Ce Bourguiba dont on veut salir la mémoire

Ce Bourguiba dont on veut salir la mémoire

Au moment où s’ouvre le procès de Bourguiba pour son implication dans l’assassinat de Salah Ben Youssef devant la chambre criminelle spécialisée dans la justice transitionnelle près le tribunal de première instance de Tunis, je reprends ici de larges extraits d’un article que j’ai publié dans la Revue pour l’intelligence du monde( avril  2019), en hommage au bâtisseur de la Tunisie moderne. Cet article est en fait une lecture d’un livre sur Habib Bourguiba écrit par un journaliste, Bertrand le Gendre, ancien rédacteur en chef du journal le Monde. Mis en vente à partir du 18 février 2019, il retrace l’itinéraire de celui qui fut le fondateur de la Tunisie moderne laquelle, sans lui, « ne serait pas la seule démocratie du monde arabe ».

Dans quelque 450 pages, l’auteur décrit le parcours de ce « musulman nourri de lumières », de sa naissance, officiellement le 3 août 1903, dans « la petite ville de Monastir » jusqu’à sa mort, reclus, dans cette même ville le 6 avril 2000. Cet homme qui a traversé le 20ème siècle et qui a combattu la France, connu ses prisons, avant de devenir l’un de ses meilleurs alliés, a marqué l’histoire de son pays. Avec Elyssa Didon, Hannibal et Khereddinne Pacha, ils sont considérés, par Habib Boulares dans son livre « Histoire de la Tunisie », comme les plus grands Tunisiens de tous les temps.

Se référant beaucoup plus à des témoignages de personnalités ayant connu ou côtoyé Bourguiba, pour la plupart ses fidèles lieutenants dont l’actuel président Béji Caid Essebsi, l’ancien premier ministre Hédi Baccouche, son médecin particulier, Amor Chadli, Béchir Ben Yahmed…qu’à des archives historiques, le journaliste a, néanmoins, réussi à brosser une biographie de l’Homme, avec ses « ombres et lumières ». En dépit de quelques erreurs historiques. Son enfance dans une famille nombreuse, ses études, ses engagements politiques, son combat pour l’indépendance de son pays…sont bien retracés...

Bourguiba est un grand réformateur qui a fait du combat pour la libération de la femme, une priorité absolue. Son premier décret en tant que chef du gouvernement fut la promulgation du fameux Code du statut personnel(CSP), interdisant la polygamie et instituant le divorce judicaire, le 13 août 1956 et qui demeure l’une des plus grandes fiertés de la Tunisie. Il s’est attelé à la construction d’un état moderne avec des institutions qu’il voulait pérennes, réformé la société en généralisant la scolarisation, avec pour slogan porteur « une école sur chaque colline ». Il s’est attaqué à l’éradication de la pauvreté et a institué la santé pour tous. La politique de ce qui est communément appelé « planning familial » et la légalisation de l’interruption volontaire de la grosse en 1973, deux ans après la loi Simone Veil sur l’Ivg, ont évité au pays une forte croissance de natalité qui aurait pu handicaper fortement son développement.

Bertrand Le Gendre n’a pas passé sous silence les dérives autoritaires de Bourguiba, ni sa longue fin de règne marquée par les intrigues du palais et sa déposition, le 7 novembre 1987, par Ben Ali, le seul militaire qu’il avait nommé au poste de premier ministre.

Aujourd’hui, 19 ans après sa mort, celui qui aimait se faire appeler « le Combattant suprême » et disait qu’il était « un Jugurtha qui a réussi », s'est transformé en un référent consensuel, pour la plupart de ses concitoyens. L'attitude de certains de le «vitrioler et de défigurer son action» ne saurait effacer son héritage devenu la chose la mieux partagée par les Tunisiens qui le portent, plus que jamais, dans leur cœur. Même ceux et celles qui essaient de salir sa mémoire «d'une rétrospective sélective axée sur des aspects négatifs» de son œuvre, tentant de rallumer la discorde et raviver les passions, en ont pris pour leur grade…

Bourguiba qui répétait qu'être «réaliste, c'est préférer une réforme modeste, qui en permet une autre, à un miracle impossible», est déjà entré dans l'Histoire comme « le fondateur de la Tunisie moderne et le libérateur de la femme », comme l’indique l’épitaphe qu’il a fait écrire, de son vivant, sur la porte de son mausolée à Monastir.

B.O

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