Abir Moussi, une lionne en cage

Abir Moussi, une lionne en cage

Son nom est sur toutes lèvres et sa réputation a dépassé les frontières pour devenir une figure incontournable de la scène politique tunisienne.

Avocate, femme politique, féministe et patriote convaincue, Abir Moussi a su faire preuve de courage et de détermination sur tous les fronts, sans jamais déroger à ses valeurs et ses principes. Femme de loi, née d’un père sécuritaire et d’une mère institutrice, et mariée à un haut gradé de la police, elle a toujours fait du respect des lois un credo, aussi bien dans l’exercice de la profession que dans son combat politique contre l’obscurantisme et le déni.

Le 15 mars courant elle fêtera ses 50 ans, en prison où elle croupit depuis le 3 octobre 2023 pour des accusations graves, de « tentative de changement de la forme du gouvernement », « incitation à la violence sur le territoire tunisien » et « agression dans le but de provoquer le désordre » en vertu de l’article 72 du Code pénal, passible de la peine capitale, après qu’elle eut tenté, accompagnée d’un huissier notaire, de déposer un recours contre les décrets présidentiels à la veille des élections locales au bureau d’ordre de la présidence de la République. Elle fait, également, l’objet d’autres accusations dans le cadre de procédures judiciaires distinctes liées à l’exercice de ses droits aux libertés d’expression et de réunion pacifique.

Le Groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire, relevant du Haut-Commissariat aux droits de l'homme des Nations Unies, saisi par le collectif de défense de Moussi, a émis un arrêt demandant la libération immédiate de la présidente du PDL, qualifiant sa détention d’arbitraire. Un jugement, transmis, selon ses avocats au gouvernement tunisien pour « exécution ».

Elle a failli être lynchée

Peu connue avant 2011, elle s’est révélée au monde au cours du procès de dissolution de l’ancien parti au pouvoir, le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), dont elle était secrétaire générale adjointe chargée des affaires de la femme, au Tribunal de première instance de Tunis, le 2 mars, dans une Tunisie en pleine effervescence révolutionnaire. La scène avait marqué les esprits. « Une avocate seule, a accepté de défendre ce parti, Abir Moussi. Elle s’avance dans une salle chauffée à blanc qui la hue et l’insulte. À la levée de l’audience, elle est prise à partie par ses confrères. La foule la poursuit jusque dans la rue, la rouant de coups et lui tirant les cheveux. L’avocate manque d’être ­lynchée. Par chance, elle trouve refuge dans une estafette de police. »

J’étais la voir avec ma consœur Fawzia Zouari, dans ses bureaux au 6eme étage à l’avenue Kheireddine Pacha pour l’interviewer pour le compte de la revue Jeune Afrique, et sonder ses projets. Elle nous a reçus avec le sourire béat de madone, entourée de ses deux filles, la famille compte énormément pour elle, répondant à toutes nos questions, sans faux fuyants. Elle a relaté, avec beaucoup de fierté cette scène mémorable qui illustre l’engagement d’une femme se battant seule contre tous. Une scène qui a vu la naissance d’une grande femme politique. Elue Le 13 août 2016, à la tête du Mouvement destourien de l’ancien premier ministre Hamed Karoui, rebaptisé en Parti destourien libre ( PDL), elle s’est avérée une véritable communicante, verbe et arguments à l’appui, pour en faire en peu de temps une véritable machine à conquérir les sondages, effaçant des tablettes les partis ayant gouverné le pays, le mouvement islamiste Ennahdha et  Nida Tounes, miné par les  dissensions.

Elue députée de la deuxième circonscription de Tunis lors des élections législatives de 2019, avec le plus grand nombre de suffrages exprimés, elle s’est distinguée par son opposition frontale au mouvement Ennahdha et son président Rached Ghannouchi, porté au perchoir. Subissant tous les affronts et les agressions de tous genres de la part de quelques députés déchainés et sans scrupules devant les écrans de la télévision qui transmettait en direct les débats parlementaires.

Se revendiquant de l’héritage des régimes du père de l’indépendance Habib Bourguiba et de son successeur Zine El Abidine Ben Ali, son engagement veut s’inscrire comme une alternative à un ordre établi par la connexion de « deux droites parallèles » qui ont fini par se rencontrer. Deux traits de caractère ressortent nettement, l’autorité et le discours limpide et sans fioritures. L’autorité, elle l’a exercée au sein de son parti qu’elle dirige avec une main de fer. Une vraie « tigresse autoritaire ». Ses interventions à l’intérieur de l’hémicycle font école. Avec une voix suave et continue, chiffres et arguments à l’appui, elle arrive à retenir l’attention et à convaincre, même ses détracteurs et ses ennemis jurés.

Un statut d'Icône

Avec une image accessible et sans stridence, un tempérament volontaire, la brillante étudiante en droit, lauréate de sa promotion,   Abir Moussi a donné un visage féminin à la politique en Tunisie et a réussi à donner du vernis au discours souvent populiste et démagogique.

Après le 25 juillet 2021, elle est devenue la seule la figure de l’opposition non violente au président Kais Saied et une virulente critique de son régime. Ce qui n’a pas manqué de lui causer des ennuis jusqu’à son arrestation, sous forme d’enlèvement selon ses avocats, devant le palais présidentiel de Carthage. Commence alors un combat mené par son collectif de défense formé par des figures du barreau, dévoués à sa cause, composé notamment de son bras droit au PDL Karim Krifa, Ali Béjaoui, Nafaa Laribi et bien d’autres. Ce sont eux qui ont réussi à porter son affaire devant l’instance onusienne chargée de la détention arbitraire, « Le Groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire, relevant du Haut-Commissariat aux droits de l'homme des Nations Unies » qui leur a donné raison. Une victoire pour cette femme qui a accédé à un statut supérieur, celui d’une véritable Icône de la scène politique nationale. Le cercle de ses soutiens s’élargit de plus en plus au bonheur de ses fidèles partisans qui continuent de la défendre bec et ongles.

Celle que j’avais appelé « la Battante » en 2013, est aujourd’hui « une lionne en cage ». Mais une lionne est une lionne  même si elle est en cage. 

B.O

 

  

 

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