Tunisie : Crise durable d’un tourisme archaïque au rabais

Tunisie : Crise durable d’un tourisme archaïque au rabais

 

« Avant, nous vendions le soleil et les plages. Aujourd’hui, nous vendons toujours le soleil, les plages et la sécurité mais c’est insuffisant.»

Le tourisme est l’un des piliers de l’économie tunisienne depuis les années 60. Il pèse 7,4% du PIB national. La contribution directe du secteur à l'économie tunisienne s'élevait à 6,13 milliards de dinars (2,82 milliards d'euros) en 2014. Quelque 473.000 emplois dépendent directement ou indirectement de cette filière, soit 13,9% de la population active.

Avant même Les attaques terroristes du Bardo et de Sousse, le secteur touristique souffrait  déjà des problèmes structurels qui le rendent plus fragile. Le « produit d’appel » du tourisme tunisien depuis l’indépendance a principalement été le « doux soleil » du pays et la beauté de ses plages en vous invitant à bronzer « idiot ». Au fil des années, cette destination, proche de l’Europe, est progressivement devenue très bon marché et manquant d’exotisme et de dépaysement. Le consommateur vorace des années 1960 a fait place au gourmet fin plus sélectif et mieux informé de nos jours de ce que se passe ailleurs. L’émergence de nouvelles destinations concurrentes où le tourisme est riche, diversifié et considéré comme une véritable industrie a augmenté la difficulté pour les acteurs tunisiens à s'imposer, les conduisant à pratiquer des baisses de prix, à brader les séjours afin de pallier à un taux d'occupation trop bas.  Ainsi la grande majorité des hôtels affichent un faible niveau de rentabilité affectant leur solvabilité et la qualité de services rendus. C’est le tourisme discount à bas prix où le touriste paye 25 euros la journée tout inclus!!! Qui peut dire mieux !

Témoignage accablant d’une Touriste Amie de la Tunisie

J’ai rencontré à Djerba, une Amie française mariée à un Tunisien et sa maman lors d’un séjour à Djerba la douce. Son témoignage, un cri qui vient du fond du cœur nous éclaire sur les lacunes de notre tourisme depuis l’aéroport jusqu’à l’hôtel en passant par les taxis et les souks. Un séjour qui n’est pas de tout repos parfois épuisant moralement où la tranquillité ne règne  pas malheureusement.

« Il est un contraste incroyable entre les différentes façons de voyager en Tunisie ! Et si chacun peut s’accorder sur l’extraordinaire beauté et diversité du Pays, l’étranger peut avoir une idée bien curieuse de l’accueil qui lui est réservé.

En effet, s’il vient accompagné d’un Tunisien, il perçoit alors toute la richesse, la gentillesse et l’hospitalité des familles. Une hospitalité simple, généreuse, telle qu’on la rencontre de plus en plus rarement ailleurs.

Mais a contrario, s’il descend dans un hôtel-club dans une cité touristique balnéaire, il en est tout autrement et c’est avec beaucoup d’humour que je vais vous narrer une expérience récente à Djerba.

A Djerba, Sousse, ou dans n’importe quel pays, le club-hôtel apporte les mêmes services, les mêmes buffets, les mêmes conforts mais qui veut sortir visiter et vivre le Pays se trouve, en Tunisie, curieusement maltraité.

En effet, imaginez deux femmes, une quinqua et sa mère, souhaitant visiter la mosquée de Djerba, un édifice de toute beauté paraît-il et quel meilleur endroit pour s’imprégner de la culture, apprécier l’architecture, comprendre l’attachement religieux du peuple ? Elles avaient précédemment visité la synagogue.

 Oh déception, le taxi, très en colère à l’annonce de la destination, nous injurie ! Une mosquée, cela ne se visite pas, nous sommes irrespectueuses. Nous avons beau lui dire que chez nous, chacun peut venir visiter nos cathédrales et que nous respecterons le lieu, ce brave homme se met à ne plus comprendre le français et nous dépose au Souk, là ou d’ailleurs nous atterrirons quelle que soit la destination demandée par la suite à tout chauffeur !

Ah le souk de Djerba, vide de clientèle… Vendeurs oisifs sirotant café, fumant sa chicha et épiant le moindre rare touriste éjecté dans leur antre…..  Les voici interpellant,  attrapant par le bras ces deux pauvres dames pour les tirer de force vers leur boutique (tiens ! leur religion ne leur interdit-elle pas de nous toucher ?) « Ne me touchez-pas », « lâchez-moi » et parfois un « Barri, barri » deux mots d’arabe ça aide ! Nous nous  sentons méprisées, harcelées, violentées ! Enfin, vers un coin plus calme et souhaitant trouver un petit haut sympa, nous entrons dans l'un de ces bazars envahis d’articles peu chers et de mauvaise qualité. Mais qu’importe, pour le temps des vacances un petit modèle clair fera l’affaire ! La grand-mère tente donc d’enfiler le charmant tee-shirt mais impossible, la tête ne passe pas malgré l’assurance du vendeur à certifier qu’il s’agit de la bonne taille. Nous reposons l’article, remercions et nous apprêtons à sortir. Oh scandale, le marchand nous agresse verbalement, nous insulte (oui les quelques mots d’arabe connus), nous reproche de ne pas lui acheter et nous poursuit même dans la rue prenant à témoins ses compères. Nous fuyons le souk jurant de ne jamais y remettre les pieds et retournons vers l’hôtel que nous ne quitterons plus le jugeant  seul endroit civilisé où deux femmes seules peuvent être en sécurité ! »

Les points noirs du secteur

En écoutant ce témoignage accablant, nous pouvons lister les points noirs qui entachent ce secteur et lui portent préjudice :

·         Cette course au client pose un problème majeur : le touriste est harcelé et arnaqué. Ce comportement irresponsable pousse les visiteurs à ne plus revenir. Plus de 85% d’eux ne reviennent plus jamais chez nous ! Il faut dire qu’il est difficile pour un touriste occidental de venir sans se faire appréhender et épingler plusieurs fois dans la journée. Dans les souks, les vendeurs n’hésitent pas à traquer les passants pour vendre leur marchandise à un prix d’ami « imbattable ». Si un touriste perdu dans les ruelles de la ville accepte de se faire conduire à un endroit, il sera embarqué dans un tour pas si improvisé qui le mènera souvent dans un magasin pour lequel le guide providentiel rabat des clients. Pendant le séjour, les seules rencontres étaient motivées par l’argent et l’arnaque. Le touriste est vu comme une tirelire à briser ou une bourse à pomper. C’est triste Djerba et la Tunisie !!!

 

·         Ah ces maudits chauffeurs de taxis qui vous harcèlent pour vous obliger de monter avec eux. En plus une fois monté, ils refusent de mettre en marche le compteur pour effectuer leur course au tarif habituel. Ils annoncent un prix fixe au moins quatre fois supérieur au tarif normal.

·         La qualité des services au sein d’une grande majorité des hôtels est vraiment  «médiocre». Les hôteliers considèrent leur personnel comme un moyen de production parmi d’autres et non pas comme des compétences à développer.

·         La faible mise en valeur du patrimoine naturel et culturel. On note une dégradation de l’environnement écologique et de l’hygiène. Elle se traduit par une absence d’entretien des plages, des eaux, de la mer, du désert, des villes, des monuments historiques…

·         «Le tourisme tunisien pour les Tunisiens » reste au stade du slogan et marginal vu le peu d’intérêt accordé historiquement au développement de ce secteur par la profession. Il ne peut pas jouer un rôle important de compensation pour le secteur en période de crise. Aujourd’hui l’écrasante majorité des Tunisiens ne peut pas se permettre des séjours à ces coûts élevés. Le tourisme local reste à inventer en développant des offres spécifiques aux touristes nationaux.

Les axes d’amélioration à moyen terme

La Tunisie s’est contentée de recevoir pendant de nombreuses années un flux important de visiteurs européens principalement intéressés par les plages  et le soleil. Aussi, arrive-t-elle péniblement à améliorer ou à exploiter d’autres formes de tourisme tels que les circuits culturels, la découverte des villes, le tourisme de congrès, le tourisme vert, le tourisme de santé et le tourisme sportif, le tourisme produits qui sont énergiquement développés et commercialisés par le Maroc, l’Égypte et la Turquie.

Aux acteurs de ce secteur de mieux communiquer et de prendre plus et mieux en charge le touriste, de lui faire des propositions de circuits, d'éviter toute rupture de charge entre hôtel et lieux de visites sans penser aux taxis, bus, trains... qui tissent en réalité les séjours. L'accueil doit être amélioré et davantage pensé pour offrir des solutions complètes et intégrées de séjours.

Si les efforts se concentrent sur l’investissement et la restructuration des entreprises touristiques en difficulté, l'amélioration des structures d’accueil ainsi que d’avoir une offre riche et variée compétitive, le secteur peut bien se relever à moyen terme. Mais à une condition, et c'est la plus importante: Que la Sécurité règne et que le terrorisme soit éradiqué sur la totalité du territoire national.

Rien n’est jamais perdu. Là où il y a une volonté il y a toujours un chemin. Au travail tant qu’il est encore temps pour sauver un secteur vital à l’économie tunisienne.

Abdessatar Klai

 

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