Y a-t-il encore un avenir pour l'angioplastie coronaire ?

Y a-t-il encore un avenir pour l'angioplastie coronaire ?

 

L’angioplastie coronaire est cette technique permettant depuis quelques années moyennant une procédure relativement simple, la préservation du muscle myocardique contre le risque ischémique, c'est-à-dire un apport insuffisant d’oxygène, que cette ischémie soit aigue comme dans le cas d’un infarctus du myocarde ( et non pas infractus comme préfèrent le dire un grand nombre de personnes) , ou bien chronique  dans l’athérosclérose coronaire d’installation progressive. La technique consiste en un déploiement d’un stent (vulgairement appelé ressort) sur les plaques obstruant  au moins 70% la lumière de l’artère coronaire.

Moyennant cela le patient est rapidement sur pied et peut retourner au bout de 24 à 48 heures à  ses activités normales moyennant une médication associée. Cette technique a donc révolutionné le devenir du patient comparativement à la chirurgie qui outre une prise en charge lourde en réanimation, requérait une convalescence  longue au minimum de un mois.

Cette technique a donc débuté en Tunisie au milieu des années 90 et son essor n’a été possible que grâce à la prise en charge financière des frais apportée pour tous les assurés sociaux par les caisses de prestations sociales.qui avait permis  de faire l’économie de l’hémorragie de  devises  nécessitée auparavant par l’envoi des malades  vers les hôpitaux étrangers, en particulier Français.

Il faut rendre cette justice au Docteur Mohammed Gueddiche d’avoir été l’artisan de cet important saut qualitatif dans le domaine médical national  et d’avoir convaincu les autorités de l’époque de s’engager dans cette voie qui était alors l’apanage de seulement quelques pays développés.

Et évidemment comme bien souvent l’évolution des techniques s’est accompagnée d’une importante réforme dans le droit des affaires avec la constitution de sociétés anonymes d’actionnaires permettant par la division du risque financier et un accès plus aisé vers le crédit bancaire.

Bref l’angioplastie coronaire a vraiment été le moteur engendrant suffisamment de bénéfices financiers nécessaires à la création de plusieurs structures médicales privées drainant un nombre considérable de patients, en particulier Libyens. Seulement cet essor  a eu des répercussions négatives d'abord en instaurant de mauvaises pratiques,en particulier les droits des médecins traitants imposés par un lobby puissant aux caisses sociales,  ensuite de permettre , à un certain nombre de courtisans ( ou courtisane)  de s'y faire un nom sans avoir reçu la formation requise pour cela.

Sur la  médecine hospitalière, celles ci ont été considérables en particulier avec la licence accordée aux médecins fonctionnaires de l’état d’entrer dans les  capitaux de ces sociétés privées quelquefois grâce à des fonds avancés par les institutions privées elles mêmes, sans tenir aucun compte du conflit de loyauté qui en résulterait, et des règlements laxistes sans aucune volonté d’en contrôler l’application de la part de l’autorité de tutelle ont permis le transfert sur une très grande échelle des patients des hôpitaux publics vers les instituions privées avec pour conséquence un déséquilibre financier dont l’institution publique ne s’est pas relevée. Et puis il y a eu l’instauration de la Caisse Nationale d’Assurance  Maladie ( Cnam)  malgré l’opposition fortement teintée de calculs politiques des médecins.

Il faut dire que c’est Ben Ali qui s’était acharné à la mettre sur pied et le prétexte qui avait été avancé était  le cahier de charges auquel la Tunisie avait été astreinte en recevant les crédits nécessaires pour la réforme de la santé. Il faut dire que concernant l’Angioplastie Coronaire l’établissement de la Cnam n’avait pas avancé à grand-chose, la Cnss et la Cnrps ayant depuis le début pris en charge tous les actes relevant de la cardiologie interventionnelle et de la chirurgie cardiaque. Par contre l’ouverture de la Cnam sur toutes les spécialités  médicales a entraîné une explosion des dépenses de la santé dont inévitablement le problème du financement se serait posé tôt ou tard.

Pour ce qui est de l’angioplastie coronaire, la décision lourde de conséquences  a été prise avec le remboursement intégral du stent actif  dont jusque là, l’achat avait été laissé pour les 2/3 à la charge du patient, et cela a entraîné pour la Cnam un surenchérissement de dépenses pour l’angioplastie coronaire de 300% dont évidemment ceux qui ont tiré bénéfice ont été , outre les fournisseurs, les cliniques privées.

Mais cette manne financière financée par l’effort de solidarité nationale a entraîné des pratiques anti concurrentielles parmi les fournisseurs dans le but de fidéliser les médecins , dont la multiplication des prises en charge pour des congrès médicaux  dans des pays lointains n’a été que l’un des aspects. Il y a donc inévitablement eu une pression vers la consommation et un abus dans les indications des stents qui a finalement abouti au scandale des stents périmés dont les responsabilités n’ont toujours pas établies par la Justice.

Et il faut reconnaître que la Cnam, soumise elle-même à forte pression, n’était pas en mesure de résister aux recommandations scientifiques de plus en plus larges associées aux exigences d’un public bien au fait des développements médicaux et que les médecins eux-mêmes influençaient dans le sens de l’escalade thérapeutique. Malheureusement alors que les prix des stents baissaient partout dans le monde, en Tunisie, cette baisse n’a pas été aussi importante qu’elle aurait dû l’être, il faut à cet effet savoir que dans un pays comme l’Inde, les prix des stents ont baissé cette année de 80% sur décision du premier ministre. Toujours est-il qu’après 6 années d’anarchie,  plus de 4000 entreprises fermées, ainsi qu’un alourdissement sans précédent des effectifs de la fonction publique, la Cnam est aujourd’hui désormais incapable d’assumer la charge  financière des prestations médicales dont elle avait jusque là assumé le remboursement.

Depuis plus de deux ans déjà des établissements privés ne veulent plus de la chirurgie cardiaque ou de la dilatation mitrale, jugées trop onéreuses , sinon trop risquées. Et dans un domaine aussi sensible et vital que l’angioplastie coronaire des signes inquiétants commencent à apparaître, des décisions de refus de prises en charge se multiplient, et la décision de refuser de rembourser désormais  les procédures réalisées avant  l’accord préalable fourni par la Cnam non seulement soumet le patient à un risque médical injustifié subordonné à des délais  administratifs , pouvant atteindre trois semaines, mais aussi et surtout remet en cause le principe même des procédures réalisées  en urgence. Dans la pratique, tout médecin qui recevra un coronarien sera obligé de le faire hospitaliser en attendant son angioplastie, et les hôpitaux vont finir par être encore plus  engorgés.

Évidemment le problème ne se posera pas pour la frange de la population  qui sera capable de payer ses soins  même si elle n’est pas remboursée. Il y a donc une urgence à résoudre le problème, l’une des manières serait de faire marche arrière et de ne financer les stents qu’au prix du stent nu, mais les cliniques refusent absolument cette perspective qui les priverait d’une part substantielle de leurs bénéfices. Or on le sait en Tunisie, les syndicats des propriétaires  de cliniques préfèrent la fermeture de leurs établissements à un éventuel  manque à gagner,  surtout quand les médecins ne l’assument pas.

Et donc il est très probable  que ce syndicat qui a l’oreille des autorités exige en cas de baisse des prix des stents une baisse équivalente sur les honoraires des médecins pour compenser un éventuel manque à gagner. Mais il faut reconnaître que les retards apportés dans les remboursements des actes, qui atteindraient 6 mois pour les cliniques ( c’est ce qu’on prétend) et 8 mois pour les médecins, soumettent les intérêts des uns et des autres à rude épreuve.

En conclusion avec les difficultés rencontrées pour les remboursements des actes médicaux , les patients se verront de plus en plus obligés d’assumer eux-mêmes les frais de leurs angioplasties coronaires , aussi élevés soient ils. C’est ainsi que loin des tumultes des plateaux télévisés , des débats houleux, et des scandales des  affaires en justice, la médecine privée et en particulier l’angioplastie coronaire  achève son cycle de l'économie sociale et poursuit  silencieusement sa mutation néolibérale  avec pour  devise la privatisation des bénéfices (pour les cliniques privées ) , et la socialisation des pertes (pour les hôpitaux publics et les caisses sociales) . Or l'instauration d'une médecine oligarchique se paie toujours d'un prix lourd en matière de sécurité, d'harmonie sociale, et de cohésion nationale.

Ranjeet Singh

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