Incarcération de Migalo, Ben Gharbia et Toumi : Grave atteinte à la liberté de presse ?

Incarcération de Migalo, Ben Gharbia et Toumi : Grave atteinte à la liberté de presse ?

L’incarcération vendredi 13 mars de Wassim Hrissi (alias Migalo) Moez Ben Gharbia et Abdelhak Toumi a choqué les tunisiens. Migalo est un artiste hors pair. Il est probablement l’imitateur le plus talentueux dans son genre dans l’histoire de la Tunisie. Moez Ben Gharbia est un journaliste et producteur brillant, lui aussi parmi les meilleurs de sa génération. L’artiste et le journaliste se sont souvent distingués que ce soit sous la dictature ou sous la troïka par leur professionnalisme leur sens critique et leur courage. Au lieu d’être reconnus pour leurs talents distingués et honorés ils se trouvent malheureusement derrière les barreaux.

 

Opacité et zones d’ombres

 

Les données sur l’affaire « Migalo et Moez » sont très opaques. Au départ on croyait que c’est la Présidence de la République qui a porté plainte. Mais cela a été démenti par la Présidence quoique de façon laconique.

Dans une première version il a été rapporté que la Présidence a renoncé à porter plainte et cela veut dire qu’elle a effectivement porté plainte puis elle a renoncé.

Dans une autre version la Présidence a annoncé qu’elle n’a aucune relation avec cette affaire. En réalité beaucoup d’observateurs ont impliqué tout de suite la Présidence dans cette affaire non seulement parce que Migalo a imité le Président (c’est ce qu’il faisait toujours et d’ailleurs c’est son métier) mais parce que l’artiste a déclaré lui-même qu’il a été rappelé à l’ordre par un conseiller de la présidence qui lui a demandé de façon ferme d’arrêter d’imiter le président.

Migalo a ajouté que ce même conseiller (Mohsen Marzouk) le félicitait avant pour les critiques à l’égard du président sortant.

L’arrestation de Migalo une journée entière dans un poste de police dans des conditions opaques corroborent pour certains l’hypothèse des pressions exercées par certains lobbys pour faire taire l’artiste et le dissuader à critiquer le président et le parti au pouvoir.

Dans d’autres versions, Hamadi Touil (homme d’affaires en fuite, ex associé de Belhassen Trabelsi) est celui qui a porté plainte.

Il prétend qu’il a été victime d’usurpation par Migalo et Moez Ben Gharbia. D’une part Il est peu probable qu’un artiste de l’envergure de Migalo et qu’un journaliste aussi alerté que Moezz peuvent tomber dans ce piège oh combien trop banal. D’autres part quelle est la crédibilité de Hamadi Touil (lui-même poursuivit en justice) pour prendre au très sérieux ses accusations et incarcérer en extrême urgence les accusés alors qu’on pouvait attendre les vérifications. Quelque soit la provenance de l’accusation (Touil ou autres) on aurait pu étudier le dossier à tête reposée et approfondir les investigations.

Après tout ce n’est pas une affaire de terrorisme de vol ou de viol pour arrêter immédiatement les « accusés ».

Mais apparemment dans cette affaire on s’excite beaucoup trop. Est-ce qu’il y’a quelque chose qui cloche ????

 

Méthode musclée et un air de punition

 

Il semble actuellement établit d’après les recoupements que c’est le juge d’instruction qui a pris la décision d’incarcérer l’artiste et les 2 journalistes. Le porte-parole officiel du tribunal n’a pas donné de précisions sur les motifs. Mais on sait que le juge d’instruction est sous l’autorité du ministre de la justice lequel est sous l’autorité du chef de gouvernement. Celui-ci est sous l’autorité du Président de la République. On peut alors conclure que c’est le pouvoir en place qui a ordonné l’emprisonnement des accusés. Quel est le maillon de la chaine de décision qui a pris la décision ?? Le ministre de la justice est en tout cas le 1er responsable

L’avocat Mongi Ghribi dans un éditorial publié aujourd’hui 15 mars dans un quotidien de la place, critiquant l’incarcération précipitée des accusés a écrit «  il suffit de prendre connaissance des chefs d’inculpation  pour se rendre compte du degré de gravités des faits. Il aurait fallu les juger en état de liberté et prendre des mesures de réserve vis-à-vis des accusés tels que l’interdiction de voyage et les juger devant le tribunal après plus d’investigations et de vérifications. La rapidité de l’incarcération et le fait qu’elle soit effectuée un vendredi à la veille des deux jours de repos du tribunal pendant lesquels les rouages judiciaires sont suspendus constitue une action agressive et démesurée «. L’avocat ajoute «  l’incarcération dans des affaires autres que le terrorisme et les menaces contre l’état l’établissement ou la vie des personnes n’est pas acceptable et n’est pas la bienvenue »

Si on ajoute aux dires de l’avocat que les deux accusés sont un célèbre artistes et deux brillants journalistes on peut conclure sans grand risque de se tromper que la mesure est arbitraire répressive et constitue une grave atteinte aux libertés. Elle peut être interprétée comme une mesure punitive contre les accusés pour les dissuader et dissuader leurs semblables de toute critique contre le président et son gouvernement

 

Retour aux méthodes de Ben Ali ??? A qui le tour ??

 

On ne cesse de le répéter et de marteler : le risque du  retour de la dictature n’est pas un fantasme mais une réalité prouvée par les événements locaux et régionaux et par les études scientifiques qui montrent que la démocratie ne se stabilise qu’après environs 10 ans après une révolution démocratique.

Sous la dictature de Ben Ali les journalistes et les activistes sont emprisonnés non pas par des chefs d’inculpation concernent leurs opinions mais on leur fabrique des accusations qui touchent souvent aux mœurs. Hédi Oueld Baballah a été accusé de détention de drogue après ses célèbres sketch sur Ben Ali..Taoufik Ben Brik a été accusé de viol..Khemais Ksila accusé de harcèlement sexuel…Oum ZIED de détention de devises, Ahmed Nejib Chebbi et les journalistes du Mawkef ont été accusés par les producteurs d’une marque d’huile végétale... Et la liste est longue. On peut trouver des dizaines d’exemples de ces scénarios car le régime dictatorial de Ben Ali a constitué une école en la matière

En tout cas, il est peut-être un peu tôt pour ses prononcer sur la véracité des faits. Mais d’ores et déjà il faut alerter l’opinion publique et mobiliser la société civile au cas il s’avère que les concernés étaient en train de réaliser une enquête d’investigation, car comme on le dit en médecine « vaut mieux prévenir que guérir »

 

Abdelmajid Mselmi

(Membre du front populaire)