Le retour triomphal de Bourguiba : Un scénario digne des plus grands films

Le retour triomphal de Bourguiba : Un scénario  digne des plus grands films

 

Quand Pierre Mendès France arrive à Carthage le 31 juillet 1954 pour proclamer devant Lamine Bey la reconnaissance de l’autonomie interne de la Tunisie, il n’y a peut être que Bourguiba encore en résidence surveillée au Château de la Ferté à Amilly à 110 km de Paris où il a été transféré de l’ile de Groix à imaginer déjà le scénario de son retour en Tunisie. Un nouveau gouvernement conduit par Tahar Ben Ammar auquel le Néo Destour participe par quatre membres est constitué pour mener les négociations en vue de mettre en exécution la promesse de la France.  Bourguiba, le chef du parti  dont l’autorité morale est incontestable,  est autorisé à séjourner à Paris dans le même hôtel que la délégation destourienne qui lui rend compte au jour le jour des pourparlers en cours et reçoit ses consignes. Même si le gouvernement PMF tombe, le nouveau président du conseil Edgar Faure poursuit les négociations qui s’achèvent le 31 mai 1955.

Quand le bateau accoste c’est la cohue

Alors que la cérémonie de signature des accords portant sur l’autonomie interne est fixée au 3 juin, Bourguiba devance l’événement en décidant de rentrer à Tunis. De Marseille,  il embarque sur le « Ville d’Alger ».  Le scénario de son retour est digne des grands films. Arrivé en rade de la Goulette, le paquebot est accueilli par de petites embarcations où étaient agglutinés des centaines de Tunisiens venus saluer le chef de la Tunisie libre. L’homme aux yeux bleus reconnaissable avec son Fez rouge vif, les yeux embués de larmes répondait aux acclamations en agitant son mouchoir blanc. Les photographes étaient là pour immortaliser  ces moments historiques.  Quand le bateau accoste, c’est la cohue sur l’échelle de coupée d’où le leader devait débarquer pour retrouver le sol de son pays.  Une des filles du Bey envoyé par son père devait faire les coudes pour se trouver un passage. Elle tenait à  monter à bord pour accueillir Bourguiba. 

Un service d’ordre formé de jeunes destouriens était  à pied d’œuvre pour éviter que la fête ne soit perturbée.  La Tunisie était encore un protectorat et les colons n’ont pas  admis l’accession du pays à l’autonomie.  D’autres destouriens menés par le secrétaire  général  du Néo Destour, Salah Ben Youssef  étaient opposés à l’autonomie interne considérée comme un pas en arrière. D’où une nécessaire vigilance.  Soit dans un land rover découvert  avec à ses côtés des camarades mais aussi son fils Habib Junior  dit Bibi, soit sur le dos d’un fier destrier emmené spécialement pour l’occasion par Caïd Lajimi le notable des Jlass en portant  le chapeau fleuri des Hmama, Bourguiba était accueilli  dans les rues de Tunis par une marée humaine. A cheval escorté des cavaliers Zlass, Hmama et Ouled Boughanem, il était déjà aux anges.

Il a pris des leçons d’équitation

Jamais de mémoire de contemporains de cette journée historique, Tunis n’avait contenu un aussi grand monde. Peut-être cent mille, peut –être cinq cents mille, venus de toutes les régions du pays. A l’époque toute la Tunisie ne  comptait que trois millions d’âmes. C’est dire. Emporté par cette marée humaine  de vague en vague le cortège de Bourguiba a parcouru les rues de la ville européenne comme arabe avant de parvenir au domicile de Bourguiba à Rahbet el Ghenam, la Place aux moutons, où une tente était dressée pour permettre au  « Combattant Suprême » de s’adresser à la foule compacte qui a suivi son cortège jusqu’ au bout.

La  grande chaleur de cette journée ensoleillée du début de l’été n’a  pas empêché la foule des grands jours  de faire un triomphe à Bourguiba. « Nous fûmes des centaines de milliers à l’acclamer, interminablement, dans un immense délire » témoigne l’ancien ministre  Tahar Belkhoja  présent en ce jour mémorable.

Encore aujourd’hui, la question qui se pose : comment le scénario du retour de Bourguiba  a été imaginé et de quelle manière il a pu être mis en application. L’improvisation n’était pas possible. D’ailleurs le leader du Néo Destour savait qu’il allait monter sur un cheval, c’est pourquoi on assure  qu’il a pris des leçons d’équitation dans la banlieue  de Paris avant d’embarquer sur le « Ville d’Alger ».  Comment tout cela a été organisé et ordonné alors qu’à l’époque il n’y avait pas les moyens modernes de communication et le téléphone n’était pas à la disposition de tout le monde.

En tout cas la réussite de l’accueil a été totale  et Bourguiba arrivé chez lui était aux anges. C’est d’ailleurs cette journée, baptisée fête de la Victoire,  qui est choisie comme fête nationale par Bourguiba arrivé au pouvoir. Elle est préférée à la journée de l’indépendance, le 20 mars 1956 ou à la proclamation de la République le 25 juillet 1957. Le 3 juin 1955, les conventions  de l’autonomie interne sont signées à Paris dans l’indifférence générale. Déjà, Bourguiba avait l’esprit ailleurs. Il pensait à la prochaine étape, l’indépendance totale. Ce sera chose faite moins de  dix mois plus tard, le 20 mars 1956. La politique  des étapes, c’est ça aussi Bourguiba.

Raouf  Ben Rejeb

 

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