Pour arrêter le cauchemar, Génie, ô génie, peux-tu changer le sort des Tunisiens

Pour arrêter le cauchemar, Génie, ô génie, peux-tu changer le sort des Tunisiens

Dans leurs pires cauchemars, les Tunisiens n’auraient jamais imaginé en arriver là. Il y a quatre ans presque jour pour, on arrivait au bout d’un long et harassant processus électoral avec les législatives le 26 octobre puis la présidentielle, le premier tour le 23 novembre puis le second tour le 21 décembre. Alors qu’on devait être à égrener les acquis, à énumérer les réalisations et à se préparer paisiblement aux prochaines échéances dans un an, que trouve-t-on ? Rien de bien reluisant. Le parti vainqueur de ces élections, Nidaa Tounés se trouve non seulement éclaté en mille morceaux, mais il se positionne désormais dans l’opposition à un gouvernement dirigé pourtant par un homme sorti de ses rangs, en l’occurrence Youssef Chahed appelé à cette fonction par la seule volonté du président de la République et fondateur dudit parti. Du reste Béji Caïd Essebsi ne cache plus qu’il est lui-même à la tête de cette opposition, puisque rien dans le comportement du locataire de la Kasbah ne trouve grâce à ses yeux.

C’est à y perdre son latin . Dans le même temps, le mouvement Ennahdha qui a perdu les élections de 2014 et aurait dû se placer dans l’opposition, c’est du moins comme ça que les choses auraient dû se passer, a été appelé à siéger au gouvernement, par un seul ministre, puis par quelques uns et enfin par plusieurs dans le cadre d’un « consensus » qu’on appellera tour à tour, cohabitation, collaboration imposée par les résultats des urnes ou même alliance, bâti entre les deux partis sous la houlette de BCE et du leader d’Ennahdha, Rached Ghannouchi dans une première séquence, puis entre ce dernier et Youssef Chahed dans une seconde période. Si maintenant le camp du Nidaa ou ce qu’il en reste, cherche à diaboliser cette « alliance » contre-nature de Youssef Chahed avec Ennahdha, ne doit-il pas se rappeler qu’il en a été lui-même le maître d’œuvre.

Pourquoi en sommes-nous arrivés là et qui en est le responsable ? Cette question, les Tunisiens ont droit de se la poser et d’attendre des réponses de leurs dirigeants, car à l’évidence cette crise entre les deux têtes de l’exécutif qui atteint son paroxysme ne peut raisonnablement durer sans affecter le processus démocratique chèrement acquis comme il affecte déjà les Tunisiens dans leur vie de tous les jours. Car on voit mal dans ces conditions, se dérouler les échéances électorales prévues avant la fin de 2019, soit des élections législatives en octobre puis une présidentielle probablement en deux tours, en novembre-décembre. Car des élections, ce ne sont pas des urnes à placer et des bulletins à glisser, ce sont surtout des conditions optimales, qui donnent aux gens envie d’y prendre part et un libre arbitre qui ne peut être garanti que par la neutralité de l’administration et l’impartialité des médias, ce qui ne semble pas être assuré si les circonstances actuelles persistent.

Cela affecte les Tunisiens dans leur vie de tous les jours, personne ne peut le nier. Car les tiraillements entre les différents centres du pouvoir affaiblissent indubitablement l’autorité de l’Etat. Celui-ci est ainsi incapable de mener les tâches qui sont les siennes. Y compris ces tâches régaliennes comme la sécurité, la justice ou la politique étrangère. On en a eu l’illustration avec l’assassinat de Khaled Ghozlani au pied du Mont Mghilla. Voilà une douzaine de terroristes qui descendent de leur repaire, prennent une famille en otage, lui subtilisent son véhicule, braquent une banque où ils dérobent plus de 300.000 dinars et s’en vont assassiner un homme devant ses enfants pour enfin rentrer sains et saufs d’où ils sont venus. Cette escapade meurtrière de quarante cinq longues minutes s’est déroulée sans qu’ils ne soient inquiétés. Voilà qui n’est point rassurant et toutes les justifications ne peuvent qu’enfoncer leurs auteurs, car il ne peut y en avoir aucune. Il s’agit d’un sérieux, très sérieux défi à l’autorité de l’Etat et ce n’est pas un appel à la vengeance qui peut classer l’affaire comme si de rien n’était.

Mais ce n’est pas tout. Les prix flambent, la spéculation s’organise dans une quasi-impunité, les produits de première nécessité manquent dans les étals, la pénurie des médicaments qu’on croyait derrière nous reprend de plus belle. Cela ne peut que de donner des arguments à la centrale syndicale UGTT déjà gonflée à bloc contre le gouvernement et qui présente revendication sur revendication qu’il lui demande d’honorer avec l’appui tacite de l’autre centre du pouvoir, alors que celui-ci sait parfaitement que dans les conditions où se trouvent les finances publiques, cela n’est point possible. Du reste sans production réelle, les augmentations des salaires ne peuvent qu’alimenter la spirale inflationniste déjà bien emballée.

Mais le pire, c’est quand les tiraillements vont jusqu’à remettre en cause un des principaux acquis sociaux de la Tunisie indépendante, à savoir son régime de retraite et de protection sociale. On ne le dira jamais assez mais l’échec de l’ARP à approuver le projet de loi relatif au régime de retraite dans la fonction publique pour les civils et les militaires est un événement qui en dit long sur la crise majeure que vit le pays. Alors que l’on attendait de ce texte le début du commencement de la réforme des caisses sociales, son rejet aggrave la situation de ces caisses et notamment celle de la CNRPS qui pourrait être dans l’incapacité à verser les pensions de retraite pour les ayants droits comme il met dans de sérieuses difficultés la CNAM et tout le régime d’assurance-maladie. Son rejet par l’ARP, tous les blocs en sont responsables, mais il doit peser sur la conscience de députés de Nidaa qui après avoir approuvé les six articles que la loi compte ont décidé de ne pas adopter le texte dans son intégralité. Cette volte-face destinée à mettre le gouvernement en difficulté n’est pas digne d’un parti qui veut mettre la patrie au dessus de toute autre considération. N’oublions pas néanmoins que 38 députés d’Ennahdha, 21 du bloc de la coalition nationale et 7 de Machrouu Tounés ont manqué à l’appel lors de la plénière en question. Ce qui veut simplement dire que Youssef Chahed n’a pas d’autorité sur les partis qui forment pourtant son gouvernement. Ça laisse rêveur.

Le dépôt d’un recours pour inconstitutionnalité de la loi des finances 2019 par un gros paquet de députés avec la bénédiction de Carthage est un autre signe qui ne trompe pas que le pays va à sa perte. Certes déposer un recours est un indice que l’Etat de droit est en marche, mais quand des calculs politiciens viennent polluer le climat politique on ne peut que s’en offusquer. Car comment expliquer autrement que 36 députés ont voté contre la loi alors qu’ils sont plus de 76 à prétendre qu’il est inconstitutionnel dans certaines de ses dispositions. Celle relative au secret professionnel rejeté par certains corps dont les avocats a suscité une grosse polémique alors qu’elle est imposée par le GAFI (groupe d’action financière internationale) si on veut sortir de la liste noire des pays non coopératifs en matière de financement du terrorisme et de blanchiment d’argent.

Le tableau ne serait pas complet si on ne parle pas des grèves qui sont devenues le pain quotidien des Tunisiens. Les enseignants du secondaire ne baissent pas les bras après avoir observé le boycott des examens du 1er trimestre et ils menacent d’une « année blanche » si leurs revendications ne sont pas satisfaites, dont l’une relative à l’abaissement de l’âge de la retraire va à l’encontre de la logique du prolongement de la vie active. A la mi-janvier, soit le 17 précisément, une grève générale dans la fonction publique et les établissements publics est prévue, ce qui risque de mettre le feu aux poudres. Sans parler de la menace que fait peser le mouvement des gilets rouges sur la paix civile. Un mouvement du reste assez étrange puisqu’il veut s’inspirer du mouvement des gilets jaunes en France alors que celui-ci a été apolitique, d’essence populaire et sans aucun leadership. C’est tout le contraire pour le mouvement tunisien qui d’ailleurs fait de la doléance pour la mise en place d’un régime présidentiel une de ses nombreuses revendications. Ses leaders ne manquent pas d’ailleurs de dire qu’ils aient une convergence d’approche avec la présidence de la République. Toujours ce conflit entre Carthage et la Kasbah qui envenime la vie tunisienne.

Il ne reste plus dans ces conditions qu’à appeler le génie tunisien, celui qui a jusqu’ici empêché le pays de sombrer sous les coups de boutoir des différentes crises qui l’ont secoué au cours des 8 dernières années. Peut-être va-t-il venir à notre rescousse et nous faire éviter de couler.

R.B.R.

Votre commentaire