Hatem el Karoui: «Le Palais Beylical d’Hammam-Lif doit abriter la fondation B’chira Ben M’rad»

 Hatem el Karoui: «Le Palais Beylical d’Hammam-Lif doit abriter la fondation B’chira Ben M’rad»
 
 
Après son roman historique sur Hammouda Pacha « L’émissaire barbaresque au Nouveau Monde » (2013) et son essai sur son grand père paternel le cheikh Mohamed el Karoui, directeur de la Khaldounia et du collège Sadiki intitulé «Le Drogman » (début 2015), l’écrivain tunisien qui s’avère prolifique a fait paraître fin 2015 chez son éditeur « Edilivre » en France, un nouvel essai intitulé « Emiralay » portant sur les réformateurs tunisiens à la fin du 19ème siècle et au début du 20ème siècle.
 
Il sortira début 2016 un autre essai sur la célèbre féministe tunisienne B’chira Ben M’rad  et qui s’intitule « B’chira Ben M’rad (1913-1993) libératrice de la femme tunisienne». Nous avons souhaité nous entretenir avec lui sur sa récente création littéraire : 
 
Il existerait des liens familiaux entre B’chira Ben M’rad et vous, qu’en est-il ? 
 
Oui, B’chira Ben M’rad est ma tante maternelle. Elle était en plus très proche de ma mère car non seulement toutes deux ont été à l’origine de la création de l’Union des Femmes Musulmanes de Tunisie (UMFT) en 1936, mais en plus elles étaient à fois sœurs et grandes amies. Durant ma prime jeunesse elles cohabitaient presque ensemble puisque comme elle mes parents habitaient à Hammam-Lif où ils passaient régulièrement leurs vacances estivales.
 
Pendant l’hiver, elle venait souvent passer quelque temps chez nous à Mongil Radès où nous habitions. Sans compter qu’auparavant, elle rendait souvent visite à ma mère au palais de mon grand père l’Emiralay Mohamed el Karoui à la rue el Monastiri à Bab Souika à Tunis. D’ailleurs ce palais avait beaucoup servi aux réunions et aux fêtes caritatives de l’UMFT dans le temps, après le décès de mon grand père en 1941, mais je ne m’en souviens pas parce j’avais alors deux ou trois ans dans les années 1950.
 
Malgré tout, vous gardez d’elle beaucoup de souvenirs ? 
 
Certainement. En réalité je n’en ai pas beaucoup parlé dans ce livre qui sert surtout à la faire connaître, elle, et non nos propres rapports. Quelques chercheurs ont bien sûr parlé d’elle comme Ilhem Marzouki, Lilia Labidi ou Souad Bakalti, mais l’approche que j’adopte à son égard est mitigée. Elle est à la fois légèrement intimiste et essaye de garder un certain recul et une certaine objectivité pour la décrire et pour parler de ses activités.  Elle était restée toute sa vie attachée à toute la famille et à toutes ses sœurs et frères mais du fait qu’elle avait cohabité à Hammam-Lif avec sa sœur Hamida mariée comme elle à un Zahar elle était un peu plus proche d’elle. 
 
Je me souviens, alors que j’étais encore tout petit, d’un voyage que nous avions effectué à Paris ensemble. Elle était très dégourdie et très dynamique et communiquait très facilement avec les autres en utilisant beaucoup l’humour et la dérision. Je crois que c’est le trait de caractère que j’ai le plus retenu chez elle. Elle a cette façon de réagir qui dénote d’une très grande intelligence. Comme on dit, elle ne se laisse pas facilement « monter en bateau ». Je crois même qu’elle était à l’affut pour déceler ceux qui parlaient sérieusement avec elle et ceux qui plaisantaient. 
 
Elle avait eu une enfance difficile ? 
 
Oui, je crois que c’est cela qui l'avait rendue un peu méfiante parfois. Elle avait eu une enfance très dure et j’en parle un peu dans le livre. Sa mère était décédée alors qu’elle avait une dizaine d’années et était en plus l’aînée de ses sœurs et de son frère unique qui était le plus jeune d’entre eux et qui avait peut-être au plus deux ans quand sa mère est morte. Elle s’était alors sentie investie d’une grande responsabilité, elle avait abandonné les rêves qu’avaient les enfants à cet âge et projeté toute son affection dans les autres petits dont elle avait la charge. Ce qui l’avait rendue très fragile et très sensible. 
 
Comment-a-t-elle géré le conflit qui avait opposé son père à Tahar Haddad ? 
 
C’est une bonne question. Il y avait certainement à l’intérieur d’elle-même un petit tiraillement, mais comme je le dis dans le livre le cheikh Ben M’rad avait avoué une fois à son fils Béchir –qui m’avait rapporté de vive voix cette information- qu’il aurait pu donner un titre moins provocateur à son livre et non « voile du deuil sur la femme de Haddad » qui était inutilement agressif. Il lui avait fait valoir qu’au fond son livre était uniquement un précis de droit musulman s’attachant à faire mieux connaitre l’apport du coran et de la sunna à l’amélioration du sort de la femme musulmane.
 
Je pense qu’il avait choisi ce titre par impulsivité, car il était mécontent des événements dangereux auquel faisait face le pays, comme le congrès eucharistique, la campagne de naturalisations, etc..  En tout cas comme je le dis aussi le cheikh avait essayé de laisser ses filles en dehors du litige qui l'opposait à Haddad et les exonérait de le défendre de n'importe quelle façon. 
 
Le cheikh Ben M'rad s’était alors en quelque sorte rattrapé sur ses filles ? 
 
Je ne dirais pas tout à fait cela. Le mouvement de l’UMFT était assez autonome et les femmes tunisiennes commençaient à prendre conscience de leurs droits. Le cheikh avait en quelque sorte « pris le train en marche » et pensé que par sa position et son charisme il pourrait contribuer au succès de cette nouvelle institution. Il avait en parallèle créé une revue appelée « Chems el Islam » qu’il finançait avec ses propres deniers. Il permettait à sa fille B’chira d’y écrire et d’y exposer ses idées sur la femme musulmane… 
 
Vous disiez qu’elle était proche de votre mère. Comment ont-elles collaboré au sein de l’UMFT ?
 
Elle a collaboré non seulement avec ma mère mais aussi avec ses autres sœurs, notamment Hamida qui était le trésorier et la secrétaire générale de l’association se chargeant de collecter les fonds réunis lors des fêtes caritatives et d’Essia qui a beaucoup contribué au financement de l’association. Ma mère l’a aidée au niveau du lancement de l’UMFT qui officieusement a été créé en 1936 mais  a obtenu son visa uniquement en 1951.
 
Najiba Ben M’rad  a notamment prononcé très jeune un discours à Dar el Khalsi (actuellement le restaurant Essaraya  à Dar el Jeld) à l’occasion d’une fête caritative en 1932 à la suite d’inondations catastrophiques qui ont endeuillé le pays. A la suite de cela « La société des dames musulmanes » présidée par Fatma Guellaty, la fille de Béchir Sfar a été créée. Cette structure a préfiguré celle de l’UMFT. Wassila Ben Ammar a aussi prononcé un discours lors de cette rencontre.
 
Il semble que B’chira Ben M’rad a commencé quand même à être reconnue après la reconnue après la révolution ?
 
Oui et non. Une rencontre pour lui rendre hommage a été organisée au théâtre municipal de Tunis le premier décembre 2013 pour célébrer le centenaire de sa naissance mais cela reste insuffisant. On lui a bien donné aussi un nom de rue à Hammam-Lif mais le peuple tunisien doit la célébrer davantage. Je pense notamment à la restauration du palais du bey à Hammam-Lif ou elle a habité un certain temps dans des conditions déplorable alors que l’immeuble était en ruines pour en faire le siège d’une fondation qui porterait son nom.
 
Quand est-ce que votre livre va paraître ? 
 
Au début de l’année prochaine inchallah. Je vais un peu le promouvoir avec les autres livres que j’ai récemment écrits à la 32ème édition de la Foire du Livre qui se tiendra du 25 mars au 3 avril 2016 et ou je vais prendre un stand. 
 
Propos recueillis par KH

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