Hommage à Habib Harzallah, « l’hôtellier nomade » disparu ce dimanche 20 août

Hommage à Habib Harzallah, « l’hôtellier nomade » disparu ce dimanche 20 août

 

Habib Harzallah, une figure de proue de l'hôtellerie tunisienne vient de nous quitter très tôt ce matin à l'âge de 79 ans. Un hommage appuyé lui est rendu par un journaliste chevronné, expert du tourisme, notre ami Mohamed Bergaoui.

Habib Harzallah, natif de Monastir en 1938, aimait faire plaisir à ses parents et plus particulièrement à son père qui voulait, à tout prix, faire de lui un instituteur respecté et respectable. A l’époque cette profession était entourée d’un halo de vénération et de respectabilité mais le jeune Habib n’en voulait pas et voyait mal comment échapper à la volonté paternelle. « Je sentais que je n’étais pas fait pour ce métier mais n’osais pas le dire de peur de décevoir et de provoquer le courroux de mon père’ » nous confiait-il. 
A l’origine de ce refus, quelques visites, en 1957, à l’hôtel « Ribat » qui venait d’ouvrir, dans sa première version sous la direction de Si Mohamed Khélil. « J’étais fasciné par la tenue que portaient les réceptionnistes. Ils étaient bien fringués et ce n’était pas pour me déplaire.’’ ajoute-t-il, sans cacher le faible qu’il avait et a toujours pour les beaux habits et l’élégance.
Il avait réussi à convaincre son père. Un véritable tour de force. Le premier de sa vie. Le second, il le fait plus de quarante ans plus tard en décidant, alors qu’il était à quelques années de la retraite, de construire sa propre unité : « Le Skanès Sérail », jouxtant l’ancien Palais présidentiel et inauguré au cours de la saison touristique 2004. Il avait 66 ans. Assez tard, penseront certains. Non, rétorqua-t-il, prenant à son compte l’adage disant qu’il n’est jamais tard pour bien faire. Et celui qui allait devenir instituteur est non seulement devenu hôtelier mais également promoteur. 
Préférant une retraite dynamique et active à une retraite dorée, Habib Harzallah vient de prouver d’une manière on ne peut plus claire que le virus de l’hôtellerie n’a pas été altéré par les années, bien au contraire, il a proliféré chez les Harzallah puisque son fils unique Fethi a suivi les traces de son père mais d’une manière autrement plus prononcée ; le père orientait son fils vers des études très poussées en marketing hôtelier.
Mais pour Habib Harzallah les choses commencèrent par la pratique à Hammamet, avec les Fourati avec lesquels son père était lié d’une grande amitié. C’était au début des années soixante, Chedly Fourati sur instigation de Bourguiba inaugurait sa première unité à Hammamet après avoir obtenu ses lettres de noblesses à l’hôtel « Splendid » à Kairouan.
Mais la formation sur le tas n’était pas pour satisfaire le jeune Habib, se fiant à son destin et fier d’appartenir à ce nouveau corps de métier encore mal accepté par une société conservatrice voyant d’un mauvais œil ces hôtels hébergeant des étrangers aux mœurs bien différentes des leurs pour ne pas dire étranges. 
Grand, élégant, le teint hâlé, il est contacté par l’ONTT à l’affût de nouveaux cadres pour un stage de quelques mois en Suisse et plus précisément à la société fiduciaire de l’Hôtellerie Suisse installée dans la capitale Zurich, une sorte de banque spécialisée dans la gestion hôtelière. 
De retour en Tunisie, il allait faire le tour de la quasi-totalité des unités hôtelières de la société Hôtelière et Touristique de Tunisie –SHTT- en commençant par le fameux « Miramar » dirigé par Tahar Fourati qui s’était employé, précise Habib Harzallah, à nous faire suivre, mes compagnons et moi, des stages dans tous les services de l’hôtel, qualifiant cette formation de réellement complète. De la réception à la cuisine en passant par les étages et la comptabilité.
Suite à l’affaire Steigenberger qui se résume en la reprise en main par la SHTT des « Palaces » qu’elle avait cédés à cette société pour les gérer, Habib Harzallah est affecté au Skanès Palace pour seconder Tahar Fourati, qui quelques mois plus tard est remplacé par Raouf El Kateb.
En 1965, il est nommé Directeur de l’hôtel « Les Palmiers ». C’était la première fois qu’on lui confiait la gestion d’une unité. Il était honoré et ravi mais appréhendait cette responsabilité pour une double raison. La première, il n’était guère aisé d’évoluer dans sa ville natale et la seconde, de loin la plus importante, c’est qu’il avait affaire personnellement au chef de l’Etat qui se faisait, à l’époque, un devoir de passer un mois, voire davantage, à Monastir et plus particulièrement dans le nouveau Palais présidentiel à Skanès jouxtant « Les Palmiers ». Bourguiba passait ces après-midi au café de Skanès baptisé par les Monastiriens « Café Wassila » du nom de la femme du Président qui avait ordonné la construction du café portant son nom après la destruction de celui qui était à la place de l’hôtel « Les Palmiers ».
Très vite Habib Harzallah s’habitua à cette nouvelle atmosphère monastirienne qu’il connaissait parfaitement et s’employa à faire de son mieux pour assurer le confort nécessaire au couple présidentiel et aux clients du café qui se prélassaient par ces soirées estivales autour du patio du café aménagé en une petite piscine où coulait une eau parfumée de jasmin. On venait siroter un café ou un thé à la menthe tout en jouant aux cartes ou en bavardant. Bourguiba tout de blanc vêtu, aimait par-dessus tout venir dans ce café côtoyer les monastiriens et s’asseoir confortablement dans sa chaise longue un grand bouquet de jasmin à la main.
Suite à l’éclatement de l’affaire Smadja, directeur du journal « La Presse » et en même temps propriétaire des hôtels « Claridge » et « Tunisia-Palace », la S.H.T.T est désignée par les banques en qualité de séquestre de ces deux unités et Habib Harzallah est nommé, l’espace d’une année, respectivement Directeur du « Claridge » puis du « Tunisia-Palace ». Une année plus tard, il est nommé Directeur du l’hôtel « Morjane » à Tabarka où il rencontra le couple présidentiel en déplacement pour quelques jours dans la région.
La saison d’après, il assura l’intérim de l’Ulysse Palace à Djerba. Là encore il était aux petits soins du couple présidentiel. Bourguiba qui ne manquait point de perspicacité lui posa la question de savoir si la SHTT ne disposait que d’un seul et unique directeur, Habib Harzallah en l’occurrence, qu’il croisait partout où il allait à Monastir, Tabarka, Djerba. Toute l’assistance riait devant cette remarque et les responsables d’assurer le Président que c’était là un pur hasard. 
Mais son aventure avec Bourguiba ne s’arrêta pas aux années soixante. Elle allait se poursuivre à Hammamet puisque après avoir été nommé directeur du Tanit, l’hôtelier-nomade qu’il était, est affecté à la direction du « Miramar », cette unité de prestige où séjournait régulièrement un grand ami du Président Bourguiba, l’ancien Président du Conseil français Edgar Faure qui ne ratait pas une occasion de lui souffler à l’oreille en guise de boutade : « j’ai dit beaucoup de bien de vous au Président Bourguiba » à qui Edgar Faure rendait souvent visite au Palais de Carthage et passaient ensemble de longs moments à réciter des poèmes et à se remémorer d’autres, nous confie-t-il, nostalgique de ces moments uniques et historiques qu’il vécus. 
Après détachement de cinq années au Jockey-Méridien de l’homme d’affaires monastirien Ali Mabrouk, il revient à la SHTT en qualité de directeur du « Skanès Palace ». Mais la SHTT était en déficit chronique et son assainissement passait par la vente de ce palace à l’un des principaux créanciers à savoir ; la Société Tunisienne de Banque –STB- qui désigna un autre directeur. Heureuse coïncidence, Habib Harzallah recevait à la même période l’offre de diriger l’hôtel « Shems », un village de vacances de 1200 lits en bungalows s’étendant sur 23 hectares en bord de mer, appartenant à la Caisse Nationale française des ouvriers du bâtiment –CNRO-.
Une nouvelle expérience qu’il qualifie de ‘’réellement riche’’ et pour cause ; il s’agit de prestations de qualité à des retraités pour pallier à l’isolement dans lequel ils se trouvent. Et c’est chèrement payé, souligne-t-il, puisque la journée revenait à 250 francs par client, soit 2 fois plus chère que la prestation d’une unité 4 étoiles. C’est tout dire. 
Cette unité a pu voir le jour grâce à un travail acharné de Habib Bourguiba Jr. Qui avait persuadé et convaincu le directeur général de la Caisse Française venu passer ses vacances au Skanès Palace. Habib Harzallah, volant d’un hôtel à un autre pendant plus de 20 ans, a fini par devenir sédentaire puisqu’il passa un peu plus de 15 ans, au CNRO. Un record. Et cette stabilité lui avait donné l’idée de créer sa propre unité avec la parution de la loi encourageant les nouveaux promoteurs.
L’offre était à la fois alléchante et risquée. Alléchante parce qu’elle lui permet enfin de voler de ses propres ailes. Risquée, parce que le plafonnement à 140 lits mettait en jeu la rentabilité de l’hôtel. Il décida de prendre tout son temps tant et si bien que l’idée qui germa en 1992, n’a trouvé son aboutissement qu’en 2002 et sa réalisation en 2004.
Les réaménagements ont intéressé, nous précise-t-il, la capacité de l’hôtel qui est désormais de 320 lits avec une extension immédiate à 400 lits avec et une enveloppe globale d’investissement de 10 millions de dinars, soit un coût de 25 mille dinars par lit.
Le « Skanès Sérail » d’un jaune ocre, est planté majestueusement entre la plage de Skanès Présidence et la route conduisant de Monastir à Sousse. Ses immenses baies vitrées flanquées d’un hall d’entrée avenant et agréable, met à nu tout le charme de sa piscine et de sa plage. C’est une invite aux vacances, au calme et au repos.
De son vaste bureau, Habib Harzallah, calme et serein, affable et courtois, discret et égal à lui-même, dirige son petit monde et initie son fils Fethi qui, malgré son jeune âge, dispose d’une expérience appréciable en matière d’hôtellerie et de tourisme. Ce diplômé en gestion de l’Ecole de Montréal doublé d’un DESS en Marketing-Hôtelier, en 1989, a passé 6 ans au Méridien-Montréal avant de rentrer en Tunisie pour prendre une part active, en 1996, à l’ouverture de l’hôtel « Le Palace » de Gammarth puis de rejoindre la direction marketing du groupe Abou Nawas jusqu’en 2002, date du début du chantier du « Skanès Sérail ».
Entre le père et le fils c’est l’entente. Entre le patron et le directeur de l’hôtel, tâche accomplie par le fils, c’est la complémentarité des rôles mais aussi la réussite d’une ouverture qui a été hypothéquée par la conjoncture défavorable des deux dernières années (2002 et 2003), précise Habib Harzallah qui ne cache pas son agréable surprise devant l’enchantement des uns et des autres par cette unité dont la simplicité de l’architecture est l’atout majeur.
Il a certainement réussi là ou d’autres, cherchant l’originalité ou bien voulant économiser quelques mètres carrés sur les espaces communs, ont échoué. Il en est conscient et en tire, tout comme son fils Fethi, une grande fierté. 

Mohamed Bergaoui

 

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