Lutte contre la corruption : de l’illusion à la désillusion

Lutte contre la corruption : de l’illusion à la désillusion

 

Chawki Tabib en a pris l’habitude. Depuis qu’il est nommé président de l’Instance nationale de lutte contre la corruption il se promène d’un plateau de télévision à un plateau de télévision pour dénoncer les mafias qui prennent leurs aises dans la société et se livrent à leurs sales besognes en toute impunité. Après avoir réussi à imposer la signature de la Charte de la Stratégie Nationale de Bonne Gouvernance et de Lutte Contre la Corruption munie d’un plan de travail, le voilà en train de repasser par la case médias pour dire : ça y est, les Tunisiens peuvent dormir tranquille, la lutte contre la corruption est gagnée. Comme c’est Chawki Tabib le Robin des Bois des temps modernes qui nous le dit, nous devons le croire sur parole.

Est-ce à dire que notre cher Bâtonnier veut nous faire croire à l’incroyable ou cherche-t-il à plier bagages maintenant que la tâche est terminée et qu’il veut chercher ailleurs un autre boulot où il fera du vent avant de s’éclipser. Qui peut être dupe jusqu’à croire qu’en deux temps, trois mouvements, la corruption et les mafias qui en vivent seront non seulement combattus mais battus par un texte aussi parfait soit-il ? Si ça ne tenait qu’à ça pourquoi le monde entier est-il pollué par la corruption et les mafias sans que personne ne puisse en triompher ou plus modestement en réduire les effets sur la société.

Ce serait trop beau et trop facile d’admettre une telle chimère. Car quand on le presse de questions, il finit par dire que le texte signé est un chapelet d’engagements, lesquels sont comme les promesses qui ne valent que pour ceux qui veulent bien y croire ! Le gouvernement doit tenir les siens surtout que le Chef de gouvernement en personne a signé la Charte. L’occasion pour lui de se féliciter du courage de Youssef Chahed et de répéter à qui veut l’entendre qu’il est le premier chef de gouvernement à avoir été aussi téméraire. Sans oublier son prédécesseur Habib Essid qui a montré la même détermination même s’il n’a pas été au bout de la logique faute de temps.

Est-ce à dire que les autres chefs de gouvernement depuis 2012 ont démérité. Il n’a pas encore sauté le pas ! Personne ne peut mettre en doute la volonté des pouvoirs publics à combattre les mafias et à lutter contre la corruption, mais de là à estimer qu’il suffit de signer une charte et d’en honorer les engagements pour en être quittes, cela personne ne peut le gober. Excusez le terme familier. Le pouvoir judiciaire ne peut pas non plus se sentir hors de cause parce que le vice président de l’instance provisoire de l’ordre judiciaire agissant pour le corps de la magistrature a signé la charte.

Le plus beau c’est que le président du Syndicat national des journalistes tunisiens(SNJT) qui a pris les engagements au nom des médias. En a-t-il les qualités ? La question mérite d’être posée car la question dépasse les compétences d’un syndicat des journalistes aussi représentatif du corps soit-il. Chawki Tabib a fini pas admettre d’ailleurs que le choix du président du SNJT est tout à fait symbolique. Quelqu’un d’autre aurait pu bien faire l’affaire. Car il faut bien un représentant du « 4ème pouvoir » sans lequel aucune lutte victorieuse contre la corruption n’est possible. On est dans cette histoire en plein dans la symbolique et les illusions.

Mais là où le bât blesse c’est lorsqu’il annonce que la Douane a aussi pris des engagements et son représentant a signé la charte aussi. Ce corps fait partie intégrante de l’Etat et son chef est le Chef de l’administration c'est-à-dire le Chef du gouvernement. Alors est-il possible de considérer la Douane comme un Etat dans l’Etat et la traiter comme s’il s’agit d’une entité indépendante. Cela donne malheureusement l’impression que ce corps échappe à l’Etat et qu’il agit comme si ni les lois ni les règlements ne suffisent à l’encadrer. C’est réellement affligeant. Pourquoi ne pas faire signer la direction de la sûreté nationale ou le commandement de l’armée. Ce sont aussi des corps de l’Etat qui peuvent aussi être touchés par ce mal qu’est la corruption !

Signer une charte anti-corruption est une bonne chose au niveau de la symbolique mais croire qu’avant c’était l’obscurité et maintenant c’est la lumière, c’est un vrai mirage qu’on fait miroiter mais qu’aucune personne munie d’un minimum de bon sens ne peut admettre.

Combattre la corruption c’est d’abord s’attaquer à la bureaucratie qui génère les comportements favorables à ce fléau. Combattre la corruption c’est imposer des règles simples, lisibles et transparentes en matière de fiscalité ou de taxation douanière. Combattre la corruption c’est imposer la vérité des prix de sorte que les subventions aillent sous forme monétaire à leurs ayants-droits. Combattre la corruption c’est s’attaquer aux biens mal-acquis. Combatte la corruption, c’est élargir la bancarisation et imposer un plafond aux transactions en cash.

Ce sont des faits à mettre en œuvre, des réformes à élaborer. Pas des textes à lire ou à méditer. On considère que la consolidation du mariage consiste à passer de la phase de l’illusion (de l’amour) à la phase de la désillusion (de la vie monotone ordinaire). Dans la même logique, il nous faut quitter la phase illusoire de la lutte sur le papier de ce fléau, à l’indispensable désillusion qui consiste à conduire de vraies enquêtes concernant de vraies personnes prises la main dans le sac.

Les Tunisiens ne veulent plus être bernés par des mots, des phrases et des textes même bien écrits et bien balancés. Ce qu’ils veulent ce sont de vrais actes. De vrais procès. Et des jugements sévères. Le reste ce n’est que de la littérature. Sans portée sur la réalité.

Raouf Ben Rejeb

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