Le poète et le Président
Par Naoufel Ben Aissa
En hommage à Robert Frost, JF Kennedy a prononcé son dernier discours - juste avant son assassinat en 1963- à l'occasion de l'inauguration d'une bibliothèque à laquelle on a attribué le nom de l'illustre poète.
Dans son discours, Kennedy a mis l'accent non seulement sur l'importance de l'art dans la vie d'une société, mais surtout sur l'importance de la poésie. Il la considère comme rempart contre les dérapages des politiques dans la mesure où c'est "dans la dissidence qu'un pays puise une partie de sa force". Ainsi, l'utilité et la nécessité de la parole libre pour la conscience de la société sont mis en exergue. C'est la poésie qui purifie, critique et moralise quand le pouvoir corrompt, pollue et pourrit, insiste le défunt Président des USA et à ce titre leader du monde libre.
Pendant la période de la présidence de JF Kennedy de 1961 à 1963, en Tunisie, Bourguiba qui "œuvrait pour que le pays intègre la modernité" a éradiqué par le fer et dans le sang la dissidence, a fait de son parti un parti-État et s'est approprié tous les pouvoirs ! Après avoir fait du "nettoyage de la scène politique" et de son parti "le Parti unique", il s'est occupé de la scène poétique. Il a créé une classe d'artistes et "d'hommes de culture" officielle investie de la mission de le glorifier et dans la foulée, son système a écrasé "la parole libre".
Dans ce contexte, un libre poète, Mnawer Smadeh, autodidacte, a dû s'expatrier en Algérie. A son retour au pays, il fut harcelé par le pouvoir en place. Tellement persécuté qu’il a fini incarcéré à l'hôpital psychiatrique Ar-Razi à la Manouba où il écrit en 1969 son chef d'œuvre "Al kalimat", y fait l'éloge de la parole libre et appelle à ne jamais s'en dérober.
Mnawer Smadeh a continué à s'exprimer en dépit du despotisme de Bourguiba et son état psychique à se dégrader. Il a fini dans la démence, Bourguiba sénile, fini déchu et incarcéré à domicile dans sa ville natale. Après lui, son successeur Ben Ali a reproduit le même modèle et jusqu'à ce jour, la Tunisie n'a intégré ni la modernité ni le monde libre.
De nos jours, un système politique est en voie d'être mis en place, issu d'une pensée faite d'un pot-pourri de marxisme léniniste, nationalisme, kaddafisme et panarabisme, où comme tout le monde le sait la dissidence, "le poète" et la parole libre n'ont pas de place.
A propos, un présentateur d'une TV tunisienne qui a introduit son émission par des vers du poète irakien dissident Ahmed Matar croupit toujours en prison. Encore une question de poète et de Président !
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