Edgar Morin: "La Tunisie a besoin d'être aidée, car c'est un pays au régime fragile et menacé de l'extérieur"

 Edgar Morin: "La Tunisie a besoin d'être aidée, car c'est un pays au régime fragile et menacé de l'extérieur"
 
 
La Tribune a pu tenir avec le sociologue et philosophe français Edgar Morin cet entretien improvisé, autour de deux ou trois choses dans « l'air du temps », à propos du Maghreb, de l'Afrique, et du... bonheur ! interview
 
LA TRIBUNE: On a beaucoup qualifié de « Printemps arabe » les bouleversements survenus depuis 2011 en Méditerranée. Mais plus récemment, cette expression est souvent remplacée par « hiver islamiste ». Quelle est votre perception?
 
EDGAR MORIN: Vous savez, une des conceptions fondamentales de ma pensée, que j'appelle « complexe », tient à ce que je désigne comme l'écologie de l'action. C'est-à-dire qu'une fois décidée, une action se déploie certes sans cesser de dépendre de la volonté de ceux qui l'ont déclenchée, mais elle entre aussi dans un jeu d'interactions multiples, qui souvent la dévient de son sens initial et parfois inversent celui-ci.
 
Ce qu'il y avait de très intéressant dans ce « Printemps arabe », c'est qu'il était porté par une jeunesse urbaine, évoluée et aspirant à des sociétés non seulement délivrées des corruptions, des népotismes et de l'autoritarisme, mais aussi permettant des épanouissements individuels et collectifs.
 
Or, qu'a engendré cette aspiration, une fois confrontée à la réalité ? Dans le cas où elle a abouti à des élections, on a pu observer qu'une grande partie des populations, qui sont restées pieuses - et qui connaissent des associations religieuses pratiquant la solidarité et l'entraide, ce que ne font plus les partis politiques -, ont favorisé des mouvements qui n'allaient pas dans le sens de la démocratie. Voyez le cas de l'Égypte : l'aboutissement d'une forte poussée politique d'inspiration religieuse déclenche une réaction militaire et dictatoriale plus forte encore, un désastre total.
 
Mais rappelons-nous, rapidement : 1789, la Révolution française. Surgit alors un espoir merveilleux de « liberté-égalité-fraternité »... Quelques années plus tard, le cours des événements et la guerre provoquent la Terreur. Puis l'Empire et ses guerres sans fin. Et après la chute de Napoléon, c'est la Restauration, le retour de la monarchie... Depuis, l'histoire de France nous apparaît comme une succession de résurrections de l'idée de 1789, et de régressions. Donc, je pense que ces printemps arabes ont apporté des germes pour un avenir dont on ne sait pas quand il s'épanouira.
 
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