Les dessous de la démission surprise de Chedly Ayari
C’est un Chedly Ayari, l’air grave et dépité qui est apparu aux côtés du chef du gouvernement Youssef Chahed pour annoncer sa démission au micro de la première chaine, la seule qui a recueilli sa déclaration. Cette démission a surpris plus d’un car on s’attendait à ce que le désormais ancien gouverneur de la Banque centrale se présente devant la plénière spécialement convoquée pour voter sa destitution, afin de s’expliquer sur « les défaillances » qu’on lui a reprochées. C’est pourquoi, on épiloguera longtemps sur les dessous de cette démission « surprise » comme si Chedly Ayari voulait anticiper le vote de sa destitution prévue pour la matinée de jeudi 15 février. Son passage hier devant la commission des finances pour s’expliquer, en sa qualité du président de la commission nationale des analyses financières, l’a certainement édifié sur ce qui l’attendait devant la plénière. Mais ce n’est pas tout. Car la destitution de Chedly Ayari était déjà dans l’air depuis quelques mois. Selon des sources concordantes, le chef du gouvernement Youssef Chahed, non content de la réactivité du gouverneur de la BCT, lui avait demandé, carrément, de présenter sa démission. Ayari avait alors réservé sa réponse en demandant une période de réflexion. Mais Chahed avait sollicité sa lettre de démission qu’il garderait secrète jusqu’à la fin de la période de réflexion demandée. Chose que Chedly Ayari n’avait pas accepté, avant de revenir sur sa promesse suite aux conseils de certains amis et « protecteurs ».
Depuis, les choses se sont précipitées et le classement de la Tunisie dans la liste «des pays tiers susceptibles d’être fortement exposés au blanchiment de capitaux et au financement du terrorisme » a fait sortir Chahed de ses gonds et sa réaction fut immédiate en annonçant la décision de démettre le gouverneur de la BCT. On reproche à Ayari en sa qualité de président de la « Commission Tunisienne des Analyses Financières (CTAF)», son laxisme et son absence de réaction aux alertes du Groupe d'action financière(GAFI) qui a appelé la Tunisie à se conformer au nouveau « cadre des mesures devant être mises en œuvre » pour « lutter contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, ainsi que le financement de la prolifération des armes de destruction massive ».
Au cours de son audition devant la commission des finances de l’ARP, mercredi 14 février, Chedly Ayari a dressé un bilan des actions entamées et il est, même, sorti de l’obligation de réserve pour « régler ses comptes » avec le gouvernement. Il a évoqué une cinquantaine de courriers envoyés au gouvernement pour l’alerter sur les failles du système et l’appeler à prendre les mesures législatives et réglementaires nécessaires pour se conformer aux recommandations du Gafi. Ce que le porte-parole du gouvernement Iyed Dahmani a réfuté. A leur tour, les députés présents n’ont pas ménagé de leurs critiques le gouvernement rendu « responsable » de ce camouflet. Ils ont pointé du doigt son incapacité à gérer cette affaire, d’autant plus que la CTAF a saisi la justice sur plus de 500 dossiers de blanchiment d’argent, alors qu’un seul jugement a été rendu. Non content des poursuites engagées contre des cadres de la BCT, pour soupçons de corruption, dont deux ont été arrêtés, Ayari a qualifié cette opération « préméditée ». Il s’est montré « dégoûté » du lynchage médiatique dont il fait l’objet. « C’est mesquin, c’est petit, c’est vil » a-t-il lancé à la fin de son audition avant d’annoncer sa décision de quitter son poste indépendamment du vote de la plénière d’aujourd’hui. Ceux qui s’attendaient à des révélations fracassantes sont restés sur leur faim.
A partir de cet instant, Chedly Ayari a été, selon le député Ali Bennour d’Afek Tounes, soumis à de fortes pressions pour éviter qu’il ne soit « malmené » et de connaitre le même sort de l’ancien chef du gouvernement Habib Essid. Il est « le bouc-émissaire par excellence», selon certains pour ne pas s'attaquer à « la racine du problème : la lutte contre le blanchiment de l’argent sale et le financement du terrorisme». Certains députés ont même appelé à le poursuivre pour soupçons de corruption. La peur que la plénière de jeudi ne se transforme en une audience d’acharnement sur le gouvernement, avec éventuellement des révélations qui dérangent, aurait, également, motivé ce départ précipité. Pour sauver toutes les apparences et ne pas enfoncer le clou. Et ce qui a été dit par plusieurs députés au cours de la plénière de cet après-midi. En plus de cela, rien n’est garanti quant à l’issue du vote. Avec la fin du « consensus » annoncé unilatéralement par le mouvement Nida Tounes. Car, sans le soutien du groupe parlementaire d’Ennahda, Chedly Ayari pourrait terminer son mandat et rester à sa place jusqu’au 24 juillet prochain.
Toutefois, la grande question qui demeure sans réponse est qu’est ce qui a, réellement motivé ce départ de Chedly Ayari à quatre mois et quelques jours de la fin de son mandat à la tête la BCT ?
B.O
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