Yadh Ben Achour: La Constitution tunisienne permet au musulman de sortir de sa religion!

Yadh Ben Achour: La Constitution tunisienne permet au musulman de sortir de sa religion!

 

Une rencontre débat a été organisée dimanche 16 août, à la Marsa sur le thème « faut-il réexaminer le Code du statut personnel ? ». Elle a réuni plusieurs personnalités, dont notamment le doyen Yadh Ben Achour. L’ancien président de l'Instance supérieure ou Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique, considéré comme   « l’architecte du nouveau système politique tunisien » a fait une intervention remarquée dans laquelle, il a notamment parlé de la Constitution de janvier 2014 qui, selon sa propre lecture « permet d’avoir une religion ou de pas en avoir et qui permet au musulman de sortir de sa religion ».

Le compte rendu du débat a été reproduit dans le journal la Presse de lundi 17 août. Vu l’importance de l’intervention de Ben Achour, nous en reproduisons de larges extraits.

« Nous sommes, comme dans toutes les sociétés arabes dans une période historique de la rupture. Les contradictions étaient sous-jacentes maintenues sous la dictature — cela est très dangereux, ça engendre des guerres civiles à terme — maintenant elles sont visibles. 
Oui, les divisions sautent aux yeux. Il n’y a qu’à se promener sur la plage pour le constater. Ces divisions où elles se résolvent par la répression, ce qui ne donne jamais un résultat positif, par la guerre civile et nous avons connu des Etats démocratiques qui ont construit leur démocratie après une guerre civile, — il y a des cassures si profondes qu’on n’arrive pas à résoudre par la voie du débat —, la Tunisie a cette chance de s’être débarrassée de la dictature et de résoudre ses problèmes par le débat. Aujourd’hui, nous sommes en face  de deux sociétés qui se regardent et c’est à nous de gagner la bataille et de la gagner par la démocratie, la persuasion et le militantisme ».

Le CSP, une révolution  par le droit

Pour Ben Achour, « le CSP constitue véritablement une révolution par le droit, en ce sens ce n’est pas tellement parce qu’il a émancipé la femme qu’il se distingue.  Pendant des siècles jusqu’à 1956, la société construisait elle-même ses droits. Il est interdit à l’Etat de pénétrer dans un certain nombre de domaines, et en particulier le domaine de la famille. L’Etat était condamné à la passivité juridique. Donc, oui le CSP est une révolution par le droit. Mais encore aujourd’hui après une véritable révolution d’ordre politique qui a fait tomber un régime avec ses symboles et ses structures et sa constitution, ces domaines de la liberté et égalité homme-femme représentent une sorte d’épopée à la Sisyphe ».

Toujours selon lui, « le CSP n’est certainement pas un échec, mais n’a pas atteint parfaitement et entièrement son objectif. Et, surtout le CSP n’a pas réussi à clarifier les référentiels. En revanche, la Constitution de 2014 ne contient pas de disposition qui fasse référence à l’Islam comme religion d’Etat. Autrement dit, l’Etat est neutre sur le plan religieux, l’Etat, disons le mot, est un Etat laïque. Nous pouvons dire aussi un Etat séculier.

« Nous constatons une sorte de trahison des juges »

 Nous avons adopté le principe de la liberté de conscience dans l’article 6 qui permet d’avoir une religion ou de ne pas en avoir et qui permet au musulman de sortir de sa religion…. Bref, la Constitution de 2014 a clarifié la dualité et la contradiction référentielle. Nous avons réussi à avoir une Constitution sécularisée démocratique qui établit, par l’article 46 et par d’autres, l’égalité absolue entre l’homme et la femme. Cette Constitution représente un progrès majeur dans notre pays par apport à la Constitution de 1959 ».

Il a signalé qu’aujourd’hui, « nous constatons une sorte de trahison des juges. Nous avons des arrêts absolument scandaleux qui ont été rendus en juin 2014, et qui reviennent aux schémas les plus archaïques de notre droit. Pour conclure, dans un arrêt du 26 juin 2014 de la cour d’appel de Tunis, l’une des juridictions les plus importantes de notre pays, « pour cause de disparité de religion, l’un des deux époux n’est pas musulman et ne peut donc pas hériter, c’est catastrophique ».