Sophien Bennaceur: "La Tunisie a besoin de sang neuf, de ses compétences et de nouvelles idées pour sortir de la crise"

Sophien Bennaceur: "La Tunisie a besoin de sang neuf, de ses compétences et de nouvelles idées pour sortir de la crise"
 
 
Déterminé à servir son pays face à la crise et aux maux qui rongent notre économie, Sophien Bennaceur est un jeune Tunisien qui déborde de dynamisme, d'idées et de punch. Après avoir passé 33 ans aux Etats-Unis, dans le domaine de l’audit et du conseil de multinationales, ce pur produit de l’école publique est l’illustration parfaite du rêve américain. 
 
Sentant le vent de la crise souffler sur son pays si cher, le jeune homme, rompu aux audits d’entreprises et aux conseils stratégiques pour les pays émergents, décide de rentrer au bercail pour se mettre au service de sa Tunisie et apporter aux gouvernants sa vision, sa stratégie et ses réponses aux problèmes endémiques qui paralysent notre économie et qui hypothèquent cette fameuse transition de la révolution à l’évolution. 
 
Du chômage au développement régional, en passant par les réformes économiques, la santé, les investissements extérieurs...l'homme aux nombreuses connexions dans le milieu des affaires apporte un arsenal de solutions les unes plus intelligentes que les autres. Espace Manager l'a rencontré pour vous. C'est un véritable cri du coeur qui ne doit pas laisser indifférents nos gouvernants !
 
Espace Manager: Tout d'abord, que pensez-vous de la situation économique, politique et sociale de la Tunisie? Faut-il tirer la sonnette d'alarme ou juste la mettre pour le compte d’une crise passagère?
 
Sophien Bennaceur: Sans céder au catastrophisme ni sombrer dans le pessimisme, force est de constater que la situation politique, sociale et économique de la Tunisie est inquiétante et appelle à la vigilance et surtout à l’audace pour des prises de décisions courageuses et salvatrices. Avec un paysage politique délétère marqué par l’attentisme et la quête effrénée du consensus mou, une conjoncture économique alarmante avec des signaux à l’orange et une situation sociale préoccupante et à la lisière de l’implosion, une corruption qui gangrène ses institutions et ébranle la confiance des investisseurs, la Tunisie a besoin de sang neuf, de ses compétences et de nouvelles idées pour sortir de la crise, de cette léthargie et entrevoir enfin une lueur d’espoir.
 
Que faire donc pour espérer sortir de cette situation et hisser l'économie au rang de pays développés?
 
A ce moment charnière du passage délicat de la révolution à l’évolution, la Tunisie a besoin de ses jeunes pour conjuguer à l’expérience, la modération et la sagesse des ainés, l’énergie, l’audace, l’intelligence et la technicité qui sont les leurs. C’est cette mixture générationnelle qui va dynamiter ce marasme ambiant et porter la Tunisie au diapason des pays développés car autant le pays doit compter sur la pondération et le discernement politique de ses ainés, autant il doit compter sur le dynamisme, la créativité et l’inventivité de ses jeunes qui constituent son véritable trésor de guerre et sa rampe de lancement pour réussir sa mutation économique et sociale.
 
Les problèmes de la Tunisie semblent chroniques à vos yeux, comment expliquez-vous l'inertie des politiciens à trouver des solutions et remèdes à la situation?
 
Les problèmes de la Tunisie sont chroniques et les questions de développement régional, de chômage, de santé, d’infrastructure, d’investissement, de création d’entreprise et de dettes publiques ont fait couler beaucoup d’encre sans que les politiciens apportent les solutions et les remèdes car les réponses ne sont pas politiques ni idéologiques ni consensuelles mais scientifiques, audacieuses, pragmatiques et novatrices.
Et à cette période cruciale de la formation d’un nouveau gouvernement sur fond de grave crise économique et sociale, il appartient aux ainés qui veillent sur la destinée de ce pays de tirer profit des jeunes compétences, l’objectif étant de mettre la Tunisie sur les bons rails , de booster son économie et d’apporter les réformes nécessaires à la relance économique.
 
Qu'est-ce qui vous a poussé subitement à rentrer au bercail après de si longues années passées au pays de l'Oncle Sam?
 
Je suis un produit de l’école publique ayant émigré aux USA pour concrétiser le fameux rêve américain. Arrivé à la pointe des pieds en 1983, j'ai commencé ma carrière avec  la société American Express en 1985. Ayant gravi les échelons à force de persévérance et de travail acharné, j'ai fini par atteindre le cercle fermé du board management des plus grands cabinets de conseils américains et en devenir le président d’un fonds d’investissement de presque 20 millions de Dollars USD. 
 Sentant le vent de la crise souffler sur mon pays si cher, j'ai décidé de rentrer au bercail pour me mettre au service de la Tunisie et apporter aux gouvernants ma vision, ma stratégie et les réponses aux problèmes endémiques qui paralysent notre économie et qui hypothèquent cette fameuse transition de la révolution à l’évolution.
 
Que proposez-vous concrètement? Sans langue de bois, ni complaisance ?
 
 Sans complaisance ni langue de bois, je pointe du doigt le système politique hybride et bancal qui n’aide pas à la prise de décision rapide et cette fâcheuse tendance au tourisme politique qui constitue un véritable déni de démocratie. Il faut rompre définitivement avec le suivisme et le calquage aveugle du système français hétérogène, disparate et inefficace et opter pour le système de l’Amérique du Nord plus restreint, plus homogène et résolument tourné vers l’efficacité et la réactivité. De même et afin d’optimiser le travail et le rendement des élus, je préconise d’assigner à chaque député une équipe de 10 personnes de différentes spécialités qui seront chargées de lui préparer les dossiers.
 
Préoccupation majeure et pari des années à venir, le système éducatif doit faire l’objet d’une refonte totale pour une meilleure adaptabilité avec le marché de l’emploi et ses attentes. Ainsi, il est important de réinventer l’école et d’assouplir les cursus universitaires et créer des filières qui convergent avec les nouveaux métiers et les nouvelles technologies.
 
La fracture économique s’aggrave et les discussions de salons et les bonnes intentions ne suffisent pas pour venir à bout de l’énormité de cette crise. Mon approche est empreinte de pragmatisme et d’efficience. Il faut d’abord stabiliser notre monnaie en encourageant les étrangers à ouvrir des comptes en devises et ainsi faire de la Tunisie un eldorado financier en allégeant les procédures d’ouverture de comptes et de transfert d’argent. L’autre corollaire à cette mesure est l’amnistie totale des Tunisiens détenteurs de comptes à l’étranger, ce qui va impliquer un rapatriement massif d’argent frais vers les banques tunisiennes. 
 
Ne pensez-vous pas que notre pays accumule dangereusement les dettes, sans compter notre monnaie qui continue de perdre de sa valeur, une balance commerciale peu enviable… ?
 
Loin des idées reçues, la dette tunisienne n’est pas alarmante et il suffit de la défalquer en dette intérieure et extérieure pour optimiser son financement. Ainsi pour la dette extérieure, il suffit de l’uniformiser et de détecter la monnaie la plus avantageuse pour s’en acquitter à moindres frais. 
 
Pour la balance commerciale, la Tunisie peut compter sur ses réserves naturelles et sa position stratégique pour conquérir de nouveaux marchés. Elle peut aspirer à devenir un Hub d’échanges et diversifier ses partenaires commerciaux car son économie est actuellement tributaire de 2 pays (France et Italie) avec presque 50% des échanges. 
 
Ainsi par ricochet, la récession de nos partenaires historiques a eu un effet dévastateur sur nous et l’industrie du textile Loi 72 a perdu presque 40 000 emplois du fait de cette crise. Il faudra repenser notre industrie et miser sur la spécialisation et surtout la diversifier. 
 
La Tunisie doit profiter des richesses de sa terre pour renouer avec l’export. Conjuguée au phosphate, au gaz, les richesses agricoles et leurs industries de transformation doivent être le levier de développement et le pilier de croissance pour les années à venir. 
 
Pour le fléau du commerce parallèle qui représente un peu plus de 40% de notre économie, il faut le réduire d’abord à un taux acceptable de 20 à 25% en élaborant un programme d’intégration et de légalisation de ces  activités  informelles par l’instauration d’une taxe forfaitaire et le remplacement des licences d’importation et leurs trafics inhérents par le simple mécanisme de cahier de charges plus rapide, plus efficace et plus transparent.
 
Et la création des PME dans tout ça ? N'est-elle pas un des éléments importants pour la relance et la résorption du chômage ? 
 
Bien sûr ! Conformément à la Constitution qui garantit la liberté, il faut évidemment se mobiliser pour l’entreprenariat et encourager la création des PME, vecteurs de croissance, génératrices d’emploi et véritable ascenseur social. Ainsi il faut assigner aux banques l’obligation de financer les petits et moyens projets dans les nouveaux secteurs porteurs comme l’agroalimentaire, les nouvelles technologies, les services, les industries pharmaceutiques et manufacturières, l’assemblage, la mode, l’éducation, la logistique et le transport. 
 
La Tunisie doit faire le choix vital d’une économie de transformation efficace à court terme et non d’une économie d’innovation rentable à long terme et qui nécessite beaucoup de moyens en recherche et développement. A l’instar de la Chine ou de l’Inde  avec un taux de croissance à 2 chiffres, l’économie de transformation est un levier de croissance énorme pour peu qu’on décloisonne les barrières administratives et qu’on détecte les secteurs d’activités à fort potentiel de rentabilité et d’exportation.  
 
Héritage national cher à tous les Tunisiens, le contrat de cohésion sociale initié à l’indépendance par Bourguiba et qui repose sur les 3 piliers de santé, d’éducation et de la caisse de compensation doit être révisé pour être en phase avec la nouvelle conjoncture et la nouvelle physionomie de la société tunisienne. 
 
Soixante années après l’indépendance, il faut renégocier le contrat social et l’adapter à la nouvelle réalité démographique et sociale. Ainsi, réviser la caisse de compensation s’impose comme mesure de justice sociale et prioritaire pour rééquilibrer les écarts entre les tunisiens qui malgré la disparité de leurs moyens financiers, bénéficient des mêmes prix pour les produits subventionnés. La première mesure serait d’élever le SMIG à 1000 Dinars mensuels, d’introduire des tickets de rationnements dans des magasins spécialisés comme aux Etats-Unis et enfin de créer un fonds de soutien pour combattre la pauvreté. 
 
Depuis les attentats de Bardo et de Sousse, l'industrie du Tourisme est au ras des pâquerettes. Que préconisez-vous pour que ce secteur retrouve son lustre d'antan?
 
Axe essentiel de notre économie et générant presque 400 mille emplois, le tourisme est inconstant avec un rendement tributaire d’un environnement politique et sécuritaire aléatoire. C’est une industrie fragile qu’il faut reformer pour la rendre plus performante en optant pour des créneaux plus porteurs et surtout plus imperméables aux aléas politiques comme le tourisme médical, le tourisme de congrès d’aventure...
 
L'administration tunisienne, qui est aussi un garant de la continuité de l'Etat, ne cesse d'être stigmatisée par sa lourdeur. Certains pensent qu'il faut l'adapter aux nouvelles technologies. Qu'en pensez-vous? 
 
L’administration tunisienne, il est vrai, est un pilier de la République moderne et un garant de la continuité de l’Etat. Sa stigmatisation par sa lourdeur est légitime. Pour la soutenir à accomplir son rôle et à la rapprocher d’avantage du citoyen, il faut procéder à sa digitalisation pour rendre ses services plus accessibles et plus rapides. L’Etat doit profiter des nouvelles technologies pour la mise à niveau de son administration et sa digitalisation réduira la fracture numérique, confortera la notion de service et garantira l’égalité l’application du principe constitutionnel d’égalité de tous les citoyens. 
 
Au final, quel espoir peut-on donner aux 650 mille jeunes sans-emploi qui rêvent d'un lendemain meilleur ? Quel espoir pour ce pays menacé par le terrorisme?  Quel espoir pour les entreprises qui veulent pérenniser leurs activités? 
 
Au-delà des solutions que j'ai citées plus haut, les partenaires économiques, la Banque Centrale ainsi que les banques commerciales doivent s’acquitter de leurs rôles d’incubateurs, d’accompagnateurs et de conseillers pour la création d’entreprises. Il faut s’inspirer des modèles anglo-saxons et développer les fonds d’investissement pour soutenir la dynamique entrepreneuriale. 
 
« Ne demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous. Demandez ce que vous pouvez faire pour votre pays » .Comme l’a si bien dit Kennedy dans son discours d’investiture en 1961, les Tunisiens doivent se remettre au travail et redoubler d’effort pour baliser les fondamentaux d’une nouvelle république moderne et prospère et dans cet ordre d’idées, il faut réconcilier le million de Tunisiens de l’étranger avec leur pays car ils sont ses meilleurs ambassadeurs, les porte-drapeau de cette belle Tunisie et surtout de potentiels investisseurs pour les PME. 
 
"Tunisia first", tel doit être la devise de nos concitoyens de l’étranger et aussi du département des affaires étrangères qui doit développer une nouvelle approche diplomatique en privilégiant la diplomatie de conquête commerciale et en l’émancipant des dogmes anciens de l’attentisme et de l’assistanat.
 
Propos recueillis par E.M.
 
 

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