en particulier l’égalité des chances des candidats, leur libre accès à l’inscription, leur évaluation sur la base  de programmes d’enseignement communs , et en fonction de critères pré établis applicables à tous les candidats sans distinction. Mis à part cela les Présidents des Jurys d’examens détiennent un pouvoir effectivement régalien, celui d’admettre en supplément tout candidat dont le mérite, indépendamment de ses notes, lui ouvrirait l’accès à un niveau supérieur d’études ou à un diplôme sanctionnant ses compétences.
 
Et il va sans dire que ce pouvoir là ne puisse être utilisé qu’à bon escient. Or il paraitrait que les Doyens des facultés de médecine eussent de la Souveraineté une autre interprétation en l’occurrence irréaliste, celle de n’ouvrir les portes des facultés qu’ils dirigent que selon leurs seuls jugements. 
 
Toujours est il que le ministre Slim Khalbous n’obtint , selon lui, des Doyens, que l’ouverture de 20 postes, ce qui d’une part comparativement à la soixantaine d’étudiants issus de l’étranger et annuellement admis, se révélait fort peu , et d’autre part revenait à instaurer un concours sur Dossiers . Enfin, fait important, cette manière de procéder ignorait complètement  les tenants du Jugement en question requérant l’application des conditions d’admission du communiqué de 2015 du Ministre Chiheb Boudden, à savoir la nécessité d’avoir pour l’inscription une moyenne du Baccalauréat supérieure à 14/20 , et d’être issu d’une faculté reconnue par le Ministère.
 
Toujours est il qu’une Commission était nommée ,présidée  par Mr Faiçal Mansouri  recteur de l’université de Sousse, composé des 4 doyens, et de représentants du ministère de l’enseignement supérieur. Et ce Jury de Concours instaurait des critères de concours, incluant  la note du baccalauréat, celle de la 2 ème année médecine, des bonus de 5 points tenant compte des conditions socio économiques et des dossiers médicaux, et  des malus de 5 points pour les redoublants, les années blanches, et les réorientations ; toujours est il que fin Septembre, une première liste de 20 noms était publiée , avec des scores correspondant uniquement à la moyenne du baccalauréat  augmentée de 5 points, même pour ceux des candidats qui n’avaient déposé aucun dossier médical ou social ce qui revenait pour le Jury présidé par Mr Mansouri à favoriser des candidats par rapport à d’autres et cette manière de procéder outre qu’elle viole la loi , invalide complètement les travaux de la Commission. 
 
Mais pour en revenir à la première liste des 20 noms publiée le 25 Septembre, un alinéas y figurant précisait qu’une deuxième liste dont le nombre n’était pas précisé , serait  publiée, ultérieurement , selon des critères qui n’étaient pas non plus précisés. Et ceci est une deuxième violation manifeste des droits des candidats et de toutes les règles établies dans le monde entier régissant  les fonctionnement des jurys d’évaluation universitaires.
 
Et donc le 30 Septembre la liste définitive était publiée englobant un total de 46 étudiants, dont le score au même titre que celui de la liste précédente associait la moyenne du baccalauréat à une bonification de 5 points que rien ne justifiait. Le point commun des candidats admis était qu’ils bénéficiaient tous d’une moyenne au baccalauréat supérieure à 14/20 comme le stipulait la lettre du Jugement Administratif. 
 
Ceci signifie qu’une nouvelle fois, en modifiant les données  pré établies, on était passé d’un Concours sur Dossiers avec des critères spécifiques , à un Examen sur Dossiers,  ce qui constitue une nouvelle entorse à la loi  et un abus de pouvoir caractérisé puisqu’aucun jury n’a le droit de  décréter en cours ou après les résultats des épreuves, le passage de l’un à l’autre ...
 
Mais pour en revenir au Ministre de l’Enseignement Supérieur, Mr Khalbous, en agissant ainsi, il s’était conformé au Jugement du Tribunal Administratif ; sauf que 4 candidats , tous redoublants, ayant des moyennes supérieures à 14/20 , et obéissant donc aux critères du Jugement, n’avaient pas été admis parce qu’ils avaient été handicapés dans leur score par le malus de 5 points. Et depuis lors, Mr Mansouri ayant après un recours, confirmé la validité des conclusions de sa Commission, le Ministre a définitivement signifié son refus de les accepter. Le prétexte invoqué ? s’il le faisait les 36 autres étudiants refusés parce que n’obéissant pas aux conditions stipulées par le Jugement, protesteraient .AUTREMENT DIT AFIN DE NE PAS MECONTENTER  36  ETUDIANTS N’AYANT AUCUN DROIT, ON  A SACRIFIE 4 ETUDIANTS A QUI UN JUGEMENT A RECONNU  LA POSSIBILITE DE L’INSCRIPTION DE PLEIN DROIT. 
 
Pour en revenir au mécontentement des étudiants, il faut signaler que mis à part les étudiants issus des facultés étrangères,  un certain nombre d’étudiants inscrits dans les facultés Tunisiennes, exigent chaque année de changer de faculté pour des raisons généralement économiques ou sociales ; ceux qu’on appelle  ainsi les inter facultés  bénéficient eux , contrairement aux premiers, d’un règlement les régissant ; mais alors que le jugement administratif ne concernait que les étudiants issus de l’étranger, Mr Khalbous a en fait pour la même commission universitaire présidée par Mr Mansouri , confié la tâche également d’établir la liste des interfacultés. Ce qui est remarquable c’est que le nombre des interfacultés était égal au nombre des « étrangers », et que lorsqu’une deuxième liste des « étrangers » eût été publiée  en supplément, les inter facultés ont manifesté pour réclamer un accroissement équivalent du nombre de places, et le ministère s’est exécuté.
 
Or les interfacultés ne constituent pas un surcroit d’étudiants pour les facultés, le nombre global d’étudiants demeurant  toujours le même ; contrairement à ceux issus de facultés étrangères. Mais concrètement cela a permis au ministre Mr Khalbous d’affirmer contre toute évidence qu’il avait ouvert 90 postes aux étudiants pour exécuter le jugement administratif.
  
En conclusion , mis à part les dysfonctionnements de la Commission Universitaire présidée par Mr Mansouri, dont le plus blâmable est l’adjonction sans raison valable de 5 points à des candidats  au détriment d’autres candidats, et l’instauration de critères  ignorant les conditions requises par l’exécution d’un jugement administratif préexistant ,  il faut savoir que les raisons avancées  par le ministère  pour refuser l’inscription de 4 étudiants répondant aux conditions du même jugement , ne sont pas recevables  du moment que non seulement elles invoquent un score mal établi et même  illégal, mais en plus  elles  mettent  ces étudiants dans  le même sac que les 36 étudiants n’ayant aucun droit à l’inscription , sous le prétexte fallacieux  du manque de places. 
 
Que le Ministre Mr Khalbous veuille couvrir son administration est certes compréhensible  ; pas en condamnant à l’exil des étudiants disposant d’un droit d’inscription reconnu par un jugement administratif renforcé de son additif explicatif.
 
Dr Mounir Hanablia, Cardiologue, Gamarth La Marsa 
 

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