Les Aigles de Carthage volent seuls

Les Aigles de Carthage volent seuls

Malgré un parcours sans faute en éliminatoires du Mondial 2026, l’équipe nationale de football ne suscite plus la même ferveur. Entre gradins vides, critiques injustes et indifférence politique, les Aigles de Carthage volent seuls. Un désintérêt qui en dit long sur le rapport des Tunisiens à leurs symboles, à commencer par leur drapeau.

Je ne comprends pas cette désaffection des Tunisiens à l’égard de leur équipe nationale de football. Une désaffection froide, presque indifférente, qui se lit dans les gradins vides du stade de Radès, dans les cafés où l’on ne retient plus son souffle devant les matchs, et jusque dans le silence poli des responsables politiques.
Et pourtant, les Aigles de Carthage viennent de réaliser un exploit historique que peu de nations, même les plus grandes de football mondial, peuvent revendiquer.

Un exploit inédit dans l’indifférence

Déjà qualifiée pour la Coupe du monde 2026, la Tunisie a bouclé sa campagne de qualification par une victoire nette (3-0) face à la Namibie. Elle termine en tête de son groupe, invaincue, avec 28 points sur 30 possibles, et sans avoir encaissé le moindre but. Du jamais vu dans l’histoire du football tunisien.
Un parcours parfait, que n’ont pas égalé ni le Brésil, ni la France, ni l’Allemagne,  ni encore moins l’Argentine ou l’Italie Et pourtant… aucune liesse, aucune ferveur populaire, aucune explosion de joie. Comme si l’exploit n’existait pas.

Pire encore, certaines voix ne trouvent rien de mieux que de rabaisser cette équipe et son sélectionneur, Sami Trabelsi, coupable d’avoir réussi là où d’autres avant lui ont échoué.
Avec cette nouvelle qualification – la troisième consécutive après 2018 et 2022 – la Tunisie compte désormais sept participations à la Coupe du monde, à égalité avec le Maroc et juste derrière le Cameroun.
Mais contrairement à Rabat, Alger ou Le Caire, où chaque victoire devient un moment d’unité nationale, la Tunisie semble avoir perdu ce réflexe du cœur. Chez nos voisins, les présidents eux-mêmes se joignent à la célébration : en Égypte, Abdel Fattah al-Sissi a félicité les Pharaons pour leur qualification. À Tunis, silence radio.

Il fut pourtant un temps où les exploits sportifs galvanisaient tout un peuple. De l’Argentine en 1978, première victoire africaine en Coupe du monde (3-1 contre le Mexique), à Johannesburg en 1996 pour la finale de la CAN, jusqu’à la consécration de 2004 à Radès face au Maroc – chaque succès faisait battre le cœur de toute la nation. Les drapeaux flottaient partout, les rues vibraient au même rythme, et l’on sentait cette fierté d’être Tunisien.

Quand d’autres drapeaux prennent le dessus

Tant il est vrai que même le drapeau se trouve à son tour délaissé.
Depuis la chute du régime de Ben Ali, le symbole rouge et blanc a peu à peu quitté les places publiques et les consciences, remplacé un temps par le fanion noir de Daech, tristement célèbre sous le nom de Raïat al-‘Uqab, la “bannière de l’Aigle”.
On se souvient encore de cet épisode marquant, en 2012, à la Faculté des lettres de la Manouba, lorsque le drapeau national fut arraché pour laisser place à ce morceau de tissu noir — avant que la jeune Khaoula Rachidi ne s’interpose courageusement pour le rétablir.
Et voilà que, plus d’une décennie plus tard, le parti Hizb ut-Tahrir, prônant le retour du califat et rejetant la démocratie comme un système impie, brandit de nouveau ce fanion noir en pleine avenue, sous l’œil complaisant des caméras.

Comme si cela ne suffisait pas, le drapeau tunisien se voit désormais relégué à l’arrière-plan, éclipsé par celui de la Palestine lors des manifestations et même dans les stades.
Bien sûr, la cause palestinienne demeure sacrée dans le cœur des Tunisiens, mais la hiérarchie des symboles reste essentielle : nul drapeau ne devrait précéder celui de la patrie. Car oublier ses propres couleurs, c’est s’oublier soi-même.

Nos Aigles de Carthage continuent de voler haut, mais dans un ciel déserté par leurs supporters.
Et notre drapeau, l’un des plus anciens au monde, flotte encore, mais dans un vent devenu tiède. Il est bien plus qu’un simple morceau de tissu coloré : c’est un symbole national qui représente l’identité, l’histoire, les valeurs et les aspirations d’un peuple.
L’un comme l’autre attendent qu’un peuple les regarde à nouveau avec fierté, qu’il se souvienne que ces symboles — une équipe, un drapeau — ne valent que s’ils battent au rythme du même cœur national.

B.O

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