Accords tuniso-algériens : le grand décalage entre promesses et réalité

Alors que la grande commission mixte tuniso-algérienne se réunit à Tunis pour relancer plusieurs dossiers en suspens, la question du bilan de la visite d’État du président Abdelmadjid Tebboune en décembre 2021 ressurgit. Quatre ans après la signature de 27 accords présentés comme les fondations d’un nouveau partenariat stratégique, où en est réellement la coopération entre Tunis et Alger ?
La tenue de cette commission remet inévitablement sous les projecteurs la visite que le chef de l’État algérien avait effectuée à Tunis les 15 et 16 décembre 2021. Une visite qualifiée d’« historique » par les deux capitales et perçue, dans le contexte de l’époque, comme un signal politique fort adressé au président Kaïs Saïed, quelques mois après l’annonce de ses mesures exceptionnelles du 25 juillet 2021. L’événement avait impressionné autant par sa charge symbolique que par l’ampleur des engagements pris.
En deux jours, 27 accords et mémorandums d’entente avaient été signés au Palais de Carthage, couvrant des secteurs clés : énergie, justice, industrie, commerce, santé, culture, éducation, environnement, numérique, affaires religieuses. Ce volume inédit d’accords incarnait l’ambition commune de donner une structure plus solide, plus lisible et plus durable à une relation souvent nourrie de discours mais rarement d’outils concrets.
Un geste politique majeur avait également marqué les esprits : l’octroi par Alger d’un prêt de 300 millions de dollars à la Tunisie, interprété comme un soutien direct à une économie en difficulté et comme la preuve d’une proximité stratégique assumée. Le président Tebboune était d’ailleurs venu accompagné d’une délégation ministérielle élargie – énergie, intérieur, commerce, justice, industrie –, signe d’une volonté de donner à la coopération une portée multisectorielle et un suivi politique renforcé.
Des ambitions fortes, des résultats contrastés
Quatre ans plus tard, le contraste entre les ambitions affichées et les résultats observables est, de l’avis de nombreux observateurs, plus net. Certes, plusieurs accords ont connu des avancées, notamment dans la coopération sécuritaire, énergétique ou frontalière, trois domaines historiquement prioritaires pour les deux pays. Mais pour d’autres secteurs, les progrès sont timides, lents ou difficilement perceptibles.
Selon plusieurs analystes, les obstacles sont connus : absence de financements dédiés, lenteurs administratives, changements d’agendas politiques ou encore manque d’équipes de suivi. Résultat : une partie des mémorandums signés en 2021 restent davantage des cadres d’intention que des programmes opérationnels.
Une commission mixte sous pression
C’est dans ce contexte que la grande commission mixte reprend ses travaux à Tunis. Ses missions sont claires : réorganiser les priorités, relancer les projets bloqués, réévaluer ceux qui n’ont pas avancé, et réaffirmer les engagements politiques pris en 2021. Il s’agit là d’un test décisif pour la crédibilité du partenariat tuniso-algérien.
Car une question domine les échanges, parfois en coulisses : les 27 accords de 2021 ont-ils réellement changé la dynamique entre Tunis et Alger ? Ou bien s’oriente-t-on vers un bilan mitigé, où le symbole l’aurait emporté sur les retombées concrètes ?
Un moment charnière pour la relation bilatérale
La réunion de Tunis pourrait ainsi devenir un tournant : soit elle relance et opérationnalise une coopération stratégique que les deux pays disent prioritaire, soit elle consacre une forme de stagnation derrière les discours de fraternité traditionnelle. Dans un contexte de pressions économiques, géopolitiques et sécuritaires sur les deux rives, la relation tuniso-algérienne ne peut rester un simple pilier déclaratif.
À l’heure où les travaux de la commission entrent dans le vif du sujet, une certitude s’impose : le bilan de la visite de Tebboune en 2021 se joue en grande partie maintenant, à travers la capacité des deux gouvernements à donner vie aux engagements signés il y a quatre ans.
Reste à savoir si la grande commission saura transformer ces promesses restées sur le papier en avancées tangibles. Car, au-delà des proclamations de voisinage exemplaire, c’est bien la transition de la diplomatie des signatures à la diplomatie des résultats qui déterminera, dans les mois à venir, la véritable portée de la visite de 2021 — et l’avenir du partenariat tuniso-algérien.
B.O
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