Kais Saïed: "Le gouvernement de technocrates est un grand mensonge et une grande manipulation !"

Kais Saïed: "Le gouvernement de technocrates est un grand mensonge et une grande manipulation !"

 

Au moment où les Tunisiens ont perdu confiance dans leur classe politique, la cote du professeur de droit constitutionnel, Kais Saïed,  n’a jamais cessé de monter. Sincère, direct et convaincant, l'expert constitutionnaliste continue à forcer l'admiration par son honnêteté intellectuelle et son intégrité morale.

Ce qui a fait de lui une lueur d'espoir, aux yeux de nombre de nos concitoyens qui voient en lui un excellent profil de président de la République. Sollicité pour analyser la situation politique et émettre ses avis sur la situation politique au pays, Kais Saïed a toujours son mot à dire. Et c’est justement dans ce cadre qu’Espacamanager l’a sollicité pour analyser et commenter les dernières actualités.Récit :

Espacemanager: Comment jugez-vous le paysage politique actuel ?

Kais Saïed : Quelle est la différence  entre le paysage politique actuel et celui de l’année dernière ? Est-ce que les politiques se soucient des préoccupations du peuple ? Est-ce qu’ils mettent l’intérêt du pays comme première préoccupation dans leur action ?? Je trouve sincèrement que le paysage politique est en totale rupture avec la réalité du pays et surtout la réalité socio-économique.Une rupture avec les revendications de la jeunesse au lendemain du 14 janvier.

Tout a été faussé après la révolution.. Elle a été détournée pour qu'un certain nombre de personnes et de groupes de pression qui aurait dû être démasqués, retournent sur la scène pour redevenir des acteurs influents.Comme si la Tunisie n’a pas vécu une révolution.

A l’approche des prochaines élections qui seront décisives pour l’avenir du pays, quel est le ou les partis qui ont le plus de chance de dominer la scène politique ?

Tout est relatif, un parti sortira certainement gagnant après les élections, mais est-ce qu’il  sera vraiment représentatif  de la volonté des Tunisiens? Voilà la véritable question. Quelle sera la légitimité du pouvoir politique prochain issue d’une élection où le taux d’abstention sera très élevé ? Ce qui est encore plus grave selon moi, c’est que les Tunisiens vont voter lors des prochaines élections contre et non pas pour.

Comment cela ?
 
Les électeurs ne vont pas voter pour le programme d’un parti (tous les programmes sont les mêmes).  Certains vont certes voter par conviction, mais d’autres et ils risquent d’être nombreux vont voter pour un parti simplement pour sanctionner l’autre et essayer de réduire ses chances de gagner.

Et le grand perdant, celui qui sera défavorisé dans cette approche, c’est le peuple tunisien et essentiellement sa jeunesse, puisque les gagnants ne lui garantissent pas de solutions à ces problèmes.

Comment vous expliquez ce faible taux d’inscription aux élections surtout chez les jeunes tunisiens ?

Cette abstention qui frappe aux yeux est une lettre, une missive adressée par la population tunisienne à cette classe politique qui est devenue à leurs yeux une classe caduque, en dehors de l’histoire. Cette jeunesse en a ras le bol, elle ne fait plus confiance à ces politiques, ni aux élections.

Cette classe politique a tout organisé mais elle a oublié l’élément principal qui est l’électeur. Aujourd’hui, lorsqu’on lui a demandé de venir s’inscrire, il a répondu non. D’ailleurs  même s’ils  arrivent après avoir prolongé le délai d’inscription d’une semaine ; à inscrire plus d’un million d’électeurs ; cela ne veut nullement dire que les gens viendront aux bureaux  de vote le jour de scrutin.

Quelles sont les causes de cette situation ?

Ce désarroi qui est à l’origine de ce refus est dû au manque de confiance dans la classe politique. Ce manque de confiance a augmenté au fil des jours. Finalement le peuple ne se reconnait pas dans le miroir car le miroir est cassé.
 
Je pense d’un autre côté que le mode de scrutin adopté a fini par convaincre les Tunisiens  qu’il est inutile d’élire. Il a été à l’origine du paysage politique actuel et il y a un risque que rien ne change. Le scrutin de liste avec la représentation proportionnelle et avec la méthode du plus fort est resté. C’est le même choix qui donnera le même paysage politique. Donc pourquoi s’invertir à élire si rien ne changera.

Pourtant certains Tunisiens voient en vous une lueur d’espoir si vous vous présentez aux Présidentielles ?

Je les remercie pour leur confiance. Mais je répète que je n’ai jamais cherché un tel poste. J’ai toujours dit que je n'ai jamais cherché ni le pouvoir, ni l'argent. Toutes les positions que j'ai prises n'avaient pour unique motivation que le souci de servir  mon pays.D’ailleurs, on m’a proposé à maintes reprises des postes importants mais j’ai toujours refusé.Pour moi,  la quête du pouvoir est une addiction. Et je souhaite ne jamais succomber à cette tentation.

Mais à quelques jours de l’ouverture des dépôts de candidature, votre nom continue à circuler avec insistance parmi les favoris ?

Sincèrement, je ne sais pas si je vais présenter ma candidature ou non. Peut-être que je la présenterai, si la fonction l'exige. Si je le ferais ça sera pour servir mon pays, et non pas pour accéder au Palais de Carthage. A mon avis, cette question de candidature est une affaire de projet. Si je me sentirai capable de changer les choses, je le ferai sinon je demeurerai un soldat de terrain qui défend la Tunisie.
 
Certaines gens disent que le salut de la Tunisie passe par des technocrates ? Qu’en pensez-vous ?

Un grand mensonge et une grande manipulation.  Il n y’a pas de gouvernement de technocrates. Un membre d’un gouvernement ne peut être que politique. N’importe quelle décision même dans un secteur  technique ne peut être que politique. Ce n’est pas une question d’expertise.

Donc le choix d’un gouvernement de technocrate pour diriger le pays dans cette dernière phase transitoire était selon vous erroné ?

Ce choix est purement politique. Il a été imposé par la crise qu’avait vécue le pays. Ce choix a été fait pour qu’Ennahdha ne soit plus la cible de toutes les contestations. Il l’a servi puisqu’elle n’est pas sortie du pouvoir et elle est demeurée toujours maitresse des règles du jeu. Ennahdha demeure l’acteur qui a toutes les clés entre les mains. Elle a la majorité au sein de  l’ANC, donc elle peut démettre le gouvernement à n’importe quel moment si elle le veut.

Vous considérez donc que le choix de Mehdi Jomâa et son gouvernement s’inscrit dans le cadre d’un jeu politique orchestré par Ennahdha ?

Politiquement, Ennahdha est sortie gagnante. Elle est sortie du gouvernement au meilleur moment possible mais pas du pouvoir. Le pouvoir est demeuré entre ses mains.
Oui c’est un jeu  politique intelligent. Je quitte le gouvernement, je deviens beaucoup plus à l’aise. Je ne suis plus contesté comme je l’étais auparavant.Je me fais mon bilan et je prépare les élections tranquillement. Mais je détiens toujours les rênes du pouvoir. C’est une sortie très intelligente de la part d’Ennahdha.

Si on abordait le sujet brûlant du terrorisme après les dernières attaques à Châambi et au Kef?

Il faut tout d’abord trouver une réponse à cette question : Qui est l’auteur de ces actes ? Combien d’enquêtes ont été ouvertes sur les attaques terroristes,  mais pourquoi on ne connaît toujours pas leurs résultats ? Le peuple tunisien attend toujours des réponses. Il ne suffit pas de désigner du doigt telle ou telle partie pour lui faire tout assumer. La réponse à ce flou ne pourra être apportée que par la justice. Une justice bien sûr indépendante…

Quelles sont les solutions que vous préconisez pour lutter contre le terrorisme?

Il n’y a pas de solutions miracles. Il y’a un Etat qui doit être présent, un Etat fort mais dans le cadre de la justice et de la légalité.A court terme,  il faut connaître les vérités dans le cadre de procès équitables pour tout le monde. Il faut par la suite attaquer l’origine du mal  en s’attaquant aux problèmes socio-économique et en repensant tout le système éducationnel en Tunisie. J’appelle, à cette occasion, à un congrès national pour la réforme de l’enseignement dans toutes ses étapes.Il faut corriger les erreurs du passé en évitant de politiser l’enseignement.

En tant que Tunisien, comment êtes-vous en train de vivre la lâche attaque sioniste sur Gaza ?

Tout d’abord, Gaza est une partie de la Palestine et c’est vraiment dommage que les gens oublient que c'est toute la Palestine qui est occupée et non  pas seulement Gaza bien que Gaza souffre le plus en ces moments.

Malheureusement, le massacre du peuple palestinien frère continue avec la complicité des régimes arabes et avec l’appui des puissances occidentales. Les grandes questions qui se posent c’est de savoir qu’est-ce qu’en a fait pour eux et quelle est la différence entre l’attitude des régimes arabes actuels  et ceux de 2008.

Le comble c’est qu’encore une fois, on n’a rien fait pour les Palestiniens. Rien n’a changé au niveau des positions de nos gouvernants après ces fameuses révolutions.
Les mêmes décisions : De l’assistance humanitaire…  comme s’il s’agit de la simple assistance. Cela veut dire que les peuples n’ont pas pris le pouvoir et que les positions de leur politique n’expriment pas leur volonté. Pourtant, une seule décision arabe courageuse et digne pourrait mettre un terme à ce massacre.

Quel genre de décisions ?

Tout d’abord,il faut être souverain pour prendre des décisions. Regardez ce qu’ont fait la Bolivie ou les Iles Maldives qui ne sont pourtant pas des pays arabes ou musulmans. Leurs positions sont plus respectueuses et plus proches de Palestine.

Regardez les positions  officielles de ces pays qui sont des pays souverains. Nous devons être souverains  pour prendre des décisions qui s’imposent dans des indépendances  réelles.

Que peut faire la Tunisie ?

Elle peut faire beaucoup de choses, bien que la libération de Palestine ne passe pas par la Tunisie mais par tous les pays arabes. Avec ses moyens très limités, la Tunisie fraîchement indépendante a pris des positions plus respectueuses dans les années 60.Hélas, aujourd’hui on n’arrive même pas à ce niveau de réaction.

Le comble c’est que les pays arabes ne sont même plus maitres de leur volonté pour dénoncer le génocide Israélien et se limitent simplement à dénoncer la violence… Cela se passe de tout commentaire et explique tout.

Interview réalisée par Cheker Berhima