Mohamed Akrout (PDG de l’ETAP): « La production de la Tunisie en pétrole ne cesse de chuter »

Mohamed Akrout (PDG de l’ETAP): « La production de la Tunisie en pétrole ne cesse de chuter »
 
 
Jamais dans l’histoire de la Tunisie, le pétrole n’a été autant un sujet d’actualité comme il l’est actuellement depuis le lancement sur les réseaux sociaux de cette fameuse campagne « Winou el pétrole ».
 
Une campagne très bien orchestrée visant à convaincre les Tunisiens que le pays dort sur une mer de pétrole et de richesses naturelles, qui sont néanmoins spoliées par les sociétés étrangères qui les exploitent, avec la complicité de parties tunisiennes corrompues ou vendues ! 
 
Cette campagne a divisé les Tunisiens. Nombreux parmi les révolutionnaires en particulier la soutiennent et demandent d’ouvrir ce sujet tabou des richesses du pays. Alors que d’autres y ont vu une grande manipulation pour détourner les Tunisiens de leurs vrais problèmes.  
  
Pour y voir plus clair à ce sujet, on s’est adressé au premier concerné par cette affaire, le PDG de l'Entreprise Tunisienne d'Activités Pétrolières (ETAP), Mohamed Akrout, qui a accepté de nous accorder cette interview :
 
Espacemanager: Comment jugez-vous cette campagne « Winou el pétrole » ?
 
Mohamed Akrout: C’est une campagne malintentionnée initiée par certains politiques pour détourner les Tunisiens de leur vrais problèmes et leur faire croire que le pays dort sur une mer de pétrole et sur d’autres richesses naturelles spoliées par de mafieuses sociétés étrangères avec la complicité de traitres tunisiens !
 
Ces politiques utilisent certains pseudo-experts dont la majorité n’ont rien à voir avec le domaine, pour faire croire aux Tunisiens que toutes nos richesses sont exploitées et que l’Etat n’a jamais rien fait pour défendre comme il se doit, les intérêts. Alors qu’ils savent que ce n’est pas vrai parce qu’il y a énormément de mensonges, d’exagération et de manipulation à ces sujets.
 
Il faut simplement demander aux politiques qui appellent à ouvrir les dossiers et à enquêter à ces sujets : « Qu’est-ce que vous avez fait lorsque vous étiez au pouvoir et pourquoi vous n’avez pas traduit ces dossiers devant la justice s’il y avait autant de malversations flagrantes ».
 
Tout n’est pas pourtant parfait. Il y’a certainement des zones d’ombres sur certains contrats dont celui de l’exploitation du champ Miskar par British Gaz. En plus le sujet de nos richesses naturelles qu’on dit spoliées par les sociétés étrangères a été toujours tabou ?
 
Il se peut qu’il y ait eu certaines erreurs sur certains sujets. Néanmoins, même s’ils ont eu lieu ce n’est pas une raison pour s’acharner sur tout un secteur, pour accuser les partenaires étrangers et les milliers de Tunisiens qui y travaillent de tous les torts et pour arrêter la production et ainsi aggraver encore plus le déficit énergétique du pays.
 
Il faut d’abord enquêter et s’il s’avère que les erreurs commises sont intentionnelles, ce sera à la justice de poursuivre les personnes impliquées car nul n’est au-dessous de la loi. D’un autre côté, au lieu d’accuser les gens, il faut essayer de comprendre dans quelle conjoncture et dans quelles conditions, ils ont pris leurs décisions avant de les juger.
 
 
 
 
Pour Miskar par exemple, l’ETAP devait payer 300 millions de dollars en tant qu’associé. Mais les responsables de l’époque ont préféré ne pas y participer pour des raisons qu’ils ont jugées logiques dans la conjoncture et les conditions de l’époque. L’Etat avait peut-être d’autres priorités et ne voulait s’engager sur le risque….Mais quoi qu’il en arrive, il est totalement erroné de dire que l’Etat ne perçoit rien de l’exploitation de ce champ. L’Etat perçoit sa redevance et les impôts (au moins 250 millions de dinars par an) et cela dépasse les 60%.... 
   
Ce qui alimente encore plus les doutes, c’est que même après la révolution, les Tunisiens ne sont jamais arrivés à connaître le vrai volume de leurs richesses naturelles. Pire encore, même lorsque l’ex-Chef du Gouvernement Hamadi Jebali a voulu intégrer la Tunisie à l’association de transparence internationale chargée des dossiers des énergies, son initiative a échoué pour des raisons obscures. Ce qui a évidemment ouvert la porte aux spéculations et aux polémiques ?
 
Je pense qu’on n’a rien à cacher au sujet des contrats et de la production de la Tunisie. D’ailleurs pour plus de transparence et afin d’éviter ce genre de manipulations malintentionnées, le ministère de l’Industrie procédera prochainement à la publication de tous les contrats pétroliers, et le volume de la production journalière sur son site officiel. 
 
Pour ce qui est de l’initiative de l’association de transparence internationale, l’ETAP a été la première à demander de l’intégrer après la révolution. Mais on nous a répondu que c’est aux Etats de le demander au nom de leur pays et non aux sociétés de le faire.  A mon avis, il ne faut plus hésiter à intégrer ce genre d’initiatives et à communiquer toutes les données sauf celles qui concernent les réserves stratégiques.
   
Qu’en est-il du volume réel de nos richesses naturelles. Y a-t-il réellement des découvertes importantes ? Est-il vrai qu’il y a des centaines de puits délaissés bien qu’ils contiennent du pétrole ?
 
Il ne faut pas se leurrer. La Tunisie est un pays à très faible potentiel. Depuis les années 1930 lorsque les explorations ont commencé sur notre sol, le taux de succès est en moyenne de 10%. Et même s’il y a toujours eu des découvertes, elles sont de petites tailles et à faible potentiel.
 
L’Etat a dès le départ choisi d’éviter les risques et de ne pas participer à l’exploration. Il accorde des permis à des partenaires étrangers selon la réglementation en vigueur et le code des hydrocarbures. Ces sociétés investissent dans l’exploration et le forage et dès qu’il y a des découvertes, l’Etat revient à la charge et il bénéficie de 55% de la production de chaque champ en plus des impôts.
 
Pour ce qui est de l’histoire des puits fermés ou inexploités au sujet desquels beaucoup d’encre a coulé, il y en a certainement quelques-uns pour diverses raisons dont la non rentabilité. En effet, une société économique préfère sans aucun doute fermer un puits qui ne produit que quelques barils par jour car le coût de son investissement et de sa gestion est de loin supérieur aux revenus générés par sa production.
 
Combien produit la Tunisie justement en pétrole et en gaz par jour et qu'en est-il de notre déficit ?
 
Notre production ne cesse de diminuer à raison de 10% par an en moyenne. En 2009, on était à quelque 81 mille barils produits par jour pour baisser en 2015, à 55 mille barils chaque jour en 2015, avant de baisser encore à 51 mille par jour en cette période à cause des récentes perturbations dans la région de Kebili qui ont impliqué l’arrêt de la production de deux puits.
 
Selon les estimations, on s’attend à ce que la production soit de 6 millions de tonnes, alors que la consommation sera de 10 millions de tonnes. Un déficit de 4 millions de tonnes sera enregistré et notre production ne couvrira que 60% de nos besoins.
 
La production de la Tunisie en gaz naturel atteint 6.9 m3 qui est consommée en totalité et ne couvre que 45% de la consommation locale. Ce qui nous oblige à importer 55% de nos besoins en gaz naturel de l'Algérie. 
 
A quoi est due cette chute de la production et quelles sont les solutions urgentes pour stopper cette hémorragie qui coûte très cher au pays ?
 
Cette chute est inévitable suite à la réduction du nombre de permis et du nombre des puits forés. En 2012, il y avait 49 permis accordés et actuellement ils ne sont que 36. L’exploration s’est arrêtée ou presque. En 2011, on a foré 11 puits alors qu’en 2014 on n’a foré que 3 puits. On ne peut pas espérer redresser la barre et améliorer notre production, alors que nous nous contentons de consommer notre stock sans ramener de nouvelles réserves. Il n’y a pas de visibilité. Il n’y a pas eu de nouvelles autorisations. Il n'y a pas eu de renouvellement de contrats et même les avenants n’ont pas été signés. Ceci sans parler du climat de suspicion qui certains ont voulu instaurer pour bloquer encore plus la situation.
 
Pour espérer redresser la barre, il faut impérativement que les activités d’exploration et de forage soient débloquées sinon notre production continuera à chuter.
 
Propos recueillis par Kais Ben Mrad