Avons-nous besoin d’un Conseil de Presse ?
Le 31 décembre 2012, ce qu’était le deuxième magazine des Etats-Unis avec quatre millions d’exemplaires, le célèbre Newsweek faisait ses adieux à ses lecteurs de par le monde. La « Une » en noir et blanc, annonçant la couleur, comportant une photo aérienne de l’énorme bâtisse du magazine et un titre en trois mots « lastprintissue » (last print issue), précédé d’un hashtag, suffisait à dire le passage au tout numérique.
La disparition, définitive ou pour mutation en numérique, des imprimés d’information, journaux de toutes périodicités et magazines, n’est plus l’affaire de quelques supports des contrées reculées. Désormais, ce sont d’illustres journaux et magazines qui en font les frais.
The Independent, le célèbre quotidien britannique, aura cessé de paraitre en papier le 27 mars 2016. Il y a eu d’autres cas célèbres, tels France Soir, la Tribune, et le Financial Times-Deutschland. D’autres ont choisi, en attendant, de ne paraitre qu’une seule fois par semaine comme le quotidien québécois la Presse. Aux États-Unis, plusieurs titres ont également renoncé au quotidien, notamment le Times-Picayune de La Nouvelle-Orléans, publié trois jours par semaine seulement.
La crise est là. Evidente. Seulement il s’agit moins de crise de journalisme que de crise de modèle économique des médias. La chute des ventes est partout, par moments, au plus grand bonheur des journaux en ligne. « D'ici trois ou quatre ans, vous pourriez voir le modèle économique de journal imprimé ne plus être rentable », explique Tom Hartman, analyste pour l'agence Standard and Poor's.
La Presse, quotidien converti en hebdomadaire au Canada, rapporte que de l’avis général des spécialistes « seuls quelques rares quotidiens à audience internationale comme le New York Times, le Wall Street Journal et le Washington Post, pourraient se maintenir ».
La Tunisie n’est pas à l’abri de ce bouleversement. Se trompent ceux qui pensent qu’il s’agirait d’environnements et de modes de production et de consommations différents. Au rythme où vont les choses d’autres secteurs voisins des médias imprimés, telles l’industrie du papier ou celle des imprimeries, s’en trouveront affectés. La mécanique est complexe. La PAO, aujourd’hui incontournable pour la fabrication des journaux changera probablement de cap.
Pourquoi donc, au vu de ces mutations profondes, actuelles ou à venir, continue-t-on en Tunisie à vouloir donner naissance à un Conseil de presse qui se chargerait de veiller à l’autorégulation des médias imprimés et des journaux électroniques, à l’instar de ce que devrait faire la HAICA quant aux médias audiovisuels ?
La réponse est simple. Nous sommes en réalité en phase de calquer le modèle des années antérieures à notre siècle, période au cours de laquelle les frontières étaient claires entre écrit et audiovisuel, entres journaux et magazines d’un coté et radio et télévisions de l’autre. Entre deux modes d’expression à savoir le monde du texte et de la photo et le monde du son et de la vidéo.
La faillite du modèle économique des médias imprimés, dont il est question ci-haut, n’a pas pour cause directe la chute des ventes, donc des lecteurs. La véritable cause c’est que ce modèle conçu pour la rotative et les ondes hertziennes ne pouvait plus absorber les pixels.
Tous médias confondus se servent, ou devraient se servir, aujourd’hui à la fois des quatre modes d’expressions : Le texte, les images, le son et la vidéo. Cette réalité nous la vivons sans nous rendre compte de sa portée. Soyons plus clairs : Un webdocumentaire, appelé rich media ou time-line sous d’autres cieux, qui décline un sujet d’actualité en texte, photos, son et images à la fois, posté sur le site de Mosaïque ou de la Télévision tunisienne ou encore sur celui de n’importe quel autre journal écrit ou ici même, relèverait de la compétence de qui ? De la Haica ou du futur Conseil de presse ?
La télévision n’utilise-t-elle pas du texte ? Les journaux écrits du son et de la vidéo ? La radio du texte, des photos et de la vidéo ? Tunisie Télécom ne s’est-elle pas mise à la VOD, video on demand ? Qui s’occupera de l’autorégulation des ces institutions ?
Les modes de production, de diffusion et de consommation des contenus cross media vont crescendo. Les chaines de télévision sur internet dépendraient du Conseil de presse selon le projet en cours en Tunisie, alors que l’internaute aura des difficultés, avec la fibre optique, de distinguer entre une séquence vidéo diffusée par une télévision classique et une autre séquence par une web TV. Est-ce normal ?
Le péché majeur chez-nous c’est de ne pas voir venir la convergence poussée à l’extrême. Nous raisonnons toujours en termes de supports à l’ancienne : Radio, télévision et papier. A la salle de rédaction du New York Times une seule équipe produit un même contenu décliné, ensuite, en modes pour les supports classiques ou pour les exigences de la convergence.
France info, la première radio d’informations en continu, est mise au pas par le site Francetvinfo.fr, site de France Télévision, qui totalise sept millions de visiteurs uniques par an. En Tunisie rien n’empêche un site de convergence créé ex-nihilo de dépasser celui de Mosaïque. De la compétence de qui relèverait-il ?
Que peut bien faire un Tunisien, tablette à la main, connecté à internet? Lire un journal, écouter la radio, regarder la télévision ou naviguer sur un site de presse électronique ? Ou tout cela à la fois ? Et s’il regarde un contenu télévisuel, saura-t-on jamais, à moins de le vérifier, s’il regarde un contenu linéaire ou un autre délinéarisé ?
Pourquoi se précipiter au risque de se retrouver, une dizaine d’années plus tard, dans un monde de communication foncièrement différent ? Pourquoi ne pas réfléchir à une instance unifiée pour l’autorégulation de la communication ? La Suède ne s’est-elle pas dotée d’un conseil de presse, en 1915, qui a hébergé par la suite radio, télévision et sites internet ?
Mohamed Chelbi
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