Mohamed Frikha: «Ma principale préoccupation est que la Tunisie retrouve son lustre d'antan»

Mohamed Frikha: «Ma principale préoccupation est que la Tunisie retrouve son lustre d'antan»
 
Ses motivations pour les législatives et la présidentielle, son rapprochement surprise avec Ennahdha, sa vision de la politique, son récent voyage en Chine avec Ghannouchi, ses projets pour la Tunisie et sa ville Sfax, son départ à la tête de Syphax airlines...
 
C'est avec une forte conviction doublée d'une rare aisance que Mohamed Frikha répond aux questions d'Espace Manager ! Le fondateur de Telnet et de Syphax airlines s'est ouvert à nous. Sans langue de bois, ni fausse modestie.
 
Entretien avec l'ancien pdg de Syphax airlines, tête de liste d’Ennahdha à Sfax 2 et désormais candidat pour la course au palais de Carthage!
 
Espace Manager: Vous êtes connu pour être un investisseur et un homme d'affaires, à partir de quel moment l'idée de vous lancer en politique vous a-t-elle traversé l'esprit? Qu'est-ce qui vous a motivé à prendre une décision pareille?
 
Mohamed Frikha: Vous savez, aujourd'hui notre pays vit une situation très peu enviable. Le devoir national m'impose de prendre part, selon les limites de ma capacité, à son sauvetage. Moi depuis longtemps, j'ai toujours compté sur moi-même. Il y a quelques années, j'ai réussi à doter le pays d'une plateforme technologique qui n'a rien à envier à celles des pays occidentaux. Puis, Syphax airlines a vu le jour en un temps record, alors que le pays vivait encore les conséquences de la révolution.
 
A travers mon expérience dans le privé, je crois avoir les capacités de réaliser de belles choses pour permettre à mon pays de connaître un grand décollage, aussi bien du point de vue économique que social.
 
Aujourd'hui, après la révolution, beaucoup se sont investis dans la politique sans en avoir les réelles compétences. Certains ont servi l'ancien régime et sont responsables du blocage actuel. D'autres ont régné mais n'ont pas été à la hauteur des attentes du peuple. Raison pour laquelle, je me suis investi dans cette mission, en me disant que le pays a besoin d'autres visages qui pourraient donner un nouveau souffle. A savoir une Tunisie qui fait travailler sa jeunesse, qui élève le niveau de niveau de ses fils et tenter de sortir l'économie du marasme.
 
Certains vous accusent d'avoir servi l'ancien régime, comme la plupart des hommes d'affaires !
 
Je n’ai jamais fait allégeance au régime de Ben Ali. D'ailleurs, même le Fonds 26-26 n'a jamais vu la couleur de mon argent. Même lors de mes déplacements à l'étranger, je me référais toujours à Bourguiba et jamais à Ben Ali.
 
En tant que chef d'entreprise, ne pensez-vous pas que la gestion d'un pays est différente de celle d'une entreprise? Pensez-vous pouvoir faire des miracles?
 
Je suis de nature pragmatique. Après la révolution, notre pays a besoin d'un bon analyste et d'un bon gestionnaire pour faire avancer les choses. Je suis prêt à surmonter toutes les difficultés afin de promouvoir cette image de la Tunisie moderne pétrie de jeunes compétents, de science et de technologie. 
 
 
           « Ennahdha a fait son mea culpa en reconnaissant ses erreurs de gouvernance. »
 
 
Ma principale ambition est que la Tunisie retrouve son lustre d'antan et devienne un pays souverain attaché à ses racines arabo-musulmanes, mais aussi ouvert sur le monde et les autres civilisations.
 
Vous avez dit tout à l'heure que certains n'ont pas été à la hauteur des attentes. Je devine qu'Ennahdha en fait partie. Pourquoi donc avez-vous accepté de vous rapprocher de ce parti, allant jusqu'à le représenter aux législatives?
 
Ce qu'on reprochait à Ennahdha c'est justement de ne s'être pas entourée de compétences dignes de ce nom. Ce parti a fait son mea culpa en reconnaissant ouvertement ses erreurs de gouvernance. Vous savez, on apprend toujours de ses erreurs, raison pour laquelle le parti islamiste essaye de se rattraper en s'ouvrant désormais aux compétences nationales.
 
Quant à mon rapprochement avec ce parti, je ne doute pas qu'il a pris de court nombre de personnes. En tant qu'homme d'affaires, il m'a été amené d'être en contact avec les personnalités politiques qui se sont succédé dans les différents gouvernements, d'Essebsi à Mehdi Jomâa. Et puis, il y a eu l'appel de l'UGTT qui a voulu que la prochaine étape soit économique. Donc en tant qu'homme d'affaires, il est tout à fait légitime que je me sente concerné. 
 
Beaucoup de personnes ont réagi en pensant à une ruée des hommes d'affaires sur la scène politique dans le seul et unique objectif de sauver leurs intérêts. Cela est totalement insensé, moi je vois plutôt cela comme une volonté de personnes rompues aux arcanes des affaires de mettre leurs compétences au service du pays. 
 
 
 
 
 
 
Raison pour laquelle, je n'ai pas réfléchi lorsque Ennahdha m'a sollicité. Si j'ai accepté aussi, c'est que je partage des choses avec ce parti, même si ce n'est pas à cent pour cent. Cela aurait pu être Nidaa Tounes, seulement c'est Ennahdha qui m'a sollicité. Ce que j'ai accepté dans l'intérêt du pays et de ma région.
 
Beaucoup de gens ont très mal réagi quand ils ont appris mon adhésion à Ennahdha, c'est tout simplement parce qu'ils ne s'y attendaient pas. Pourtant je n'étais pas le seul homme d'affaires à avoir adhéré aux partis, mais ce qui est paradoxal et injuste, c'est que je sois le seul à être attaqué de toutes parts. Ce qui est anti-démocratique ! En tant que Tunisien, n'ai-je pas les mêmes droits que les autres concitoyens ?
 
Vous déclarez être candidat indépendant à la présidentielle, alors que pour les législatives vous roulez pour Ennahdha. N'y a-t-il pas contradiction ?
 
Vous savez, concernant les législatives, Ennahdha a fait appel à plusieurs personnalités et hommes d'affaires indépendants. J'ai accepté, parce que je voulais participer à l'épanouissement de mon pays et que je nourris d'énormes ambitions pour le développement de mon pays. Maintenant pour la présidentielle, il s'agit d'une décision personnelle. Mais ce qui a le plus dérangé Ennahdha, ce n'est pas ma candidature elle-même, c'est le fait qu'ils aient décidé de ne pas proposer de candidats en leur nom.
 
 
          « Beaucoup pensent que j'ai poignardé Ennahdha dans le dos, ce qui est faux »
 
 
Naturellement, ils craignent que ma candidature ne soit mal interprétée. Raison pour laquelle, ils ont tout fait pour me dissuader et d'ailleurs, je n'ai même pas bénéficié des parrainages d'élus nahdhaouis ni même des militants. C'est vous dire que ce ne sont pas 10 députés qui me parrainent mais plus de 10.000 citoyens. Cela n'est-il pas suffisant pour prouver mon indépendance ?
 
Beaucoup de gens pensent que j'ai poignardé Ennahdha sur le dos, ce qui est loin d'être le cas. C'est par conviction que je me suis présenté. Vous savez quand j'ai vu des barons de l'ancien régime se présenter, j'ai pris une initiative personnelle et j'ai dit à Ennahdha: "si vous n'avez aucun candidat à présenter, moi je me présente". Je ne suis pas un candidat d'Ennahdha, mais un candidat indépendant et je tiens fermement à cette indépendance.
 
Vous n'êtes donc pas le candidat consensuel d'Ennahdha !
 
Je vous ai répondu là-dessus, je ne suis pas candidat d'Ennahdha pour la présidentielle, mais indépendant. C'est vrai, beaucoup de gens me reprochent mon inexpérience politique, mais l'enjeu aujourd'hui n'est pas politique, il est plutôt économique et social. Le Tunisien en a ras le bol des politiciens et de leurs promesses bidon. Ce qui l'intéresse aujourd'hui, c'est le concret, c'est l'amélioration de son niveau de vie, c'est la diminution du chômage, c'est l'accès aux soins de santé et au logement à moindres frais... Je serais donc le candidat qui défendrait les intérêts des Tunisiens, quelles que soient leurs classes sociales.
 
Pour qui voteriez-vous si vous vous retrouvez au second tour de la Présidentielle?
 
Ecoutez, n'allons pas vite en besogne, moi je ne voudrais pas anticiper. Tout ce que je sais, c'est que je défendrai mes chances jusqu’au bout. Je suis confiant quant à l’adhésion des Tunisiens à ma vision et à mon projet pour la Tunisie. 
 
Vous vous considérez comme un candidat de la Tunisie ou de Sfax? Quelles sont les grandes lignes de votre programme électoral ? Et vos projets pour la ville de Sfax?
 
Je suis candidat pour les deux ! L’emploi des jeunes, l’amélioration de la qualité de vie des Tunisiens, le développement d’une nouvelle dynamique pour le pays, le renflouement des caisses sociales…Tels sont quelques-uns de mes projets concrets qui seront entrepris aussi bien par l’Etat, que par des investisseurs locaux et étrangers. C’est donc un véritable plan Marshall qui devra être mis en place en Tunisie.
 
Par ailleurs, j’ai aussi entrepris des discussions avec des partenaires étrangers pour doter la Tunisie d’un constructeur automobile afin de faciliter l’accès aux moyens de déplacement. On m’a rassuré que ce projet est viable et qu’il peut se faire en un temps record. N’oublions pas aussi le logement. Des constructions seront faites avec une grande ampleur pour permettre à tous les Tunisiens d’accéder au logement.  
 
 
                           « Le temps des promesses creuses est révolu. »
 
 
Concernant Sfax, cette région a longtemps été à l'écart, il est donc urgent de passer la vitesse supérieure et s'engager pleinement. Le temps des promesses creuses est révolu. Je tiens à de nombreux projets, à l'instar de la ville nouvelle Taparura qui pourrait donner une nouvelle dimension à la capitale du Sud. Aussi, Sfax est une ville qui souffre de la pollution, l'une de mes premières décisions, si je suis élu, c'est de fermer dans un délai d'un à deux ans, l'usine de la Société industrielle d'acide phosphorique et d'engrais. 
 
Sfax souffre aussi du chômage. Et je pense que des solutions existent. Taparura sera une énorme pourvoyeuse d'emplois. Tandis que le nouveau métro devrait pallier un tant soit peu le problème du transport. Idem pour les problèmes d'infrastructures et de santé.
 
Le projet du nouvel hôpital de Sfax est bien avancé avec les investisseurs chinois. Sfax est aussi candidate aux jeux méditerranéens et elle a été désignée capitale culturelle pour l’année 2016. Ceci implique la construction de la ville sportive de Sfax mais aussi un nouveau bâtiment culturel pour marquer cette date.  J'ai toujours respecté mes engagements. Je l'ai prouvé au niveau national avec Telnet et au niveau régional avec Syphax Airlines. 
 
A propos d'investisseurs chinois, vous venez justement d'accompagner Ghannouchi lors de son dernier déplacement en Chine ! 
 
Je crois à la coopération internationale, raison pour laquelle j'ai participé à ce voyage et je crois que les Chinois peuvent nous apporter énormément en matière de projets d'infrastructure. Leur rapidité dans l'exécution de travaux est connue de tous. Cela ne veut pas dire que nos projets avec l'Occident sont mis en veilleuse, loin de là. Il est question ici de complémentarité. Quant à moi, je défendrais la région de Sfax qui assure le rayonnement de tout le sud tunisien.
 
Vous avez démissionné à la tête de Telnet et de Syphax. Que comptez-vous faire si vous n'êtes pas élu à Carthage? Revenir?
 
Si j’ai décidé de me lancer en politique, ce n’est pas pour faire machine arrière au premier obstacle ou au premier échec. Je me donnerai le temps nécessaire pour parvenir à mes objectifs, cela ne m’empêche pas d’être utile à Syphax Airlines et à Telnet si l’occasion se présente. Les Tunisiens ne sont pas encore matures en matière de politique, ils mélangent la politique et les affaires, ce qui n’est pas mon cas.
 
Ma conviction est que Syphax Airlines va prospérer avec Christian Blanc, qui est un pdg rompu aux arcanes du management. C’est une personnalité de renommée internationale qui a beaucoup contribué au développement d’Air France. Avec sa grande expertise, il va développer la stratégie de Syphax airlines tout en la mettant à niveau dans certains domaines, vu que le monde de l’entreprise évolue à pas de géant, les stratégies  sont revues tous les six mois.
 
En ce qui concerne Telnet, je pense qu’il était temps de passer le relai. Raouf Chekir pourra donner un nouveau souffle à l’entreprise et réussir cette transition qualitative. 
 
 
      « Je m’engage devant Dieu car je suis croyant, mais aussi devant les Tunisiens »
 
 
Certains vous soupçonnent de vouloir acquérir une immunité parlementaire ou présidentielle à travers votre engagement en politique ! qu’en dites-vous ?
 
J’ai toujours bossé dans la transparence totale. Sous Ben Ali, j’ai tenu mes affaires en toute indépendance et loin de tout engagement politique. Je n’ai jamais eu de problèmes au contraire, j’ai eu la visite à Telnet de grands dirigeants étrangers et j’ai démarré mon entreprise avec un petit capital sans aucune aide. Telnet et Syphax sont cotées en Bourse, tout s’est fait dans la transparence. 
 
Quelles sont vos chances d’accéder au pouvoir ?!
 
Tout est possible et chaque candidat a ses chances ? Moi je suis le candidat de la Tunisie nouvelle. Je milite pour une approche nouvelle de la politique tunisienne. Je m’engage devant Dieu parce que je suis croyant, mais aussi devant les Tunisiens. Je ferai tout pour honorer mes engagements et assumer mes responsabilités. Je l’ai prouvé par le passé à travers mes deux entreprises.
 
Les gens ont tendance à toujours handicaper les gens pour leur manque d’expérience politique. Pourtant ce sont des politiciens expérimentés qui ont mis à genou la Tunisie. Et regardez où nous en sommes aujourd’hui ?! Cela ne m’étonne pas de voir certains nostalgiques de l’ancien régime dénoncer la détérioration de leur niveau de vie. Ce qui est triste !
 
Propos recueillis par O.D.