Tunisie-Union européenne : Quand les médias tunisiens irritent l’ambassadrice européenne

Tunisie-Union européenne : Quand les médias tunisiens irritent l’ambassadrice européenne

Invité, par une chaîne de télévision privée  à commenter l’attentat de l’avenue Mohamed V en plein centre de Tunis, qui a fait 13 morts et une vingtaine de blessés dont trois graves, l’économiste Moez Joudi a imputé la recrudescence des attentats  terroristes en Tunisie à, entre autres, la liberté d’action excessive dont bénéficient les diplomates et les agents de renseignements étrangers en Tunisie.  Il a appelé les ministères de l’intérieur et des affaires étrangères à assumer leurs responsabilités et à mettre fin à ces dérives diplomatiques.

 Moez Joudi ne fait en fait que relayer plusieurs personnalités tunisiennes qui ont dénoncé, à maintes reprises, le phénomène, d’autant plus que certains diplomates commencent à se permettre des excès de langage.

C’est le cas de l’ambassadrice européenne, l’espagnole  Laura Baeza qui, dans un récent  discours  peu diplomatique, s’est permise devant deux membres du gouvernement, Ridha Ben Mosbah, ministre chargé des questions économiques auprès du Président du Gouvernement, et chef négociateur pour l’ALECA et Ridha Lahouel, ministre du commerce, ainsi que d’un nombre de chercheurs tunisiens, de blâmer les médias tunisiens et de leur faire assumer la responsabilité d’avoir présenté sous un angle idéologique l’Accord de Libre Echange Complet et Approfondi Tunisie-UE (Aleca) dont les négociations ont été lancées  officiellement le 13 octobre 2015.

 Décryptage d’un discours aux relents de discorde.

Ce discours a été prononcé, le 11 novembre 2015,  à l’occasion d’un colloque organisé par le Centre d’études et de recherche économiques et sociales (Ceres) sur le thème «L’Accord de Libre Echange Complet et Approfondi Tunisie-UE».

Les médias auraient traité l’Aleca sous un angle idéologique

Point d’orgue de ce discours, l’incrimination des médias tunisiens d’avoir mal présenté l’Aleca  à l’opinion publique : «En effet, a-t-elle dit,  j'en discutais avec le ministre Ben Mosbah la semaine dernière, nous avons remarqué que la présentation et la perception de l’ALECA telles que véhiculées par les médias tunisiens restent encore plutôt généralistes et idéologiques, et très peu - au moins pour le moment- basées sur des faits. Nous avons aussi remarqué que les medias sont souvent beaucoup plus critiques sur cet accord que la société civile, avec laquelle nous sommes en étroit contact et qui –elle- nous semble plutôt constructive, même si bien évidemment elle nous a fait part de ses appréhensions et critiques »

Ce jugement de valeur suscite deux remarques. Premièrement, Laura Baeza  en révélant avoir partagé cette appréciation avec Ridha Mosbah, chef négociateur pour l’ALECA, a « mouillé » ce ministre et compromis ses chances à la tête de ce poste stratégique.

Par ailleurs, si ce ministre partage réellement les idées de la diplomate européenne sur les médias tunisiens, cela ne peut que confirmer l’allergie génétique du gouvernement actuel à la liberté d’expression dans le pays.

Deuxièmement, Laura Baeza dit que la société civile aurait été plus compréhensible à l’endroit de l’Aleca. La diplomate européenne a omis, apparemment délibérément, que ce sont de grosses pointures de la société civile qui ont le plus critiqué l’Aleca, en l’occurrence, la centrale syndicale (UGTT), la Ligue Tunisienne des Droits de l'Homme (LTDH) et du Forum Tunisien pour les Droits économiques et sociaux (FTDES).

Les chercheurs seraient mieux outillés pour vulgariser l’Aleca

Pis, l’ambassadrice européenne a cherché également à semer la zizanie en insinuant que les chercheurs du Ceres seraient mieux outillés, que les médias, pour expliquer l’Aleca aux tunisiens. Elle s’est adressée à eux en ces termes : «Il faut que vous, les universitaires et chercheurs, veniez avec des faits, des papiers, pour contrer les allégations qui prolifèrent et font du buzz sur les medias et les réseaux sociaux, et pour aider à cerner les vrais enjeux des négociations ».  Et la diplomate d’ajouter : «Nous souhaitons impliquer et écouter davantage les universitaires et les centres de recherche, pour que les négociations se fondent sur des bases scientifiques et objectives, mais aussi pour que l’opinion publique tunisienne soit bien informée et au courant des enjeux ».

Le marché tunisien est un marché relais !

L’ambassadrice est allée plus loin en minimisant le marché de « la Tunisie,  qui, par ailleurs, a-t-elle-dit, ne représente pas un marché de grande taille pour nous européens, et qui ne fait donc pas peur à l’opinion publique européenne ».

Pourtant, nous pensons qu’en dépit de ce discours réducteur, le marché tunisien n’est pas aussi exigu. C’est un marché relais. Il a la même taille que celui de pays européens comme l’Autriche, la Hongrie, la Suisse.

Mieux les échanges commerciaux actuels de la Tunisie avec l’Union européenne sont aussi importants que ceux réalisés avec l’UE par de grands pays de plus de 35 mille habitants comme l’Algérie et le Maroc.

Au final, il faut reconnaître que l’irritation de l’ambassadrice européenne est déplacée d’autant plus que les négociations ne démarrent sérieusement qu’au mois de mars 2016. D’ici là le débat sur l’Aleca va certainement s’enrichir et s’approfondir.  

Khemais

 

Lien :  Discours de S. E. Madame Laura Baeza Ambassadeur de ...

eeas.europa.eu/delegations/.../discours_lb_ceres_11nov2015_fr.pdf

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