Médias et politique : les censeurs ne gagnent jamais

Médias et politique : les censeurs ne gagnent jamais

Les hommes politiques toutes obédiences confondues montent sur leurs grands chevaux toutes les fois qu’ils sont en cause pour quelque raison que ce soit avec les médias. Mais ils ne se rendent pas que, ce faisant, ils se font du tort à eux-mêmes car jamais on ne gagne jamais contre les journaux et les journalistes.

Je fais ces remarques suite à la réaction épidermique de Rached Ghannouchi et son parti Ennahdha à la suite de la publication par le site Inkyfada de révélations sur les actionnaires de la chaîne de télévision TNN citées dans les « Panama Papers ». Dans ses investigations à ce sujet, le site découvre  les noms de Rached Ghannouchi, de son  gendre Rafik Abdessalam et de son conseiller Lotfi Zitoun.  Aucun de ceux-là n’est impliqué dans des affaires frauduleuses quand bien même ils ont été en affaire ou en relation avec les actionnaires précités il y a d’ailleurs plusieurs années de cela.

En s’empressant de dénoncer avec un langage à la limite de l’acceptable et avec un vocabulaire qui rappelle un autre âge, Rached Ghannouchi ne sait pas qu’il fait bien malgré lui une publicité gratuite au site. Jamais, j’en suis sûr celui-ci n’a reçu autant de visiteurs qu’à l’occasion de cette publication. De plus il donne du crédit à l’amalgame qu’il cherche pourtant à dénoncer. « Il n’y a pas de fumée sans feu » dit le proverbe bien de chez nous.

Alors il a beau crié avec force son innocence et dénoncer une machination, rien n’y fait. Pour le tunisien, le fait qu’il ait réagi de la sorte c’est qu’il a quelque chose à cacher. « Qui se sent morveux se mouche » dit le proverbe français. Alors pour le commun des mortes,   coupable il est coupable il le restera. En disant : « Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose », Joseph Goebbels, le ministre de la propagande d’Hitler pense certainement à cette manière de contrer la calomnie et qui finit par l’accréditer.

Dans ce genre de situation, il faut raison garder et faire la balance entre ce qu’on peut gagner ou perdre en prenant une position ou une autre et décider en conséquence.

D’abord une réaction négative envers la presse est toujours perçue comme une manière de censurer la liberté d’expression. Alors éviter toute réaction intempestive et irréfléchie est dans ce cas le début de la sagesse. Car il faut prendre  en considération une vérité incontournable, l’homme politique veut toujours contrôler la presse alors que celle-ci cherche à s’émanciper de son emprise pour faire son travail au service de l’opinion publique. De ce point de vue, la presse a d’abord raison et rarement tort. C’est comme ça qu’on le veuille ou non.

Ensuite il faut, pour l’homme politique s’entend,  prendre garde  de ne pas donner aux autres des verges pour être battu. Car la première réaction des lecteurs est d’aller vers la source contestée. Ce qui revient, sans que cela ne soit l’intention première, une publicité gratuite.

 Le journal qui joue sur cette « publicité gratuite »  est « le Canard Enchaîné » en France. Cet hebdomadaire parisien n’accepte pas de la publicité et n’en fait pas lui-même. Il compte sur la publicité que ses « révélations » toujours recoupées lui rapportent. Il se réjouit toutes les fois qu’un homme politique lui intente  un procès car il gagne à tous les coups  et en même temps il bénéficie d’une publicité à plusieurs reprises : lorsque le procès est intenté, quand il passe devant les tribunaux et s’il est fait appel au jugement.  Trois fois plutôt qu’une.

Mais le pire n’est jamais loin. C’est lorsque la réaction est disproportionnée par rapport  au texte publié ou à l’enregistrement ou la vidéo diffusés. Cela peut se révéler être un boomerang qui finit par atteindre la personne qui le lance. Dans le cas d’espère, il semble que les conseillers de Ghannouchi parce qu’ils n’ont pas bien lu le texte d’Inkyfada en entier ne lui ont fait savoir que ces révélations ne le mettent pas en cause, ni lui même ni les autres Nahdhdaouis mentionnés non plus.

 Il aurait été mieux avisé s’il avait eu une réaction plus balancée. Pour dire qu’il prend bonne note des révélations et qu’il étudiera les moyens adéquats pour y répondre au cas où elles contiennent des accusations contre lui. Ou mieux ne pas réagir du tout et faire « fuiter » dans les médias que ces révélations ne le concernent pas, car s’il été en affaire avec les personnes impliquées dans des affaires frauduleuses, on ne peut rien lui reprocher. Tout au plus pourrait-il laisser à son gendre ou mieux à son conseiller répondre de façon laconique sans mettre en cause le site qu’il aurait pieux fait de féliciter pour le travail « remarquable » d’investigation auquel il a procédé. D’ailleurs Lotfi Zitoun, homme de médias a eu une réaction plus équilibrée que les deux autres.

Je ne sais pas si Rached Ghannouchi a écrit lui-même le communiqué  signé du « bureau » du président du mouvement ou si d’autres l’ont fait à sa place, ce qui est plus probable.  En tout cas, ce n’est pas très fameux.  C’est l’exemple même du texte qu’il ne faut pas écrire car il utilise des termes éculés et des qualificatifs tout à fait inappropriés. Le texte dénote  d’une totale déstabilisation et d’une peur bleue  des conséquences d’une telle implication. Ecrit sur le coup de la colère, il est mauvais. Ses conséquences risquent d’être tout aussi mauvaises.

Pour ma part et je parle d’expérience, l’homme politique qui réagit mal à ce que publie la presse et diffuse les médias audiovisuels  perd sur toute la ligne. Il s’en mord toujours les doigts.  On ne gagne jamais contre ceux qui sont censés être les gardiens de la liberté, la voix de ceux qui n’ont pas voix au chapitre.  C’est considérer comme de la censure et les censeurs ne gagnent jamais.

Raouf Ben Rejeb                        

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