L’école publique, géant blessé : réformer ou s’effondrer ?

 L’école publique, géant blessé : réformer ou s’effondrer ?

Malgré un budget en hausse, l’école tunisienne continue de se déliter, minée par les inégalités régionales, la vétusté des infrastructures et l’absence de réforme cohérente. Le système éducatif, longtemps pilier de l’ascension sociale, vacille sous son propre poids.

Au cours de l’examen du budget du ministère de l’Éducation, les députés ont une nouvelle fois dressé un constat sévère : l’école tunisienne, fragilisée par des décennies de politiques improvisées ou partielles, peine à remplir pleinement sa mission. Le président Kaïs Saïed, en installant le Conseil supérieur de l’éducation et de l’enseignement, avait pourtant qualifié la réforme éducative de « chantier national stratégique ». Mais les intentions affichées s’entrechoquent avec une réalité budgétaire plus rigide.

Pour 2026, le budget du ministère atteint 8 700 millions de dinars, soit une augmentation de 656 millions de dinars par rapport à 2025 (+8,16 %). Cependant, plus de 90 % de cette enveloppe est dédiée aux salaires, laissant peu de marge aux investissements : seulement 717 millions de dinars pour la construction de 19 nouveaux établissements et la réhabilitation de 464 écoles. À cela s’ajoute une autre tendance préoccupante : la part du ministère dans le budget total de l’État a chuté de 15,9 % en 2010 à seulement 10,3 % en 2026.

Un système éducatif profondément inégalitaire

Les différentes réformes qui se sont succédé depuis 1958 n’ont pas permis d’installer un modèle éducatif stable et équitable. Aujourd’hui, les disparités territoriales se creusent et dessinent une carte scolaire à deux vitesses.

Préscolaire : taux de couverture de 45,6 %, avec des écarts extrêmes allant de 96,8 % à Tunis 2 à 44,2 % à Kasserine.

Primaire : taux de passage moyen de 91,5 %, mais seulement 85,3 % dans certaines régions défavorisées.

Baccalauréat 2025 : 52,59 % de réussite toutes sessions confondues, avec de fortes divergences entre Sfax (en tête avec 68,96 %)) et Jendouba (43,08 %, en bas du classement).

Ces chiffres révèlent un système qui renforce les fractures sociales au lieu de les réduire. Ils témoignent également d’un accès inégal aux ressources : enseignants qualifiés, transport scolaire, infrastructures de base, équipements pédagogiques.

Des infrastructures vieillissantes et des conditions d’apprentissage dégradées

Plus de 500 établissements dépassent aujourd’hui cinquante ans. Internats délabrés, écoles rurales mal équipées, pénurie de matériel pédagogique : les exemples d’infrastructures vétustes sont nombreux. Pendant ce temps, les enveloppes consacrées aux travaux et à la modernisation restent insuffisantes, prisonnières d’un budget accaparé par les salaires.

Le paradoxe est cruel : un ministère doté d’un budget substantiel… mais presque totalement immobilisé.

Un “mammouth” paralysé par les tensions et le manque de vision

Le système éducatif tunisien est régulièrement comparé à un “mammouth” : massif, lourd et difficile à manœuvrer. Les relations souvent tendues entre le ministère et les syndicats bloquent toute tentative de réforme en profondeur.
Si tous s’accordent sur la gravité de la crise, les solutions restent divergentes — et l’immobilisme l’emporte.

Pendant ce temps, l’enseignement privé progresse et l’école publique perd son attractivité, notamment auprès des classes moyennes, accentuant encore plus les inégalités.

Une école publique dont le rôle d’ascenseur social s’effrite

L’école tunisienne a été, durant des décennies, un formidable vecteur de mobilité sociale. Elle a permis à des générations d’accéder à l’université, à l’emploi, à la modernité. Aujourd’hui, ce rôle s’effrite sous le poids des inégalités, des retards de modernisation et de l’inadéquation croissante entre formation et marché du travail.

 Il ne s’agit plus de moderniser des écoles, il s’agit de sauvegarder l’avenir du pays. Les nations qui négligent leurs enfants creusent leur propre tombe. La Tunisie n’a plus le droit à l’erreur.

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