Comment repenser le monde d'après le Coronavirus, selon le prix Nobel de la paix Mohamed Yunes
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Dans une tribune publiée dans le journal le Monde de mercredi 06 Mai 2020, l’économiste et prix Nobel de la paix, Mohamed Yunes, appelle à penser le monde d’après, une reconstruction sociale et écologique permettra d’éviter une catastrophe bien pire que l’actuelle.
Cet entrepreneur bangladais né en 1940, est connu pour avoir fondé, en 1976, la première institution de microcrédit la Grameen Bank. Surnommé le « banquier des pauvres », il reçoit le prix Nobel de la paix en 2006.
Extraits :
« L’épidémie de Covid-19 est en train d’infliger à notre monde des dégâts incommensurables. Mais si considérables que soient ces dommages, c’est également une occasion unique qui se présente à nous. Le monde entier doit répondre à une question décisive. Il ne s’agit pas de savoir comment relancer l’économie. Nous avons la chance d’avoir la réponse à cette question, forts d’expériences probantes en la matière. La vraie question est celle-là : faut-il revenir au monde tel qu’il était avant l’arrivée du SARSCoV2 ? Ou bien le repenser ? La décision nous appartient. Inutile de le rappeler, le monde d’avant le coronavirus nous était néfaste… La pandémie a brutalement changé la donne. Elle ouvre des horizons formidables et jusque-là insoupçonnés...
Nous devons avant tout convenir que l’économie n’est qu’un moyen, celui d’atteindre des objectifs que nous nous fixons… A aucun moment nous ne devons oublier qu’elle n’est qu’un outil de notre propre création…
Dès lors que cet outil, l’économie, ne nous conduit pas là où nous souhaitons aller, c’est qu’il y a quelque chose dans le matériel, ou dans le logiciel, qui fonctionne mal. Nous devons alors y remédier et réparer l’outil…
Le pouvoir nous appartient. Quand l’être humain a la volonté d’accomplir quelque chose, il y parvient. A l’humain, rien d’impossible. C’est la grande nouvelle de cette période : la crise due au coronavirus nous ouvre des horizons pour ainsi dire illimités pour tout reprendre de zéro. La possibilité de faire table rase pour concevoir matériel et logiciel, à neuf…Une décision mondiale, unanime mais simple, serait d’une aide immense : il faut la consigne claire que nous ne voulons pas reprendre là où nous nous sommes arrêtés. Non, nous ne retournerons pas dans la même ornière au nom de la relance économique. D’ailleurs, nous ne devons pas même parler de plan de « relance ». Pour que l’objectif soit clair, nous devons parler de plan de « reconstruction ». Les entreprises seront au cœur de ce programme. La reconstruction pour l’après coronavirus doit partir de ce principe fondateur : la conscience sociale et environnementale comme pilier central de toutes les décisions. Les Etats doivent faire en sorte que pas un seul dollar n’aille à des entités ou projets qui n’œuvrent pas, avant toute chose, à l’intérêt social et écologique de la société. Nos premiers projets de reconstruction doivent être à vocation sociale. Et c’est aujourd’hui, en pleine tourmente, que nous devons les penser… Dans ce grand plan de reconstruction, je propose de donner le rôle central à une nouvelle forme d’entrepreneuriat que j’ai appelée le social business. Une entreprise de ce type a pour seul objet de résoudre les problèmes des individus, sans but lucratif pour les investisseurs autre que celui de récupérer leur mise. Une fois l’investissement initial amorti, tous les bénéfices sont réinjectés dans l’entreprise. Pour les Etats, les occasions d’encourager, de privilégier et d’aider l’économie sociale à s’engager activement dans la reconstruction seront légion... Les Etats doivent être moteurs, notamment en prenant en charge les plus démunis et les chômeurs à travers les instruments traditionnels de l’Etat providence, en assurant l’offre de santé, en remettant en marche les services essentiels, et en soutenant l’ensemble des entreprises là où les initiatives d’entrepreneuriat social mettront du temps à émerger. Pour accélérer leur émergence, les pouvoirs publics peuvent créer, à l’échelon national et local, des fonds de capital-risque spécialisés dans l’entrepreneuriat social. Ils peuvent encourager le secteur privé, les fondations, les établissements financiers, les fonds d’investissement à en faire autant et inciter les entreprises traditionnelles à se convertir à l’entrepreneuriat social ou à s’associer à des acteurs de l’économie sociale… Les banques centrales doivent pouvoir permettre aux acteurs de l’entrepreneuriat social de recevoir le soutien d’institutions financières pour lever des fonds sur les marchés boursiers…
Le plan de reconstruction doit abolir la division traditionnelle entre citoyens et pouvoirs publics. On part du principe que le rôle des citoyens est de prendre soin de leurs proches et de payer leurs impôts, et qu’il incombe à l’Etat (et, dans une moindre mesure, au secteur associatif) de prendre en charge les problèmes collectifs que sont le climat, l’emploi, la santé, l’éducation, l’eau, etc. Le plan de reconstruction doit abattre ce mur et encourager tous les citoyens à s’engager en créant leurs entreprises sociales…
Le premier problème auquel ils pourront s’attaquer est celui du chômage que va créer l’effondrement de l’économie. Les investisseurs soutiendront la création d’entreprises sociales qui créeront des emplois. Grâce à eux, des chômeurs pourront aussi devenir eux-mêmes entrepreneurs. ..
Si nous ratons le coche d’une reconstruction sociale et écologique, nous allons tout droit vers une catastrophe pire encore que celle due au Covid19.
Le Monde mercredi 06 Mai 2020 page 28
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