Le bilan de la BCT sous Tawfik Baccar vu par un ancien directeur général

Le bilan de la BCT sous Tawfik Baccar vu par un ancien directeur général

 

Nous avons reçu de Samir Brahimi ancien directeur général à la Banque Centrale de Tunisie, l’opinion suivante où il analyse le bilan de l’ancien gouverneur Tawfik Baccar.

Je n’ai pas l’habitude de suivre les plateaux télévisés des chaines tunisiennes. C’est que je trouve les débats souvent austères et parfois exagérément passionnés. 
Dimanche dernier, j’ai dérogé à la règle…non sans regret d’ailleurs. C’était juste pour répondre à l’aimable invitation de l’un de mes collègues au Centre de Prospective et d’Etudes sur le Développement (CPED). L’émission s’appelle, si je ne me trompe, « لمن يجرؤ فقط ».
Je veux réagir ici par rapport aux propos de l’invitée principale de l’émission qui en substance, doutait des performances des gouverneurs Nabli et Baccar et au-delà en réalité, des performances de la Banque Centrale et déclarait par ailleurs, que le premier n’a fait que poursuivre l’œuvre du second ! 
Je n’ai pas l’intention de prendre la défense ni de l’un ni de l’autre. Je crois que pour peu qu’ils veuillent souscrire à la tentation, tous deux disposent de suffisamment d’art et surement, beaucoup plus que moi, pour apporter la contradiction.
Tout le monde n’ignore pas que le mandat du gouverneur Nabli fut écourté, tant et si bien qu’il relèverait de l’abus, de faire un bilan pertinent et crédible de son passage, encore que cela dit en passant, l'affirmation selon laquelle il a continué la même politique de son prédécesseur me parait relever d'une connaissance approximative de la chose monétaire, car le gouverneur Baccar a mené une politique monétaire « restrictive », dans un contexte de sur liquidité en vue de juguler l'inflation et préserver un cadre macroéconomique stable, alors que son successeur a conduit une politique monétaire « expansive », comme l'atteste la baisse du taux directeur à deux reprises , dans une tentative qui, hélas, s’est avérée vaine, de soutenir les investissements et les entreprises alors que le contexte était marqué par un déficit manifeste de confiance chez les opérateurs, l’acuité des mouvements sociaux et un climat d’insécurité sans précédent.
Mais, il relèverait davantage de l’abus de s’attaquer au bilan du gouverneur Baccar (qui, par contre, a achevé son premier mandat (6 ans) et entamé pour une année, le second), sans pour autant tenter de faire la moindre démonstration sur un prétendu échec de la Citadelle sous sa gouvernance.
En tant que haut cadre ayant côtoyé depuis plus de trente ans, les questions économiques, financières et monétaires du pays avant et après 2011, tantôt témoin et tantôt complice, je ne peux m’empêcher de faire la lumière sur la question. Moez Joudi a bien fait d'apporter sur le vif, les répliques utiles. Mais, comme je dispose de plus de temps, de plus de recul, je suis tenté d’aller plus au fond des choses.
A l’orée du changement politique intervenu en 2011, la présomption de malfaire levée contre l’Administration « pré révolutionnaire » était facile à diriger, et pour des considérations de positionnement dans le nouvel échiquier du pouvoir, elle pouvait même réclamer, opportunisme politique aidant, quelque légitimité. Aujourd’hui, ce discours est en perte totale de crédibilité, ne convainc plus les Tunisiens et relèverait soit d’une méconnaissance des choses, ce qui serait peu admissible pour tout acteur politique, soit d’une attitude en quête de bienveillance.
Le privilège du monde de l’économie, de la finance et de la monnaie, tient fort heureusement à ceci que les performances et les contre performances sont quantifiables, mesurables et donc objectivement comparables. Du coup, il est pour la circonstance, un exercice si simple, celui de comparer, que ses résultats relèveraient plutôt, de ces évidences immédiatement perceptibles, de ces « lapalissades ».
Faisons tout de même l’exercice, car il peut toujours servir au lecteur.
Nul doute que la contribution de la Banque Centrale sous la gouvernance du gouverneur Baccar, aux performances de la Tunisie au plan macroéconomique, financier et monétaire fut réelle et éminemment positive. Conformément à ses anciens statuts, elle était en effet impliquée, à travers le Conseil des ministres notamment, où elle siégeait régulièrement, dans la conception et la coordination des politiques macroéconomiques (politiques budgétaire, monétaire et de la balance des paiements). Le gouverneur Baccar lorsqu’il débarqua à la rue Hédi Nouira, apporta dans ses valises, une longue expérience acquise au Ministère du développement, puis au Ministère des finances. Un profil enviable et un spectre d’expertise assez rare. 
Macroéconomie, d’abord,
Sous sa houlette, celle de certains de ses pairs aussi, le pays de l’époque a réussi à mettre en place un cadre macroéconomique stable et propice à la compétitivité des exportations, à l’IDE, à la préservation du pouvoir d'achat et partant, à une croissance dans le cadre d'équilibres financiers intérieurs et extérieurs maîtrisés et une dette en nette régression. 
La croissance a atteint en moyenne 4.5% entre 2000 et 201O ; l'inflation n'a pas dépassé 3.5% et la dette extérieure a été ramenée de 55% à 37% du RNDB. J’ose dire sans ambages que le gouverneur Baccar a été en dix ans, sinon l'auteur principal, en tout cas l’un des personnages les plus marquants, dans l’œuvre d’assainissement des finances publiques et des comptes extérieurs ; un assainissement que la Tunisie s’en est vite départi depuis 2011, à cause des politiques menées par ceux là même qui aujourd'hui, diabolisent les élites d’alors.
Depuis 2011, le pays compte 26 MD de dette supplémentaire et a dépensé 5,2 MD laissés dans la cagnotte à fin 2010 et 2 MD provenant de la vente des biens confisqués (Tunisiana, BT etc.), soit au total 33.2 MD. Qu’en a-t-on fait, sinon pour l’essentiel, recruter 190.000 personnes (100.000 au titre uniquement de 2012) dont des repris de justice, sans que le Ministère de la fonction publique, à qui ressortit la compétence en la matière, ne dise mot.
Finance, ensuite
Sur ce plan, la contribution du gouverneur Baccar ne fut pas moins positive lorsque le pays fut sauvé de main de maître, de la crise financière internationale de 2007 /2008, la Tunisie contrairement à plusieurs autres pays, n'ayant pas connu en effet, d'impacts négatifs directs de cette crise.
Le pays est parvenu par ailleurs, à améliorer sensiblement sa notation souveraine, réussissant à obtenir la notation « A –», pour la première fois dans l'histoire de la Tunisie, ce qui l’a autorisé en 2007 à mobiliser sur le marché international, un prêt sur 20 ans pour une marge de 75 points de base alors que nos députés de 2014, ont voté un emprunt de 1 milliard de dollars remboursable sur 10 ans seulement, soit la moitié de la maturité, pour une marge de 520 points de base. Un énorme dégât. 
La critique, fondée cette fois-ci, aurait mieux été adressée à l’adoption de conventions de crédit pour un montant additionnel de 25 MD et en particulier, la convention de crédit auprès du FMI et le crédit de 1M de dollar précité. 
 Monnaie et banque, enfin 
Sur ce plan, il serait difficile de dénombrer les réalisations. Je me suffirai toutefois, de ces quelques indicateurs. 
Les bénéfices de la BCT, encore que cela ne soit pas son objectif principal, sont passés de 100 MD en 2003 avant l’arrivée du gouverneur Baccar, à une moyenne de 250MD durant son mandat.
Les réserves en devises sont passées de 3300MD à fin 2003 à 13003 MD à fin 2010 représentant 9 milliards de dollars alors qu'aujourd’hui et malgré le volume des emprunts extérieurs supplémentaires de 26 MD contractés, les réserves en devises ne dépassent pas 5 milliards de dollars.
La part des actifs accrochés des banques est revenue de 25% des engagements bancaires en 2003, à 13% seulement en 2010, pour connaitre hélas de nouveau, une tendance haussière et s’établir à 16,6% à fin 2015. 
Au demeurant, le mandat du gouverneur Baccar fut marqué par la grande révision des Statuts de 2006 ; révision qui a permis de réécrire le mandat de la Banque centrale notamment en consacrant la stabilité des prix comme objectif final de la politique monétaire, (ii) d’interdire les avances accordées au Trésor, renforçant ainsi l’indépendance de l’Institution (iii) de consacrer en tant que pendant à l’indépendance de la politique monétaire, le principe de «redevabilité» (Accountability) vis-à-vis du public et du pouvoir législatif, et de soumettre la Banque à un audit externe indépendant.
« Je comprends le sens de l'humilité disait de Saint-Exupéry. Elle n'est pas dénigrement de soi. Elle est le principe même de l'action ».
Bonne année à tous et souhaitons à notre économie qu’elle sorte de l’atonie, que 2017 soit pour elle, celle de la convalescence, en espérant que très vite, elle retrouvera et pour longtemps, jouvence et prospérité.

Samir Brahimi, ancien directeur général à la Banque Centrale

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