Désir de putsch !

Désir de putsch !

Par Jamel HENI

C’était presque un putsch. Certes inassumé. Mais ça en est un. Kais Said a renversé le régime parlementaire, en s’appuyant sur l’article 80 de la constitution tunisienne. En le massacrant, plutôt. Le texte prévoit l’inverse de ce qui été décidé par l’homme providentiel du 25 juillet 2021. Alors qu’il devait maintenir le parlement en conclave permanente, alors qu’il est interdit de procéder à une motion de censure contre le gouvernement, le président tunisien a gelé le premier et a pris la tête du second en limogeant à la hussarde le chef du gouvernement.

La suite est progressive, insidieuse.

Nous laisserons là le débat sur les dangereux accès tyranniques du président. Allons chercher les raisons d’une adhésion populaire à cette dérive.

Par-delà la manipulation réelle de sombres officines étrangères, envoyant leurs hommes sur place, fomenter une révolution colorée ( certaines sources évoquent la présence de barbouzes Arabes et Européens le soir du 25 devant le parlement), il existe un élan populiste tout à fait alarmant dans la société tunisienne. Il s’oppose comme tous les populismes à une élite dénigrée à souhait. L’ordre l’emporterait sur la justice, la fin sur les moyens, l’immédiat sur l’essentiel, le court terme sur la durée, l’instinct sur le choix……

Pourquoi cet élan populiste ? Pourquoi maintenant ? Éliminons d’emblée les sabordages régionaux et locaux réels du bateau tunisien. Concentrons-nous sur l’adhésion sincère de Tunisiens honnêtes.

Pour en revenir aux 10 années de la révolution, un élément de réponse pourrait résider dans l’absence d’ordre, tous gouvernements confondus. L’absence d’État diraient les Tunisiens. L’autorité a fait cruellement défaut dès le départ. 

Les primo-gouvernants, ont tellement été traumatisés de terreur, qu’ils avaient basculé dans la peur de gouverner. Ils n’avaient pas eu l’expérience d’État pour soupçonner un risque de déliquescence exécutive. La Troika refusait de s’identifier à ce qu’elle jugeait mauvais modèle (la dictature de Ben Ali) , Béji a suffisamment alterné autorité et laxisme qu’il a fini dans les filets de son poulain Youssef Chahed. Les autres ont préféré la manigance à l’ordre.

Une décennie d’adolescence exécutive, d’identification du gouvernement plutôt à l’opposition qu’au pouvoir, a fini par recréer un BESOIN D’ORDRE chez les citoyens. Un besoin de LIMITES nécessaire au moindre fonctionnement politique, à la moindre institution. À toute société. Or ce besoin vient d’être rempli par Kais Said. Mal rempli, mais rempli quand même. Il fallait s’y attendre. 

La corruption et la criminalité n’étaient pas une fable en Tunisie. Les gouvernements consécutifs, ont laissé faire, par peur d’offusquer la population qui paradoxalement n’attendait que l’Autorité. Ils n’avaient rien compris. Ils avaient mal compris. Peut-être compris de travers.

Hormis les éradicateurs islamophobes ou simplement maso-identitaires, ce qui est reproché à nahdha par les « aficionados » de Kais Said est leur complaisance, si ce n’est leur complicité avec la mafia. Il ne s’agit donc pas d’un rejet doctrinaire et sommaire de l’islamisme ( comme le prétendent certains) , mais bien de son bilan politique, de sa gouvernance et non de son existence.

Kais Said est aujourd’hui le symbole de l’ordre dont les détracteurs attendent la justice, et c’est peut-être l’incongruité fondamentale d’un désir d’ordre qui a évolué chez certains Tunisiens vers un DÉSIR DE PUTSCH.

Comment maintenant convaincre nos compatriotes que l’ordre n’est pas l’injustice ! Qu’il ne la prévoit pas en tous cas.

 

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