La première sortie sur le marché international des capitaux, une victoire à la Pyrrhus !

La première sortie sur le marché international des capitaux, une victoire à la Pyrrhus !

L’annonce mardi 27 janvier, d'une émission obligataire sur le marché international des capitaux de 1 milliard de dollars américains a surpris plus d’un en Tunisie et a suscité beaucoup de questions parmi les experts financiers et les simples citoyens.

L'emprunt obligataire est une forme de financement à l'attention d'un État, d'une banque, d'une entreprise ou d'une organisation gouvernementale, où l'emprunteur émet des obligations que des investisseurs achètent. Un intérêt est versé périodiquement et s'applique sur la totalité de l'emprunt étant donné que le capital ne sera remboursé qu'en fin de prêt.

Le montant définitif de l’emprunt a atteint 1 milliard de dollars américains pour une maturité de 10 ans et un coupon exorbitant de 5,875% l’an. Sans compter les frais payés aux 3 banques (Citibank, JP Morgan et Natixis) qui ont structuré l’emprunt (probablement entre 3 et 5 millions de dollars). Ce niveau de coupon, constitue le niveau le plus cher qu’ait obtenu la Tunisie depuis sa première sortie sur le marché international des capitaux en dollar US, en septembre 1997.

Cet emprunt conclu par un gouvernement démissionnaire interpelle tout le monde et suscite plusieurs interrogations :

+ Le timing : pourquoi ne pas avoir laissé le gouvernement de Habib Essid décider de l’opportunité politique et économique d’une sortie non accompagnée sur le marché international des capitaux ?

+ Le montant : Pourquoi avoir emprunté autant et aussi cher ? L'objectif initial de cette opération était de mobiliser 500 millions de dollars. Ce montant nous dit-on sera consacré au financement du déficit budgétaire estimé à 7,5 milliards de dinars.  Or, dans la Loi de finances 2015 (LF15) se base sur un prix du pétrole à 95 dollars le baril en 2015. Si la LF15 avait plutôt considéré un prix inférieur à 95 dollars, la Tunisie n’aurait pas eu ce gap pour boucler son budget.

+ Le coût : Dans leur déclaration de presse les responsables ont annoncé que « le taux d'intérêt de 5,875% appliqué à cet emprunt n'est pas élevé par rapport à la situation économique de la Tunisie » !! En 2014, le Maroc annonçait la réalisation d’une émission obligataire sur le marché financier international d’un montant de 1 milliard d’euros d’une maturité de 10 ans et un coupon de 3,5%. Cette émission Marocaine intervient après une absence de 4 ans sur le marché de l'euro.

Ci-dessous la liste des dernières émissions de la Tunisie :

- JPY 50 000 000 000 - Octobre 2014 – 10 ans – 1,61%

- USD 500 000 000 – Juillet 2014 – 7 ans – 2,452% (garantie USA)

- JPY 22 400 000 000 – Juillet 2013 – 10 ans – 2,04%

- USD 485 000 000 – Juillet 2012 – 7 ans - 1.686% (garantie USA)

- USD 500 000 000 – Avril 2012 – 5 ans – 2,50% (crédit Qatari)

+ Le niveau d’endettement: Les dettes internes et extérieures de la Tunisie représentent 52% de son PIB alors que le taux d'endettement extérieur est de l'ordre de 46% du PIB.

La soutenabilité de la dette exprime la capacité de la Tunisie à rembourser ses emprunts et donc sa solvabilité. Elle est liée aux recettes prévisibles qui permettront de rembourser, à moyen terme, la dette et l'ensemble des frais associés, ainsi que les intérêts qui s'y rattachent. Cette soutenabilité peut être évaluée mathématiquement et dépend entre autres du taux de croissance futur de l’économie, de l’inflation...

+ L’opacité : Le gouvernement a choisi de mobiliser 1 milliard de dollars « accordés par les 10 plus grandes institutions financières internationales ». Aucun nom n’a été divulgué. Nous ne connaissons pas non plus tous les termes de l’emprunt et les frais payés aux 3 banques qui ont structuré l’emprunt (Citibank, JP Morgan et Natixis).

+ La philosophie d’un tel emprunt qui consiste à acheter très cher des devises pour payer notamment des salaires en dinars tunisiens. L’entrée en fonction du nouveau gouvernement aurait envoyé un signal positif supplémentaire à nos partenaires internationaux. Le ministre de l’Economie et des Finances avait lui-même, exprimé son espoir quant à l’amélioration de la note souveraine de la Tunisie, alors que les agences de notations publieront leurs rapports avant la fin du premier trimestre de 2015.

Une visite du Président Béji Caïd Essebsi ou du Chef du Gouvernement Essid aux Etats Unis aurait probablement convaincus nos partenaires américains de nous accorder une nouvelle garantie pour une émission obligataire.

+ Les alternatives : Le ministre de l’Economie et des Finances avait annoncé, jeudi 18 décembre 2014, que la Banque mondiale devrait accorder à la Tunisie, deux crédits totalisant 500 millions de dollars, soit environ 929 millions de dinars. Le même ministre avait de plus déclaré à la TAP, qu’un premier crédit de 250 millions de dollars (464 millions de dinars) serait accordé, en janvier 2015, et qu’un deuxième d’un montant identique octroyé au mois de mars. Que s’est-il passé entre temps ?

Il semble aujourd’hui que ces crédits n’aient pas été décaissés par la Banque mondiale contrairement à ce qui a été annoncé. La décision prise par le FMI, le 12 décembre, consécutive au décaissement de la 5ème tranche du crédit de garantie, n’a pas suffi à convaincre la Banque Mondiale « à soutenir davantage la Tunisie au cours de la prochaine étape ». Traduire : à décaisser les 500 millions sans mettre en œuvre comme le gouvernement s’était engagé les réformes nécessaires. La Banque Mondiale dans son inflexibilité, à juste titre, sanctionne les technocrates, qui n’ont pas eu le cran d’engager ne serait-ce qu’une partie des réformes discutées et agréées comme le code d’investissements. Ces 500 millions de dollars restent à disposition de la Tunisie jusqu’au 30 juin 2015, ce qui rend d’autant plus aberrant la décision des responsables de lever 1 milliard de dollars au lieu des 500 millions annoncés initialement.

Finalement, cet emprunt obligataire présenté comme une «preuve que la Tunisie a regagné la confiance des grands investisseurs» est plutôt un effet d’éviction des marchés européens suite au « quantitative easing » qui tend à bénéficier aux pays émergeants, ainsi que cela a été le cas lorsque les Etats Unis avaient introduit leur « quantitative easing ».

Face à toutes ces questions qui demeurent sans réponse, il semble opportun que les responsables de l’emprunt obligataire soient auditionné par l’Assemblée des Représentants du Peuple. C’est ainsi que devrait dorénavant fonctionner la Tunisie nouvelle.

Par Ghazi Ben Ahmed, (Directeur de l’Initiative Méditerranéenne pour le Développement)