L’ICANN,  l’enfer d’un dilemme identitaire !

L’ICANN,  l’enfer d’un dilemme identitaire !

Par Mahjoub Lotfi Belhedi (*)

Le processus de structuration des sociétés autour des standards d’internet s’accélère à un rythme phénoménal dont l’ICANN constitue sa passerelle d’accès et d’échange incontournable.

La société de droit Californien à but non lucratif appelée  ICANN « Internet Corporation for Assigned Names and Numbers », fondée  en Octobre 1998, spécialisée dans l’attribution des noms de domaine et des adresses IP (Internet Protocole) où chaque machine connecté au réseau est identifiée par une adresse composée d’une suite de chiffres entrecoupée par des points, déclinée en domaines génériques ou internationaux (.com, .net, .org etc.) et en domaines nationaux ( .tn pour la Tunisie, .fr pour la France etc.) .    

Ce système de nommage initié et géré par l’ICANN a pour principal objectif de favoriser  une véritable interopérabilité et interactivité entre les membres de la grande toile.

Mais, compte tenu du caractère limité des suffixes crées (26 lettres de l’alphabet au format ASCII), le système de nommage s’est convertit progressivement à un grand enjeu commercial et politique disputé entre les différents acteurs de la communauté planétaire internationale, d’où le questionnement légitime suivant : Qui bénéficie réellement du système ICANN ? Autrement dit, sommes-nous en présence d’un modèle de gouvernance d’internet équitable ou simplement d’un miroir aux alouettes (expression pour décrire une situation qui semble à première vue attrayante, mais qui s’avère par la suite trompeuse) ?

1- En front office,

Dans les milieux  médiatiques, l’ICANN se présente en tant qu’entité exclusivement technique, parfaitement impartiale et neutre sans le moindre ralliement politico-commercial, assurant une multitude de missions, entre autres :

Allouer l’espace des adresses de protocole Internet,

Attribuer les identificateurs de protocole (IP),

Gérer les noms de domaine de premier niveau pour les codes génériques,

Promouvoir les fonctions de gestion du système de serveurs racines,

Préserver la stabilité opérationnelle d’internet sans pour autant contrôler les contenus publiés sur internet.

Etc.

2- En back office, 

En arrière plan, le process d’évolution identitaire de l’ICANN correspond à deux dates emblématiques  dans la vie de cette institution-clé de l’univers numérique.

Avant octobre 2016, l’ICANN demeure l’enfant biologique du département du Commerce américain en vertu de la directive du 5 juin 1998, seulement à une longueur d’avance de cinq mois de la date de création de l’ICANN le 6 Novembre 1998 !

Dix neuf jours aprés sa constitution juridique, l’ICANN concluait un accord – Memorandum Of Understandig – avec le département du Commerce américain aux termes duquel elle lui accordait un droit de véto sur la plupart de ses décisions !!

De surcroît, l’ambivalence de la forme juridique de l’ICANN en tant « qu’une société à but non lucratif » de droit Californien brouille toute les pistes d’interprétation possibles même pour un juriste chevronné et accentue le degré de suspicions juridique envers l’ICANN : s’agit-il  d’une société au sens du droit des sociétés ? La réponse est non, ou d’une association ? Non plus !

A partir d’octobre 2016,  le cordon ombilical avec le gouvernement américain est censé être coupé mettant fin à l’accord de tutelle entre l’ICANN et le département de Commerce américain.

Depuis cette date l’ICANN applique « un fonctionnement dit en bottom-up, c'est-à-dire que la décision doit être acceptée au consensus par le bas de l’échelle décisionnelle avant de monter vers les comités les plus haut placés. Des gouvernements, des personnes de la société civile ou encore des entreprises peuvent participer ».

En dépit de ce tournant dans son histoire - d’un enfant biologique du gouvernement américain à un enfant adoptif de la communauté numérique internationale - l’ICANN n’est plus perçu comme l’unique régulateur de la grande toile suite à la monté en puissance d’autres acteurs (la Chine et la Russie particulièrement) exigeant pour des raisons souverainistes une gouvernance autonome sans ICANN d’Internet…

Tiraillé entre une filiation biologique et une autre de nature adoptive, l’ICANN demeure encore, selon plusieurs experts internationaux, « un gouvernement d’internet » sous influences, téléguidé par les grands groupes et l’administration américaine …

Et la dispute DNS/IP continue !  

(*) Mahjoub Lotfi Belhedi

Chercheur spécialiste en réflexion stratégique // General director d’un cabinet d’études  // Ex-rapporteur général  du « Centre Tunisien pour les Etudes de Sécurité Globale »

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