Ben Arous : Non à la rébellion contre l'Etat, non à la dictature des syndicats sécuritaires
Le tribunal de 1ère instance de Ben Arous a vécu hier lundi une journée exceptionnelle. Ce lieu d’habitude calme où la justice est rendue dans la sérénité était resté ouvert jusqu’à une heure tardive.
A l’envahissement et l’attroupement des forces de l’ordre sur convocation de leurs syndicats pour faire pression sur la justice a succédé le brouhaha d’une joie non dissimulée d’avoir obtenu gain de cause, puisque les cinq agents prévenus ont été remis en liberté.
Pour toute personne sensée, ce qui s’est passé ce lundi autour et à l’intérieur du tribunal de 1ère instance de Ben Arous est pour le moins inqualifiable, surtout que certains agents protestataires ont dépassé toutes les limites pour faire pression sur la justice et libérer leur collègue. Menaces, déclarations irresponsables, et même des agents qui se promènent armés dans le tribunal...Tout a été vu ou presque dans ce triste lundi qui restera gravé dans les mémoires des habitués du tribunal de Ben Arous.
Pourtant, l’affaire était de prime abord banale. Un avocat porte plainte au nom de son client contre des policiers pour des soupçons de torture et de violences attestées par un certificat du médecin légiste.
Comme la loi le lui permet, le juge instructeur place les prévenus en garde à vue et désigne une audience le lundi. C’est alors que certains syndicats sécuritaires réagissent appelant leurs collègues à organiser ce sit-in pour libérer les accusés . Face aux appels incessants, les sécuritaires sont venus nombreux devant le tribunal au moment du procès. Et certains sont même venus armés, et ont envahi le tribunal et ses abords à l’appel de leurs syndicats. D'ailleurs certains n'ont pas hésité à utiliser leurs véhicules de service pour se déplacer à Ben Arous.
Selon eux, l’avocat n’a pas le droit de porter plainte pour des violences subies par son client car ce dernier est « un terroriste », alors que rien ne le prouve. Comme si cette qualification lui dénie tout droit et qu’un avocat n’a pas le droit de défendre une personne fût-elle terroriste.
Les protestataires ont exigé la libération immédiate de leurs collègues. Ils ont menacé de ne plus assurer la protection des tribunaux et ont même demandé aux sécuritaires de ne plus se présenter devant les juges lorsqu’ils sont traduits devant eux pour des faits en rapport avec leurs fonctions.
Ce comportement irresponsable des sécuritaires a choqué les Tunisiens, surtout qu'ils ont eu en fin de journée gain de cause avec la libération de leurs collègues.
Les réactions pour dénoncer ces agissements ont été nombreux, surtout que les autorités n'ont pas réagi face à ce scandale.
Dans un communiqué, publié lundi soir, le Conseil supérieur de la magistrature a condamné « l’attroupement d'agents de sécurité armés et l'invasion du tribunal de première instance Ben Arous ». Le CSM considère cette action comme une atteinte à l'indépendance de la justice et la qualifie d’irresponsable. Il a estimé que « l'action menace les bases d'un régime républicain démocratique ». Le conseil a pointé du doigt la responsabilité du pouvoir exécutif suite à la dégradation de la sécurité des tribunaux.
Le conseil s'est réuni en urgence au siège du tribunal de première instance de Ben Arous. Les membres du conseil se sont rendus sur place et ils ont constaté l’attroupement des agents de sécurité. Ces derniers qui étaient armés sont entrés à l'intérieur du tribunal et ils ont utilisés les moyens mis par l'Etat à leur disposition pour venir en masse, a indiqué le même communiqué.
Les jeunes avocats ont dénoncé les agissements contre leur confrère auquel on a dénié le droit de défendre l’accusateur du fait qu’il est qualifié de terroriste. Ils s’élèvent contre les agissements des sécuritaires considérés comme d’intolérables pressions sur l’indépendance de la justice.
L’association des magistrats tunisiens a condamné pour sa part les « événements honteux » dont le tribunal de Ben Arous a été le théâtre lundi qu’elle élève au rang de « crimes organisés » dont elle demande que leurs auteurs soient sanctionnés conformément à la loi.
Elle demande au pouvoir exécutif de sécuriser les tribunaux sans délai et d’exercer ses attributions de contrôle et de discipline à l’égard des récalcitrants. « Toute tolérance envers les abus est considérée comme « une complicité » ajoute l’AMT qui déclare qu’elle examinera tous les mouvements possibles si sa demande de sécurisation des tribunaux n’est pas satisfaite ».
Elle demande aux magistrats « de ne pas se soumettre aux pressions d’où qu’elles viennent et de ne pas s'abstenir d'engager des poursuites pénales contre toute atteinte au pouvoir judiciaire et à l'inviolabilité des tribunaux ».
Les policiers et les sécuritaires en général sont des auxiliaires de la justice et en tant que tels ils doivent savoir les principes de base de l’Etat de droit à savoir :
1- Toute personne a droit à être défendue par un avocat dans un procès juste et équitable quel que soit le crime qu’elle a commis même le plus abominable.
2- Nul n’est à l’abri d’être interrogé par la justice et être placé en garde vue, même s’il s’agit d’un policier
3- La justice agit dans la sérénité et nulle pression n’est tolérable quand bien même elle provient des corps qui lui sont proches.
L’envahissement d’un tribunal et l’attroupement dans son enceinte par des corps armés et l’usage par ces derniers des moyens mis à leur disposition par l’Etat sont inacceptables et doivent être sévèrement sanctionnés.
Quant au refus d’assurer la protection des tribunaux ou de se présenter aux convocations de la justice ils sont des formes de rébellion passibles à leurs auteurs d’être mis aux arrêts, dégradés et sévèrement punis.
L’Etat de droit se construit grâce l’indépendance et la sérénité de la justice mais aussi par le respect des institutions par tous les corps de l’Etat. Les forces de l’ordre et de sécurité sont plus que tous les autres corps assujetties au respect de la justice.
Il importe au pouvoir exécutif, c'est-à-dire au gouvernement auquel sont soumises la police et les forces de sécurité de s’assurer que ces dernières respectent leurs obligations envers la communauté nationale.
Les syndicats sécuritaires se doivent d’inciter leurs affiliés à un respect scrupuleux et rigoureux de leur statut de forces porteuses des armes. Sinon on va vers la dictature de la police, ce qui serait un grave dérapage.
Le silence assourdissant du ministère de l’intérieur comme de la présidence du gouvernement est au moins de la complaisance sinon une intolérable complicité.
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