Fakhfakh dans la tourmente, Abbou dans le farniente
Empêtré dans une affaire sentant le soufre, le chef du gouvernement Elyès Fakhfakh se trouve dans la tourmente. Soupçonné de conflits d’intérêts entre sa fonction à la Kasbah et ses liens avec des sociétés privées dont il est actionnaire et gérant à la fois, il voit la pression monter sur lui pour l’appeler à démissionner, en raison de ce qui est considéré une « omission substantielle de ses intérêts », en l'occurrence d'avoir dissimulé des éléments dans la déclaration de ses biens et de son patrimoine devant l’Inluuc.
Devant la plénière du 25 Juin 2020 consacrée à présenter le bilan de son gouvernement, Elyès Fakhfakh a préféré défier les parlementaires au lieu de se dédouaner et faire profil bas pour laisser passer l’orage, se mettant ainsi dans de mauvais draps. Il s’est même engagé devant les députés à démissionner en cas de conflit d’intérêts avéré.
Appelé à la rescousse, son ministre des Droits de l’Homme Ayachi Hammami a vite fait de classer l’affaire sans même attendre les résultats de l’enquête administrative engagée par son collègue Mohamed Abbou, le chantre de la lutte contre la corruption. Ce dernier s’est montré très circonspect sur cette affaire, ordonnant l’ouverture d’une enquête «sur deux marchés octroyés à un groupement d’entreprises qui traite avec l’Etat et dans lequel le chef du gouvernement est actionnaire». Des députés ont relevé une contradiction entre les slogans défendus par Abbou lorsqu’il était dans l’opposition en faveur de la lutte contre la corruption et la position qu’il observe, maintenant qu’il est à la tête du ministère. Déjà dans l’affaire des masques, il a volé au secours de son collègue de l’Industrie et n’a pipé aucun mot sur le voyage en catimini en France en période de confinement du ministre de l’énergie Mongi Marzouk.
Son épouse Samia Hammouda, très prompte à s’attaquer toutes griffes dehors aux membres du gouvernement, a volé su secours de Fakhkfakh défendant becs et ongles le patron de son mari. « Connaissant votre intégrité morale, je vous vois mal commettre une telle faute », lui a-t-elle lancé. Alors que pour moins que ça, pour ne pas dire pour rien que ça, l’ancien ministre Fadhel Abdelkéfi a été lynché par la virulente députée. Il lui avait répondu en ces termes : « Je n’accepte plus d’être accusé de corruption, de laxisme, de vouloir vendre l’Etat à mes amis ! Je n’accepte plus que mes enfants aient à voir leur père accusé de telles insanités! Il n’y a pas plus facile que le sans-gêne et moi aussi je peux m’y mettre ! ». A son tour l’ancien ministre de l’éducation Hatem Ben Salem a essuyé ses slaves ce qui l’avait fait sortir de ses gonds pour lui répondre du tac au tac.
Et comme un malheur n’arrive pas seul, Chawki Tabib, le président de l’Inluuc a fait de nouvelles révélations devant la commission du règlement intérieur sur les sociétés de Fakhfakh, ce qui pourrait renforcer les soupçons de conflits d’intérêt. Huit membres du gouvernement détiennent des actions dans des sociétés privées et n’ont pas à ce jour régularisé leur situation.
Maintenant que la justice s’est saisie de l’affaire et qu’une commission d’enquête parlementaire initiée par l’opposition va tenter de faire la lumière, Elyès Fakhfakh se trouve complètement désarçonné. On dit que son « mentor », le président de la République Kais Saied a regretté son choix. Au moment où sa coalition gouvernementale se fissure, Ennahdha se frotte les mains et voit venir le chef du gouvernement dans ses bras pour lui dicter ses choix. Une situation qui rappelle celle de son prédécesseur Youssef Chahed au moment de sa brouille avec le président Béji Caid Essebsi.
Fakhafakh, qui voit l’étau se serrer autour, va-t-il jeter l’éponge ? Difficile quand on connait sa pugnacité. S’excuser pour baisser la tension en attendant la décision de la justice et les résultats de l’enquête parlementaire ? Trop tard diraient ses détracteurs.
Mais quelle que soit l’issue de cette affaire, l’image du « gouvernement de la transparence » en pâtira lourdement.
B.O
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