Mourou demande à Ghannouchi de s’éclipser et le défend quand même !

Mourou demande à Ghannouchi de s’éclipser et le défend quand même !

 

Quelle place occupe Abdelfattah Mourou au sein du mouvement Ennahdha. Tout le monde sait qu’il a été avec Rached Ghannouchi l’un des fondateurs de la Tendance islamique à la fin des années 1970. Mais leurs chemins se sont séparés en 1991 quand le premier a pris ses distances du mouvement devenu Ennahdha après l’affaire Bab Souika, l’incendie du siège du RCD dans ce quartier populaire qui s’est soldé par la mort brulé du gardien de ce siège. Vingt ans plus tard, Mourou a été « oublié » par le mouvement revenu en force après le départ de Ben Ali. Cela lui reste au travers de la gorge. Presque six ans plus tard Mourou devenu pourtant vice-président d’Ennahdha continue à être amer sur cette séquence de sa vie politique.

Considéré par les uns comme un électron libre au sein de son mouvement, il est aussi pris pour une figure sympathique voire même bienveillante des islamistes. Sa modération apparente est prise pour un fond de commerce dont il use et abuse pour donner une image acceptable du mouvement islamiste. Invité dimanche soir à l’émission de Samir el-Wafi « Liman Yajrou », Abdelfattah Mourou a été égal à lui-même.

Rentré au bercail, le désormais vice-président en titre s’est évertué à faire le grand écart. Défenseur acharné de son président-il n’est pas mon patron précise-t-il l’air fâché quand on le lui suggère-, il est aussi celui qui ose lui dire les quatre vérités, comme celle restée taboue de lui demander de quitter le mouvement de son vivant pour assurer l’alternance et surtout de ne pas se présenter à l’élection présidentiel car il perdrait ainsi tout le capital qu’il a engrangé sa vie durant.

Mourou est contraint à cette gymnastique car il sait d’expérience qu’en dehors d’Ennahdha il n’est rien et qu’Ennahdha c’est d’abord son leader Rached Ghannouchi qui y fait la pluie et le beau temps. On a beau lui opposer « la mainmise » de ce dernier sur le mouvement, il trouve la parade : c’est de façon démocratique qu’il a été investi de ses fonctions et si celles-ci sont très larges c’est parce que le congrès en a décidé ainsi. « Ghannouchi m’écoute, mais n’entend pas ce que je lui dis, il n’en fait qu’à sa tête », finit-il par lâché.

Critique il peut l’être, mais sur les questions d’importance il préfère le faire de l’intérieur des instances du mouvement et pas en dehors. Même chose pour les questions qui se posent au gouvernement : Nous sommes partie de celui-ci et si nous avons des divergences avec nos partenaires, nous les réglerons derrière des portes closes, dit-il avec une sorte d’évidence. Il est aussi capable d’une dose de naïveté quasi-impossible à croire lorsqu’il dit ignorer le montant du budget du parti ou les moyens financiers dont il dispose ou lorsqu’il affirme que le président du mouvement ne reçoit aucun sou alors que tout le monde connait son train de vie.

Figure folklorique avec ses « jebba et amama » immaculés, cet air de bon Tunisien qui attire la sympathie, cette gouaille qui lui est propre et une capacité à encaisser les coups sans gémir, il a les qualités de ses défauts. Surtout il est utile au mouvement Ennahdha car, avec son franc-parler il permet à celui-ci d’absorber les chocs d’une base qui n’est pas sur la même longueur d’onde que la direction du parti islamiste. Il est aussi utile car il donne une image bon enfant et captivante d’un mouvement composé de gens plutôt ennuyeux quand ils ne sont pas répulsifs.

Modéré il veut se donner cette image qui lui collait à la peau et le différenciait de son alter-ego Ghannouchi. Mais depuis que ce dernier est devenu le théoricien de la « concorde nationale » y compris avec ses adversaires les plus haïs, Mourou sait que son champ d’action se rétrécit. C’est pourquoi, il donne l’impression d’être toujours sur le départ. Mais son vœu caché c’est que Ghannouchi le précède dans la retraite politique. Mais il n’est pas dit que le leader accepte de s’effacer avant de réaliser son destin. Quoique Mourou puisse en penser et en dire.

Mourou et Ghannouchi c’est une histoire de cohabitation vieille de quarante ans. Comparable à celle d’un couple contraint à partager la même maison alors que chacun vit sa vie.

Raouf Ben Rejeb

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