Affaire Nawat : Quand la présidence de la République se trompe d’époque

Affaire Nawat : Quand la présidence de la République se trompe d’époque

 

Le site d’information Nawat a annoncé jeudi que son directeur de la rédaction Sami Ben Gharbia a été convoqué le 3 mai 2017 le jour de la célébration de la journée internationale de la liberté de la presse à la brigade d’investigation et de recherches de la Garde nationale d’Al-Aouina où il a subi un interrogatoire sur le document fuité de la présidence de la République dans lequel il est question d’une stratégie médias en faveur de l’adoption de la loi sur la réconciliation économique.

Selon le site le journaliste a été interrogé sur ses sources avant d’être « harcelé » sur la gestion interne du site ainsi que sur l’identité de ses journalistes y compris leurs cartes d’identité et leurs numéros de téléphone ainsi que la liste des collaborateurs en vue de leur interrogatoire un par un.

Sami Ben Gharbia estime que les questions ayant trait à la gestion interne du site et à l’identité de ses collaborateurs constituent « un grave dérapage » et encore plus grave la menace de faire passer tous les collaborateurs par l’interrogatoire, ce qui est une première du genre depuis le 14 janvier 2011.

L’avocat du site Me Oussama Helal a indiqué pour sa part que cette enquête sécuritaire a été ouverte sur des ordres verbaux émanant de la présidence de la république. Il a ajouté que ces pressions viennent à la suite des campagnes de diabolisation des organisations de la société civile conduites par des figures politiques et médiatiques qui sont l’objet de présomptions de corruption.

Le coordinateur exécutif du site Riadh Guerfali a affirmé pour sa part que « la protection des sources est une obligation rigoureuse pour le travail du journalisme et qu’en aucun cas ces sources ne seront révélées même si cela nous coutera de passer le restant de nos vies derrière les barreaux ». « Quant aux numéros de cartes d’identité et de téléphone des journalistes et des collaborateurs, ils constituent des données personnelles protégées par la loi et ils ne peuvent être fournis que sur ordre judiciaire soutenu légalement ».

Il a affirmé en outre que Nawat a toujours manifesté sa disposition à coopérer avec la justice sur la base de son engagement citoyen à la suite des enquêtes d’investigation qu’il publie. Le site dénonce avec force le harcèlement subi par son directeur de rédaction et l’intention affichée de porter atteinte aux journalistes. Il considère que ces « méthodes honteuses » constituent une menace effective à la liberté d’expression et au droit à l’organisation.

« Nawat qui a résisté à l’oppression de la dictature ne manquera pas de résister aujourd’hui sous la protection de la Constitution tunisienne, des conventions internationales ratifiées par la Tunisie ainsi que des lois tunisiennes et de la justice » poursuit-il en affirmant qu’il « continuera à publier les documents fuités y compris ceux émanant de la présidence de la République si nécessaire.»

Il est pour le moins ahurissant et réellement stupéfiant que le directeur d’un site d’information soit convoqué et subisse un interrogatoire en bonne et due forme le jour choisi par la communauté internationale pour célébrer la liberté de la presse. Ceci ne peut être une coïncidence. Il s’agit d’une volonté délibérée de porter atteinte à cette liberté qui est jusqu’ici le seul acquis important de la révolution.

Il est pour le moins déconcertant que l’ordre de ce harcèlement intolérable vienne de la présidence de la république. En effet, ceci pose un sérieux problème du fait que le président de la république est le garant de la constitution et que ce faisant l’institution qu’il dirige contrevient aux articles 31et 32 de la Loi fondamentale, lesquelles stipulent que « les libertés d’opinion, de pensée, d’expression, d’information et de publication sont garanties » et qu’ « aucun contrôle préalable ne peut être exercé sur ces libertés » et que « L’État garantit le droit à l’information et le droit d’accès à l’information. L’État œuvre en vue de garantir le droit d’accès aux réseaux de communication. ».

Mais pas seulement puisque le président Béji Caïd Essebsi a affirmé que dans l’exercice de ses fonctions il ne poursuivra aucun journaliste.

Si l’ordre vient des services de la présidence, il y a lieu de lui demander de balayer devant sa porte, car au lieu de demander des comptes à un site d’information qui n’a fait que son travail en publiant le document fuité, il aurait été plus judicieux de faire une investigation interne pour débusquer la personne qui est à l’origine de la fuite et qui est à l’intérieur des services de la présidence sans aucun doute. Si cette fois-ci il ne s’agissait selon un des conseillers de la présidence que d’un brouillon qui n’a pas beaucoup de valeur, on risque de trouver dans le futur sur la place publique un document autrement plus important et peut être compromettant pour la sécurité publique de la nation.

A la suite de cet interrogatoire doublement dangereux, nous ne pouvons que dénoncer ce genre de harcèlement intolérable contre les médias et exprimer notre solidarité avec nos confrères de Nawat même si nous ne partageons ni leurs méthodes ni leurs penchants politiques.

RBR

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