Voter utile, c'est voter intelligent !

 Voter utile, c'est voter intelligent !

 

Béji Caïd Essebsi vient de jeter un pavé dans la mare en appelant, à Hammam-lif, les Tunisiens à voter pour les listes de Nidaa et en culpabilisant, voire en jetant implicitement l’anathème sur les sympathisants des autres partis démocrates qui seraient tentés de voter pour l’UPT ou d’autres formations du camp moderniste.

Beaucoup d’internautes lui ont emboîté le pas sur les réseaux sociaux et font une campagne, le plus souvent spontanée, pour ce qu’ils appellent à tort, le vote utile en faveur de Nidaa. Ils présentent ce vote comme l’expression d’un sens développé de la patrie, voire comme une œuvre de salut public.

Les élections du 26 octobre devraient permettre, à moins d’une énorme surprise ou d’une fraude électorale, à Nidaa d'être en tête. Mais tous ceux qui appellent l'électorat démocrate à voter utile en votant massivement pour Nidaa se fourrent le doigt dans l'œil jusqu'au coude.

Ils n'ont rien compris au scrutin à la proportionnelle avec les plus forts restes. C'est un système qui condamne une liste électorale à avoir le même nombre de sièges même si le nombre des électeurs qui votent pour elle est supérieur de plusieurs milliers au nombre de voix requises pour avoir ces sièges.

Dans une circonscription où il y a 175 000 votants et 7 sièges, le quotient électoral est de 25 000. C'est-à-dire qu'il faut 25 000 électeurs pour avoir un siège. Supposons que Nidaa obtienne dans cette circonscription 65 000 suffrages.

Il aura 2 sièges et un reste de 15 000 voix qui ne lui permettra pas d'avoir un siège supplémentaire que s'il est le plus fort reste, ce qui n'est pas évident. Si ces 15000 voix sont accordées à un parti ou une coalition alliée (Upt ou Afek, par exemple) qui aurait eu 5000 voix dans cette circonscription, cela lui ferait 20000 voix et la quasi certitude d'avoir un siège avec la règle des plus forts restes.

Dans la première hypothèse, la coalition démocrate projetée (Nidaa et l'un ou l'autre des partis démocrates sus-cités) n'aurait récolté que 2 sièges. Dans le 2ème cas, elle aurait 3 sièges. A l’échelle des 33 circonscriptions électorales,  cela donnerait 33 sièges pour les alliés de Nidaa ou dans le pire des cas une vingtaine. Dans la première hypothèse, les voix supplémentaires qu'auraient eues Nidaa seraient des voix inutiles car elles ne seraient pas converties en sièges pour les démocrates.

Voter utile, ce n'est pas faire du vote pour Nidaa une fin en soi, c'est voter pour Nidaa afin de lui permettre de remporter les élections, mais c’est aussi  voter pour les partis alliés, ce qui permettra aux démocrates d'avoir la majorité. Le vote massif des électeurs démocrates en faveur de Nidaa lui donnera certes la première place mais ne lui permettra pas paradoxalement d'avoir la majorité requise pour former le futur gouvernement. Il devra alors le constituer avec les rcdistes recyclés (Moubadara, Mouvement destourien) ou et -  ce serait pire - avec Ennahdha, ce que semblent encourager des puissances occidentales.

Avec un système électoral pareil, Nidaa ne parviendra jamais tout seul à avoir la majorité absolue! Avec cette approche du vote utile, Nidaa et les compatriotes qui sont sensibles à son argumentaire jouent avec le feu et risquent de subir les effets pervers de la proportionnelle avec les plus forts restes.

Voter utile, ce n'est pas voter massivement Nidaa, c'est donner aussi une part des suffrages aux alliés démocrates de manière à leur permettre de constituer avec Nidaa une coalition qui aura la majorité. Souvenons-nous de ce qui s'est passé en 2011 avec le Mouvement Ennahdha appelant à voter  pour le CPR après avoir eu la quasi certitude qu’il allait remporter les élections.

Voter utile, c’est voter intelligent ! Il est fort à craindre que  la campagne savamment orchestrée d’un vote démocrate massif pour Nidaa, énorme bourde à mon sens, ne nuise in fine au camp démocrate en privant les alliés de Nidaa de voix qui seraient perdues pour ce parti parce que non convertibles en sièges et qu'elle ne se solde par une énorme déception dans le camp démocrate et moderniste.

Habib Mellakh