Interview Marzouki à Attassia : comment démêler l’écheveau ?

Interview Marzouki à Attassia : comment démêler l’écheveau ?

 

La chaîne dit dans un communiqué lu par son directeur général Moez Ben Gharbia qu’elle a fait l’objet de pressions de la part de ministres du gouvernement (Chahed) et de conseillers de la présidence de la république pour que l’interview ne soit pas diffusée. Il nous promet de révéler les noms de ces responsables dans peu de temps. Mais pourquoi ne le fait-il pas tant que le fer est chaud ? Vingt quatre heures plus tard, convoqué par la HAICA, il a réitéré les mêmes accusations, sans, toutefois, fournir aucun nom.

La première interrogation qui saute à l’esprit. Que craignent le gouvernement et la présidence des propos de l’ancien président provisoire. A l’évidence, peu de choses car Moncef Marzouki a un discours bien rodé qu’il ne fait que répéter à travers ses écrits et ses prestations radiophoniques et télévisées. D’ailleurs il ne s’en est jamais privé. Aurait-il quelque chose d’important ou de fracassant à dire que plusieurs chaînes notamment Al-Jazeera ou France 24 lui ouvriraient leurs antennes et au niveau audience, celles-ci bénéficieraient autant sinon davantage de spectateurs-auditeurs que la chaîne Attassia.

Alors prétendre comme l’a fait l’un des journalistes de la chaine, Borhéne Bsaies, avant de se rétracter que des têtes tomberaient en raison des affirmations de l’ancien chef de l’Etat est évidemment exagéré et forcément insignifiant. Profitant des tribunes qu’on lui a offertes pour parler de l’affaire de la censure supposée de son interview il a dit des généralités qui ne sortent pas de son répertoire.

Donc pourquoi des pressions pour qu’Attassiaa ne diffuse pas une interview déjà enregistrée. Il faut être réellement stupide pour un responsable quels qu’en soient le rang et la fonction d’intervenir même à titre amical pour arrêter la diffusion d’un programme déjà en boite comme on dit. Si cela devait effleurer les esprits c’est avant l’enregistrement pas après.

Puis de quelles pressions parle-t-on. On voudrait bien être avisé. On a parlé pêle-mêle de la réduction de la publicité publique, de tracasseries administratives ou de contrôle fiscal. Pourquoi tout de suite recourir à des solutions extrêmes, n’y a-t-il pas aussi une graduation y compris dans les pressions exercées sur les médias.

Puis quel est l’intérêt du gouvernement et de la présidence à recourir à de tels procédés. Pour faire taire l’ancien président, devrait-on imaginer des solutions pires que le mal, si mal il y a. Dans une société ouverte, comme la société tunisienne, est-il possible au moment de l’expansion des réseaux sociaux et des médias alternatifs de réussir à censurer une voix aussi discordante soit-elle. Moncef Marzouki peut à tout moment diffuser de sa voix une vidéo sur sa page Facebook pour que ses propos aient un retentissement instantané. Du reste tous les textes qu’il publie sont repris aussitôt par les médias et on l’a vu réagir à tout et avec célérité. Ce qui est son droit le plus absolu.

Puis pourquoi mêler en même temps le gouvernement et la présidence de la république à cette tentative de censure. Si la présidence risque d’être écorchée par les coups de griffe que ne manquera pas de lui lancer Moncef Marzouki, Youssef Chahed et son équipe ne sont là que depuis deux semaines et ils n’ont pas entrepris quelque chose qu’on puisse leur reprocher aussi rapidement. A moins de leur faire des procès d’intention. L’ancien président est assez intelligent pour ne pas tomber dans ce travers. A moins de vouloir accréditer l’idée d’une présidentialisation du régime. Ce qui reste à prouver car jusqu’ici tout a été entrepris dans le respect de la Constitution. Les médias restent vigilants pour dénoncer tout éventuel dérapage sur ce plan.

Et si tout cela a été échafaudé pour des desseins bien déterminés ! Dans cette histoire abracadabrantesque, il y a des intérêts convergents. Ce sont ceux de la chaîne Attassiaa et de Moncef Marzouki et son parti Harak-el-Irada. La chaîne, malgré les efforts entrepris pendant le mois de ramadan stagne de nouveau et n’arrive pas à décoller. On se rappelle que le 4 octobre 2015 Moez Ben Gharbia a diffusé à partir de la Suisse une vidéo dans laquelle il a annoncé qu’il faisait l’objet d’une tentative d’assassinat le 29 septembre précédent tout en menaçant de faire des révélations fracassantes sur l’identité des assassins de Chokri Belaid et Mohamed Brahmi. Des propos qui ont tenu en haleine les Tunisiens avant qu’ils ne se rendent compte que tout cela n’était que de la poudre aux yeux. La seule explication qu’on leur a avancé c’est que l’auteur de ces propos était dans un état dépressif et qu’il ne pouvait être tenu compte de ce qu’il a dit. On remarque que les deux faits se sont passés à la rentrée télévisuelle. N’est-ce pas une manière de faire du buzz en vue d’impulser l’audience de la chaîne qui n’arrive pas à démarrer réellement.

La question qui se pose d’ailleurs est pourquoi avoir choisi ce moment pour programmer une interview avec Moncef Marzouki. La question mérite d’être posée car rien dans l’actualité ne donne une justification à un entretien avec l’ancien président provisoire. Puis pourquoi avoir prévu une interview pré-enregistrée. A moins d’avoir été une condition posée par l’interviewé, un entretien enregistré perd vite de son intérêt. Il perd en actualité et il perd son caractère naturel. D’ailleurs Marzouki a l’habitude du direct et il n’aurait rien trouvé à redire si telle était la décision de la chaîne. Le direct nous aurait épargné toute cette histoire rocambolesque. Mais en recourant à l’enregistrement Attassia ne voulait-elle pas faire monter la mayonnaise et créer l’histoire de toute pièce.

Quant à Moncef Marzouki et son parti, l’occasion est trop belle pour qu’il n’essaie pas d’en profiter. La « victimisation » est la voie la plus facile pour obtenir les faveurs du public. Dans le cas d’espèce le gain est double. Moncef Marzouki et les siens ne défendent pas seulement leur droit à la parole et à l’existence sur la scène politique mais ils défendent surtout la liberté d’opinion, de presse et d’expression, le seul acquis palpable de la révolution. Ils acquièrent ce faisant la sympathie des Tunisiens et se posent en victimes de la contre-révolution en marche. Tout ce qu’ils veulent accréditer depuis qu’ils ont été exclus du pouvoir qu’ils croient avoir gagné de haute lutte.

S’il y a un an on a vite fait de tourner la page des déclarations tonitruantes de Moez Ben Gharbia en leur mettant sur le dos du délire paranoïaque, il ne faut pas qu’il en soit de même cette fois-ci. Il importe que les responsables de cette histoire soient identifiées et assument leurs torts. Car ce qu’ils viennent de commettre a des conséquences négatives sur l’image du pays et le prestige de ses dirigeants.

Cependant il ne faut pas se leurrer, la liberté d’opinion, de presse et d’expression n’est jamais acquise définitivement. Elle est la résultante de deux sortes de résistance, la résistance de tous les pouvoirs (politique, de l’argent et autre) à la divulgation des vérités(bonnes ou mauvaises à dire) et la résistance de la société (dont les journalistes sont la force de vigilance) devant les pressions dont usent les pouvoirs pour faire taire toutes les voix surtout discordantes. Il s’agit donc d’un combat de tous les instants qui n’est jamais gagné d’avance.

RBR

 

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