Interview à Al-Quds Al-Arabi- Essebsi à Ghannouchi ; « je t’aime, moi non plus »

Interview à Al-Quds Al-Arabi-  Essebsi à Ghannouchi ; « je t’aime,  moi non plus »

 

Dans une interview accordée au journal londonien Al-Quds Al-Arabi, Béji Caïd Essebsi déclare qu’il « regarde de façon négative à la crise que connait le parti qu’il a fondé, Nidaa Tounés. C’est une crise de leadership mais elle constitue un « nuage d’été » qui va bientôt se dissiper, estime-t-il. Par respect pour la constitution, il ne veut pas s’ingérer dans les affaires de Nidaa Tounés dont il a démissionné le jour même où il a été investi président de la république. « Plusieurs demandes m’ont parvenu pour que je m’immisce dans cette crise, mais j’ai été clair et j’ai dit que la Constitution m’interdit de m’ingérer. J’ai laissé plusieurs dirigeants qui étaient en concurrence entre eux et ce n’est une bonne chose, mais ce n’est qu’un nuage d’été qui finira par se dissiper. L’entente revient. Je leur ai envoyé des messages pour qu’ils se mettent d’accord mais ils sont allés trop loin dans les querelles. Mais malgré tout les choses vont se calmer » ajoute-t-il.

Parlant de ses rapports avec Enndhdha, il a qualifié de « bonne » sa relation avec Rached Ghannouchi, le président du mouvement. « On dit que Béji a eu de l’influence sur Cheikh Rached pour qu’il devienne un islamiste tunisien, mais moi-même je ne suis pas un prédicateur », a-t-il ajouté. Tout en se proclamant « opposé à l’Islam politique », il dit qu’en tant qu’homme d’Etat il a pris en compte la réalité qui est sortie des urnes. « Nous voudrions consacrer la démocratie, mais celle-ci n’est pas liée uniquement à l’organisation des élections, elle ne peut être garantie que par l’alternance au pouvoir ainsi que par la loi devant laquelle tous les Tunisiens sont égaux », a-t-il dit pour justifier le rapprochement avec Ennahdha pour bâtir cette démocratie. C’est dans cette optique que j’ai dit que je ne veux pas gouverner seul même si mon parti remporte la majorité absolue au parlement. Il a affirmé que la présence d’Ennahdha au gouvernement a assuré à la Tunisie une quasi-stabilité qui était indispensable pour permettre au pays de sortir de la crise économique et de combattre le terrorisme. « Au sein d’Ennahdha, il y a des gens qui sont contre cette entente et qui observent le silence, mais nous sommes à l’affût et nous n’avançons d’un pas que si nous nous sommes assurés que nous marchons sur de la terre ferme » a-t-il ajouté dans une image.

Le Chef de l’Etat a estimé que l’expérience tunisienne n’a pas été facile. Les Tunisiens ont été positifs et consensuels. «S’il n’y avait pas notre héritage historique et la femme tunisienne, on n’aurait pas réussi. Notre expérience est à ses débuts et elle est encourageante. Nous sommes actuellement dans une phase de consécration de principes nouveaux qui n’existaient pas, car tout au long de 60 ans d’indépendance nous avons eu un seul parti, un seul président et une opinion unique. Aujourd’hui nous sommes entrés dans l’ère du pluralisme, dont la consécration n’est pas évidente du que nous n’avions pas cette culture».

Béji Caïd Essebsi considère que la Tunisie a développé une expérience unique mais que cette dernière est menacée par le terrorisme si on ne développe pas l’économie à un niveau suffisant. Il a précisé qu’il y a 620.000 chômeurs en Tunisie, dont certains ont été recrutés par Daech : 4.000 Tunisiens qui se trouvent actuellement en Syrie. Il a espéré qu’avec ce nouveau gouvernement jeune, ce nombre va baisser. « Nous avons rajeuni la classe dirigeante et c’est un risque. Nous avons actuellement le plus jeune chef de gouvernement de l’histoire du pays. Il a 41ans, l’âge moyen des ministres est de 49 ans, nous avons huit femmes ministres dont la ministre des Finances (...) nous avons assuré au gouvernement une ceinture de soutien qui est l’unité nationale. Car nous ne devons pas laisser les autres au bord du chemin. Tout cela demande de l’audace calculée. Il nous faut des dizaines d’années pour sortir de cet héritage qui nous a été légué par les autres. Mais malgré tout les prémices sont bonnes et nous organisons en novembre une conférence sur l’investissement. Nous espérons qu’elle va faire bouger les choses ».

Concernant la lutte contre le terrorisme, le président de la République a rappelé que la Tunisie n’a pas la culture du terrorisme mais que ce fléau nous a été imposé par la situation régionale. «Nous sommes un petit pays et depuis l’Indépendance, nous n’avons pas misé sur l’armée comme l’ont fait d’autres contrées. Le Président Bourguiba a misé sur le Tunisien et a consacré le tiers du budget à l’éducation. Lorsque le terrorisme nous a touché, nous n’avions pas un système de défense pour le contrer et nous avons dû nous préparer», a-t-il expliqué. Il a noté que le problème a dépassé la région pour devenir international : la France, la Belgique, les Etats-Unis d’Amériques souffrent aussi du terrorisme. C’est pour cette raison qu’il faut mettre en place une stratégie mondiale pour lutter contre le terrorisme : « la Tunisie est sur la première ligne de défense et l’Europe a compris cela », a-t-il assuré.

Concernant la femme, le président Béji Caïd Essebsi a précisé que la femme est l’égal de l’homme sauf en ce qui concerne l’héritage. Et de conclure: «Nous avons adopté une Constitution pour un Etat civil sans aucune référence religieuse »

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