Il y a bien des sages dans ce pays pour mettre le holà !

Il y a bien des sages dans ce pays pour mettre le holà !

 

Cela fait bien longtemps que la Tunisie est tel un bateau ivre qui tangue au gré des vents. Ce qui est nouveau c’est qu’il est train de prendre de l’eau de toutes part, à bâbord et à tribord et qu’il risque à tout moment de sombrer sans que personne ne puisse alors rien faire pour le sortir de là où il se trouve.

C’est bien triste mais c’est la réalité amère. Ce qui va encore l’enfoncer davantage c’est qu’il n’a pas un seul capitaine qui puisse tenir la barre et le guider sur les voies du sauvetage.

Les trois présidents que l’on a hérités d’un régime politique boiteux tirent chacun de son côté sans se soucier ni de la direction du vent, ni de la hauteur des vagues qui se déchainent, ni encore moins du déferlement de la houle qui est d’autant plus violent que le remontée des fonds est brutale.

Les moulins à vent

Ainsi, le président de la République Kaïs Saïed s’entête et fait la sourde oreille. Il ne veut rien entendre. Il se sent trahi par celui qu’il a nommé pour tenir les rênes du gouvernement et qui a vite fait de lui tourner le dos pour se jeter dans les bras de ces partis politiques que lui abhorre par-dessus tout. N’ayant pas écouté les mises en garde qu’il lui a fait parvenir de ne pas toucher au gouvernement et surtout pas aux ministres choisis par Carthage, c’est la tête de Hichem Mechichi qui est désormais réclamée pour que Saïed revienne à de meilleurs sentiments et compose avec les formations dominant la scène parlementaire.

Evidemment, le locataire de la Kasbah ne l’entend pas de cette oreille. Lui qui n’a jamais imaginé arriver si-haut dans la hiérarchie des responsabilités ne va pas céder si facilement un poste si convoité de chef de l’exécutif. Certes il doit sa promotion à Kaïs Saïed, mais pour dormir tranquille et ne pas avoir de cauchemars, quoi de mieux qu’un « coussin politique » qui l’a adopté et avec lequel il se sent en sécurité.

Réagissant aux « signes » parvenant de Carthage appelant à sa démission, Hichem Mechichi affirme qu’il n’en fera rien car il n’est pas du genre déserteur. « Il ne veut pas se battre contre des moulins à vent » ajoute-t-il en faisant référence au personnage du romancier espagnol Miguel Cervantès. Mais nous ne saurons pas qui est le Hidalgo Don Quichotte de la Manche ni qui est son écuyer et compagnon Sancho Panza.

Même s’il doit se contenter d’un gouvernement diminué et réduit à la portion congrue, Mechichi s’y résout en croyant qu’en coupant la poire en deux- il procède au remaniement ministériel sans le parachever totalement-il satisfait le bon dieu et se saints comme on dit.

Mais apparemment il mécontente tout le monde. Et surtout cela ne peut durer éternellement. Le ministre des TICs qui cumule l’agriculture, la pêche et les ressources hydrauliques ou le ministre du commerce qui doit s’occuper aussi de l’industrie, des mines et de l’énergie, cela peut durer un moment mais il ne saurait perdurer sans obérer le travail du gouvernement au moment où ce dernier a besoin de ses capacités pleines et entières pour prendre les énormes difficultés du pays à bras-le-corps.

Bataille par procuration

Cependant Mechichi ne livre bataille que par procuration. Car ce que vise Saïed c’est surtout cette triplette de partis-Ennahdha, Qalb Tounes et Al Karama- qui lui tiennent tête et veulent le réduire à l’inauguration des chrysanthèmes comme le dit un homme célèbre, lui qui dit jouir de la légitimité des urnes et de l’adhésion populaire qui ne se dément pas.

L’adversaire du président de la République, le vrai c’est évidemment le chef du Mouvement Ennahdha et président du Parlement Rached Ghannouchi. Lors de son investiture au Perchoir, n’a-t-il pas dit qu’il est le « président de tous les Tunisiens », des propos impardonnables. Du reste ce Ghannouchi fait du président comme Monsieur Jourdan fait de la prose et ça agace prodigieusement le président de la République.

Ce dernier ne cesse d’ailleurs de répéter que l’Etat tunisien est un et indivisible et qu’il n’y a qu’un seul président à sa tête, lui. Cela n’empêche pas son alter-ego de recevoir des ambassadeurs à tour de bras et de marcher sur les platebandes présidentielles. De quoi lui attirer l’ire encore et encore du locataire de Carthage.

Ghannouchi n’est pas la cible préférée de Saïed seulement. Contesté au sein de sa famille politique, où une minorité agissante l’accuse de vouloir s’éterniser à la tête du mouvement qu’il a fondé il y a plus de quarante ans, le chef des islamistes doit se demander s’il a bien fait de prendre la tête du Parlement.

Souffre-douleur

Cette position fait de lui le souffre-douleur de toute l’opposition et même au-delà. Surtout avec l’accession au Parlement du parti destourien libre dont la cheffe Abir Moussi s’est donnée pour mission de lui faire voir de toutes les couleurs. Finirait-elle par avoir sa peau, cela devient possible puisqu’il doit faire face dans les jours ou les semaines qui viennent à une seconde motion de défiance.

Pourquoi, lui qui tirait toutes les ficelles et avait le pouvoir sans en avoir les inconvénients a-t-il fini par se jeter dans l’arène à l’âge où d’autres jouiraient d’une retraire bien méritée. A moins qu’il ne cherche de faire de son passage au Palais du Bardo-où il occupe la salle du trône du dernier Bey de Tunis- l’antichambre d’une position plus éminente ?!

Les tiraillements- des enfantillages, dirait le patron de la centrale ouvrière- entre les locataires des trois palais de la République se font jour au moment où le pays traverse la plus grave crise qu’il ait eu jamais à affronter.

Le blocage n’est pas seulement institutionnel, il a induit une rupture entre les deux têtes de l’exécutif. Cela fait presqu’un mois que le président de la République et le chef du gouvernement ne se parlent quasiment plus. Le chef de l’Etat refuse aussi de rencontrer le président du Parlement. Ceci ne s’est jamais vu dans l’histoire de la République. Au plus fort de la crise entre feu Béji Caïd Essebsi et Youssef Chahed, les ponts entre les deux hommes n’ont jamais été coupés.

Crise multidimensionnelle

Ce qui aggrave la situation c’est que la crise est multidimensionnelle. Elle est sanitaire, financière, économique et par-dessus tout politique. La dégradation de la note souveraine, qui risque de chuter encore dans quelques mois n’est en fait que la sonnette d’alarme que le pays va très mal et qu’il importe de tout mettre en œuvre pour le sortir de cet état.

Mais par-dessus tout c’est la paix civile qui risque d’être compromise en raison d’un Etat faible et déficient. On en a observé les prémices dans le conflit qui a opposé le PDL au mouvement Ennahdha et à ses alliés au sujet du bureau de l’Union des Oulémas musulmans. Un conflit qui aurait pu dégénérer dangereusement.

Il est évident que cette situation surréaliste, mais aussi explosive, ne peut pas durer éternellement. L’Union Générale tunisienne du travail qui a toujours agi en tant que force d’intermédiation et de modération a bien présenté une initiative de dialogue national au président de la République qu’elle considère comme le plus à même de conduire ce dialogue, mais Kaïs Saïed n’a fait que tergiverser ce que certains jugent comme une fin de non-recevoir.

Sage parmi les sages

Si le président de la République ne fait rien et continue à laisser la situation pourrir inexorablement, la Tunisie comme elle l’a toujours prouvé doit trouver en elle-même les ressources pour imposer une voie de sortie de crise. Celle-ci ne peut être trouvée qu’à travers un dialogue national efficient et responsable.

Il faut que les sages de ce pays-et il en compte fort heureusement- se liguent pour mettre le holà à une situation qui n’a que trop duré. Le secrétaire général de l’UGTT, Noureddine Taboubi a proposé l’ancien président de l’ARP et président intérimaire de la République Mohamed Ennaceur pour présider le comité des sages dans le dialogue national.

Sage parmi les sages que compte ce pays, l’homme, précurseur du contrat social, a toutes les qualités pour conduire ce comité.

RBR

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