Quand Béji Caïd Essebsi use de son magistère : Sera-t-il entendu ?

Quand Béji Caïd Essebsi use de son magistère : Sera-t-il entendu ?

 

Devant un parterre composé de toutes les composantes de la classe politique et de la société civile, des différents corps constitués et de personnalités de tout bord, le président Béji Caïd Essebsi seul devant son pupitre s’est livré ce mercredi pendant près d’une heure à un véritable discours de la méthode. Un discours structuré autour d’une notion unique celle du respect de l’Etat et de ses institutions. Sachant que sa marge manœuvre est mince du fait de ses attributions constitutionnelles limitées, il a voulu user du magistère que lui confère la légitimité des urnes pour frapper les esprits et faire passer des messages. D’ailleurs le mystère entourant cette adresse qui a alimenté pendant plusieurs jours le microcosme politique, ainsi que la forme de cette réunion tenue en dehors du palais présidentiel ainsi que la mise en scène d’un président dans la solitude du pouvoir procède de cette démarche.

Pour mettre en évidence la solennité du moment il n’y a pas mieux que d’inquiéter sinon d’alarmer avant de calmer et de rassurer. C’est l’approche choisie par le Chef de l’Etat qui de prime abord a estimé que « le processus démocratique est sérieusement menacé » et ce après avoir fait un état des lieux des acquis de la « glorieuse révolution menée par des jeunes sans orientation idéologique ou religieuse », laquelle révolution a été saluée partout dans le monde assurant à la Tunisie un réel rayonnement international sans précédent.

Pour lui la démocratie exige de respecter les règles du jeu parmi lesquelles la nécessité que le débat ait lieu au sein des institutions élues et non dans la rue, et le fait d’attendre les échéances électorales pour changer de majorité. Une réponse qu’il voulait claire à l’adresse des forces politiques qui veulent contester la loi notamment celle de la réconciliation économique par la désobéissance civile ou les manifestations de rue ainsi qu’à ceux qui prônent des élections anticipées ou préconisent un nouveau dialogue national devant conduire à un nouveau gouvernement.

Sans nommer le chef du gouvernement ni lui renouveler son soutien, ce qui était attendu, le président de la république a fait mieux. Il a défendu son bilan en égrenant des chiffres sur la progression de la production des phosphates, de l’accroissement du nombre des touristes, de la hausse des investissements directs étrangers et même de l’amélioration du taux de croissance qui sera rendu public incessamment par l’INS. Il a, en outre, confirmé son attachement au gouvernement d’union nationale, fruit de son initiative annoncée le 2 juin 2016.

Pour ne pas empiéter sur les prérogatives du Chef du gouvernement il n’a rien laissé transparaître de ses jugements à propos du rendement des ministres ni avancé le moindre indice quant à la volonté du locataire de la Kasbah de réaménager son équipe. Seule annonce faite à ce sujet, la décision convenue au cours de la réunion du Conseil de sécurité nationale concernant la restructuration du ministère de l’Intérieur. D’aucuns y ont décelé la possibilité de changement du ministre. D’autres y ont vu la volonté de réhabiliter la fonction du gouverneur pour en faire le représentant de l’Etat et de toutes ses structures dans sa région.

La mesure phare annoncée au cours de cette adresse à la Nation est la décision de confier à l’armée nationale la protection des sites de production, des phosphates, du pétrole, du gaz et autres. Ainsi que la décision de ne plus permettre le blocage des routes ou des zones vitales pour le pays. Des décisions de fermeté qui seront contestées mais elles sont pour le président de la république d’une importance majeure car l’Etat ne peut pas permettre que son autorité soit bafouée impunément.

Certes, il a pris soin de dire que les protestations seront garanties tant qu’elles sont pacifiques, mais il semble assumer les conséquences de ce durcissement car il sait que l’armée nationale bénéficie d’un prestige certain auprès de la population, du fait de son attachement aux valeurs républicaines.

Comme il fallait s’y attendre, le projet de loi sur la réconciliation économique n’est pas passé sous silence. Le président de la république s’est dit toujours attaché à ce texte soumis à l’examen de la commission de législation générale de l’ARP, qui est pour lui l’un des instruments de sortie du goulot d’étranglement dans lequel le pays se trouve. Il a tenu à défendre particulièrement le volet relatif à l’amnistie qu’il propose en faveur des cadres de l’administration qui n’ont fait qu’appliquer des ordres émanant de leur hiérarchie et qu’il chiffre à 1500 personnes. Mais s’il a paru tenir à sa loi, il n’en a pas moins dit qu’il accepte à priori toutes les modifications auxquelles la commission parlementaire voudrait procéder. Mais pas question ni de retirer le texte ni d’y apporter le moindre amendement.

Attendu sur les questions de l’emploi notamment des diplômés et du développement qui forment l’essentiel des protestations dans les régions, il a exprimé un aveu d’impuissance, ce qui risque d’alimenter encore les tensions. Quand bien même il a évoqué le contrat al-Karama qui ne concernera que quelques dizaines de milliers de personnes il a laissé entendre que seul le retour de l’investissement peut relancer l’emploi, mais en même temps il faut lui assurer le climat idoine dont l’une des conditions est une administration performante ce qui présuppose l’approbation de la loi sur la réconciliation économique. La boucle est ainsi bouclée.

Ce discours de la méthode peut être décevant pour certains qui n’y trouvent ni annonces spectaculaires ni décisions sortant de l’ordinaire. Mais ce sont là les limites de l’exercice. Car le président de la République, garant de la Constitution ne peut aller au-delà des attributions qui sont les siennes sans être taxé d’avoir transgressé la loi suprême. Un exercice de funambule qu’il a réussi en restant à l’intérieur des lignes qui délimitent sa fonction.

Béji Caïd Essebsi a usé de son magistère. Sera-t-il entendu ? C’est là une toute autre histoire.

Raouf Ben Rejeb

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