Entre la Tunisie et l’Algérie : l'histoire des fuites des personnalités politiques

Entre la Tunisie et l’Algérie : l'histoire des fuites des personnalités politiques

Certaines fuites sont bien orchestrées, d’autres sont tout simplement rocambolesques.

L’arrestation de l’activiste politique Safi Said et son complice par les autorités algériennes pour s’être entrés illégalement dans le territoire algérien, mardi matin, et qui les ont remis à leurs homologues tunisiennes, est  un épisode d’un long feuilleton qui a, parfois, entaché les relations entre les deux pays. Plusieurs hommes politiques et des défenseurs des droits de l’homme ont tenté de fuir leur pays par crainte pour leur liberté. Il y a ceux qui ont été accueillis à bras ouverts, certains qui ont réussi à passer entre les mailles  du filet, et d’autres qui ont été pris au piège.
Tout a commencé en décembre 1967, quand le chef d’état major de l’armée algérienne, le colonel Tahar Zbiri a échoué dans sa tentative  de renverser le président Houari Boumediene dont il était très proche. Il fut même  l'un des principaux putschistes de 1965 contre Ahmed  Ben Bella. Zbiri prit la fuite vers Tunis, en mai 1968. Boumediene tenta en vain de convaincre Bourguiba de l’extrader, mais ce dernier  lui opposa  une fin de non recevoir. Zbiri ne resta pas longtemps en Tunisie avant de partir rejoindre l'opposition algérienne à l’étranger aux côtés de Kaïd Ahmed et Ahmed Mahsas.

Depuis, le colonel Mohamed Boukherouba, alias Boumediene, qui avait poursuivi ses études à l'université Zitouna de Tunis, tint rigueur à Bourguiba et rumina sa vengeance pour lui rendre la pareille.

Le colonel Tahar Zbiri

L’occasion s’est présentée quelques années plus tard, quand en février 1973, le puissant ministre Ahmed Ben Salah, condamné en mai 1970 à dix ans de travaux forcés pour haute trahison, quitta clandestinement la prison du 9 avril de Tunis et gagna, alors, l’Algérie clandestinement par la frontière de Aïn Drahem.

L’évasion a été préparée par son frère le docteur M'hamed Ben Salah avec la complicité  des autorités algériennes. Ben Salah avait été accueilli à la frontière du côté d’Ain Drahem, par un haut gradé algérien et emmené directement au palais de la Mouradia  à Alger où il été reçu par le président Boumediene qui l’a assuré de sa protection en tant que « grand frère ». « Il vous a rendu la monnaie de votre pièce المتسلفة مردودة », dira alors Tahar Belkhodja à Bourguiba.

Plus de 13 ans après cette évasion spectaculaire, le même scénario s’est répété avec cette fois  la fuite, en septembre 1986, de l'ancien premier ministre, Mohammed Mzali, par la frontière algérienne où il a été bien accueilli, avant d’être  emmené chez le président Chedly Ben Jedid. Ce dernier lui offrit toute l’hospitalité nécessaire , avant d’accéder à sa demande de le laisser partir en Suisse le siège du Comité international olympique dont il est membre, puis il  regagna la France. Il lui fournit un billet d’avion en première classe et une importante somme d’argent, 40 000 francs.

 

Du temps de Ben Ali, aucun incident de ce genre ne s’est produit entre les deux pays.

Mais les « fuites » des hommes politiques et des défenseurs des droits de l’homme à travers les frontières, de part et d’autre, ont repris au cours des toutes dernières années.

En août 2021, le leader du parti Qalb Tounès, l’ancien candidat à l’élection présidentielle Nabil Karoui, et son frère l’ancien député Ghazi avaient été arrêtés par la police aux frontières algériennes, dans la région de Tebessa, dans le nord-est de l'Algérie. Ils ont été placés en détention provisoire, après avoir été entendus par un juge d'instruction du tribunal de Constantine.

Les frères Karoui

Le 31 août, la Tunisie émet un mandat d'arrêt à leur encontre. Le 26 septembre, ils sont transférés vers la prison d'El-Harrach à Alger. Ils sont libérés en octobre.

Alors que la justice algérienne leur a demandé de rester à sa disposition, ils quittent tous les deux  illégalement le pays à bord d'un jet privé pour se rendre  le 6 novembre à Barcelone.

Le 22 juillet 2022, Lazhar Loungou, l’ancien directeur général des services spéciaux au ministère de l'intérieur a été arrêté en cavale en Algérie après avoir réussi à entrer illégalement dans le territoire algérien. Faisant l'objet d’un mandat d’amener d’Interpol, il a été extradé vers la Tunisie où il croupit depuis en prison.

Le 4 juillet dernier c’est autour de Seifeddine Makhlouf, ancien député du parti Al Karama, de se faire arrêter à l’aéroport d’Annaba, les autorités algériennes ont découvert qu’il n’était pas en situation régulière.

Makhlouf avait eu l’intention de se rendre à Istanbul puis à Doha, où réside sa famille. Mais la police des frontières algériennes a constaté que son passeport ne portait pas de cachet d'entrée, ce qui laisse supposer qu'il aurait franchi la frontière terrestre clandestinement.

Déféré devant un juge d'instruction, il a été inculpé pour entrée illégale sur le territoire algérien et usage de faux. Depuis, on ne sait rien sur le sort qui lui sera réservé une fois  sa peine purgée.

Côté algérien, le cas le plus médiatisé est celui de la militante franco-algérienne Amira Bouraoui qui a échappé, en février 2023, à une extradition vers Alger depuis la Tunisie où elle est entrée illégalement, muni d’un passeport français, après l’intervention de la France.

Comme l’a rapporté le Monde, cette ancienne figure de l’opposition pendant le règne de l’ex-président Abdelaziz Bouteflika, a quitté Tunis, lundi 6 février 2023, dans la soirée, à bord d’un vol de la compagnie Transavia en direction de Lyon, après des heures de négociations serrées entre les autorités françaises et tunisiennes, a confirmé au Monde une source diplomatique française impliquée dans les discussions ayant permis son départ.

Avant Amira Bouraoui, le défenseur des droits de l’homme Slimane Bouhafs qui  vivait en Tunisie en tant que réfugié a été exfiltré, fin août 2021, par des hommes non identifiés  en civil pour l’emmener à une destination inconnue. Après avoir « disparu » pendant plusieurs jours, il est réapparu en détention aux mains de la police algérienne, dans des circonstances peu claires, selon Amnesty International et Human Rights Watch.

Un autre algérien défenseur des droits de l’homme, Zakaria Hannache qui fait l’objet de poursuites en Algérie s’est rendu en Tunisie où il a obtenu le statut de réfugié auprès du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. Le 21 septembre 2023, il a été finalement autorisé à quitter la Tunisie pour le Canada.

L’histoire se répète à chaque fois, mais dans des contextes différents et avec de nouveaux protagonistes.

B.Oueslati

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