La situation en Tunisie après l'attentat de Sousse vue par une spécialiste française

La situation en Tunisie  après l'attentat de Sousse vue par une spécialiste française

 

Le journal français en ligne le Fiagaro fr a publié, dans sa livraison du vendredi 23 juillet, une interview très intéressante sur la situation en Tunisie après l’attentat terroriste de Sousse, de l’universitaire et spécialiste  en questions internationales Anne-Clémentine Laroque qui est également maitre de conférences à sciences po et auteur de Géopolitique des islamismes. Nous  en livrons quelques extraits à nos lecteurs.

A une question où en est la Tunisie, un mois après le terrible carnage, elle a répondu que « tout le pays a été déstabilisé par ce terrible attentat. On a trop peu dit dans les médias français combien les Tunisiens ont fait preuve de courage pendant ces tragiques événements: que ce soit pendant l'attaque, lorsque certains d'entre eux ont constitué une chaîne humaine pour protéger les touristes occidentaux, ou le lendemain, lors des grandes marches organisées dans le pays manifestant la solidarité du peuple tunisien contre les terroristes ».

Le scénario égyptien improbale en Tunisie

Après avoir passé en revue, avec des détails près, les mesures prises par le gouvernement, après le choc de Sousse, elle a indiqué que malgré l’état d’urgence « le renforcement extrême de la sécurité n'est pas assez visible. Environ 1000 policiers ont été ajoutés au dispositif de sécurité, mais c'est tout le fonctionnement interne des forces de sécurité intérieures (FSI) qui pose problème. Pour le gouvernement actuel, l'urgence est à la réforme des FSI. C'est moins un problème de moyens que de formation: la police formée du temps de Ben Ali a été habituée à réprimer plus qu'à protéger. Le vrai défi est l'acquisition de nouvelles pratiques sécuritaires, d'une expertise, d'une formation des FSI qui doivent s'adapter à la donne démocratique. La démocratie est en train de s'organiser et le gouvernement a conscience des lacunes mais aussi des projets à lancer ».

Questionnée sur l’éventualité d’un scénario à l'égyptienne ou à l'algérienne (prise de pouvoir par l'armée) puisse avoir lieu en Tunisie, elle  a affirmé que l'histoire de l'État tunisien, de ses relations avec l'armée, avec les syndicats -très influents politiquement- et surtout l'avancée du processus de démocratisation depuis 2011, offrent des perspectives qui demeurent plus rassurantes ».

Ennahdha et l'habileté de Rached Ghannouchi 

Concernant « l'image d'Ennahdha, le parti islamiste en lien avec les frères musulmans » et si elle a pâti après la vague terroriste qui s’abat sur le pays, elle pense que le mouvement islamiste  «  avec 69 députés élus  partage avec Nidaa Tounes, la formation politique majoritaire, un objectif très clair: lutter contre le terrorisme. Entre 2011 et 2013, le parti islamiste a démontré une position ambiguë: par pragmatisme, il a gardé des liens avec les franges salafistes et n'a pas agi contre la radicalisation de certains messages lancés à la société tunisienne. Après des attaques terroristes contre des politiques et les forces de sécurité, la position d'Ennahda a évolué. L'interdiction en mai 2013 du meeting des salafistes à Kairouan, a marqué la rupture officielle d'Ennahdha et des salafistes, notamment avec les djihadistes d'Ansar-al-charia, classée depuis organisation terroriste ».

Quant à « Rached Ghannouchi, le chef d'Ennahdha il a condamné très fermement les attentats du Bardo et de Sousse. Les djihadistes considèrent d'ailleurs aujourd'hui que les membres d'Ennahdha sont des traitres et des mécréants ».

Toujours à propos d’Ennahdha, elle a précisé « le parti islamiste Ennahdha réprimé sous la dictature de Ben Ali, a trouvé un succès très important au moment de la Révolution. La société tunisienne n'est pas monolithique, elle vit une vraie transition à la fois politique, sociétale mais aussi confessionnelle. La sécularisation lancée depuis l'ère Bourguiba et l'existence du conservatisme religieux doivent être pris en compte pour comprendre la singularité du cas tunisien. Les islamistes ont perdu le pouvoir suite aux élections législatives de fin 2013 au profit de l'opposition ; mais ils ont accepté cette donne électorale.

Aujourd'hui, les nahdaouis (partisans d'Ennahdha) affirment vouloir accepter le jeu politique, respecter la Constitution qu'ils ont votée, notamment la liberté de conscience ».

« Par ailleurs, Ennahda demeure un parti qui, malgré son échec en 2013, reste très puissant, très bien organisé et qui bénéficie de l'habileté et du rayonnement international de son chef Rached Ghannouchi. Si les cadres du parti parviennent à satisfaire les revendications de la frange des jeunes militants du parti, la pérennité du mouvement Ennahdha est bien sûr envisageable. Leur projet est de continuer de s'affirmer en tant que «parti politique centriste» -expression qu'ils utilisent-, en continuant de travailler pour la relance de l'économie tunisienne, cause majeure de leur précédent échec, tout en invoquant les principes islamiques dans leur pratique politique ».

Une note gaie

Elle termine l’interview sur une note gaie pour l’avenir de la Tunisie et ce bien qu’il demeure incertain, en raison des nombreux défis dont la « réalisation dépendra d'une capacité des gouvernants à réformer, affiner le système actuel, surtout en terme de sécurité. Dans le domaine institutionnel, la mise en place d'une cour constitutionnelle pour protéger la Constitution et donc les citoyens, est essentielle et urgente ».

Sur le plan économique, ajoute-t-elle, « la Tunisie a besoin de moyens et attend une concrétisation des promesses lancées par les États-Unis, l'Union Européenne, en la matière… Cette aide est centrale pour l'avenir de la démocratie tunisienne car son prochain enjeu est de parvenir à s'ancrer localement».

« Les prochaines élections seront d'ailleurs locales et devront concrétiser le nouveau découpage territorial décidé récemment. Une démocratie de proximité permettrait une consolidation de l'action établie à l'échelle nationale, et sûrement une garantie de lutter de manière plus efficace contre les groupes terroristes qui prolifèrent aux frontières libyenne et algérienne ».