Lettre ouverte de Gilbert Naccache à Essebsi et Marzouki

Lettre ouverte de Gilbert Naccache à Essebsi et Marzouki
 
Gilbert Naccache, penseur de gauche tunisien, a publié sur sa page officielle Facebook, une lettre ouverte à l'adresse des deux candidats au second tour de la présidentielle, Béji Caïed Essebsi, leader du mouvement Nidaa Tounes et Mohamed Moncef Marzouki, président sortant et candidat à sa propre succession.
 
Naccache a profité de l'occasion pour appeler les deux candidats à réaliser les objectifs de la révolution une fois, à la tête de Carthage. Il les a invités également à s'occuper sérieusement du dossier des martyrs et blessés de la révolution, celui de la justice transitionnelle outre le fait de s'ériger comme le garant des droits et libertés.
 
Voici dans ce qui suit l'intégralité de la lettre en question:
 
"Depuis le fameux cri « Le peuple veut » (Acha3b Yourid) qui a rythmé la révolution du 17 décembre 2010, les principaux acteurs de la scène politique semblent avoir oublié qu’ils doivent tout à celles et ceux qui, inlassablement, criaient leur volonté de changement, leur soif de liberté, de dignité, d’égalité, de travail. La classe politique s’est largement préoccupée d’accéder au pouvoir suivant exclusivement leurs propres intérêts partisans.
 
En cette période de campagne électorale pour le second tour de l'élection présidentielle, nous, Tunisiennes et Tunisiens considérons essentiel de rappeler que, le futur Président de la République devra être au service du peuple, « seule source de souveraineté » selon la constitution.
 
Il est regrettable de constater que d’une part les candidats «affichent » une volonté démocratique et disent vouloir la mettre en pratique, et d’autre part ne sollicitent que très peu la parole du citoyen qui semble ainsi négligeable. Un état des faits qui est à l’origine de l’indifférence de tant de Tunisiennes et Tunisiens vis-à-vis des élections.
Aussi, las d’assister sans possibilité de s’exprimer à un échange où, se parant de nombreuses vertus, chaque candidat charge l’autre de tous les péchés du monde, les citoyennes et citoyens tunisiens soussignés déclarent solennellement vouloir prendre la parole pour exprimer ce que devrait faire un candidat à leurs suffrages pour mériter la confiance populaire.
 
En d’autres termes, indépendamment de ce que l’on puisse penser du passé politique de l’un ou l’autre des candidats, il leur est demandé de se prononcer sur leur engagement pour les points exposés ici, et ceux que pourraient définir d’autres citoyennes et citoyens.
 
Le pouvoir du président ne vient que du peuple et de sa révolution. 
 
• Son premier devoir est de reconnaître la place des martyrs et des blessés de cette révolution, non en faisant acte d’une charité intermittente ou en délégant à des intérêts financiers privés, mais en prenant des mesures institutionnelles . Une instance indépendante, soutenue matériellement et moralement par les autorités politiques, aurait à gérer l’ensemble de ce dossier et à traduire concrètement la reconnaissance du pays de la dette qu’il a vis-à-vis des martyrs et des blessés.
 
L’urgence de la prise en charge continue et permanente des blessés impose le soutien à une instance de la société civile, comprenant des représentants des blessés et des familles de martyrs de la révolution, ayant à sa disposition les structures médicales et sociales nécessaires, disposant de la participation de tous les intervenants médicaux et paramédicaux, en particulier en matière psychiatrique et psychologique, dont l’action sera coordonnée avec celle de l’instance évoquée plus haut.
 
Le président aura un rôle très important dans l’encouragement, le suivi et le contrôle de cette action, il sera le garant de sa réussite.
 
• Le président est aussi le garant de la constitution. A ce titre, le candidat à ce poste doit s’engager dans une mobilisation permanente pour protéger leslibertés des Tunisiennes et des Tunisiens : en s’assurant d’abord de la traduction dans les textes de loi des différentes libertés reconnues par la constitution, et en promulguant rapidement ces lois. Il doit s'engager aussi à garantir, et à faire appel aux institutions, mais aussi au peuple, que les fonctionnaires chargés d’appliquer les lois le fassent loyalement, en dehors de toute corruption, sans abuser de leur pouvoir aux dépens des justiciables. Ceux-ci doivent être rassurés sur la fidélité du président à ces principes et sur son intransigeance quant aux sanctions de tous les dépassements : agressions, vols, séquestrations, viols, tortures… Ces dernières doivent totalement être proscrites, sans qu’aucune justification, même au nom de la lutte contre le terrorisme, ne puisse en être faite.
 
• Dans ce rôle de garant de la constitution, le président aura aussi une responsabilité, de façon urgente, dans le maintien, la défense et la protection de l’instance Vérité et dignité, qui n’a cessé de faire l’objet d’attaques, pour en empêcher le fonctionnement. Le candidat devra faire connaître sa volonté de défendre cette instance et d’assurer le fonctionnement de la justice transitionnelle, et de permettre ainsi au peuple tunisien de récupérer son histoire…
 
• La constitution a également défini la base de la souveraineté populaire dans la décentralisation et le pouvoir local : il reviendra au président de lutter pour que soit concrétisée cette disposition constitutionnelle essentielle, celle qui sera le mode de passage progressif du pouvoir du gouvernement central vers les régions, les localités, vers le peuple, et qui permettra à celui-ci de se mobiliser en pratique pour estomper les inégalités régionales, en attendant de les effacer complètement.
 
Le futur président aura certainement de nombreuses autres responsabilités, en rapport avec les objectifs de la révolution. C’est en gardant toujours le regard fixé sur ces objectifs qu’il pourra mériter le titre de président de la révolution tunisienne.
 
Oui, à un candidat qui s’engage aujourd’hui sur les objectifs définis plus haut, et qui ne cessera d’écouter les Tunisiens « d’en bas »."