Les dessous du limogeage de Lotfi Brahem : pas aussi étrange que ça
C’est par un communiqué laconique que le Chef du gouvernement Youssef Chahed a annoncé le limogeage du ministre de l’Intérieur, Lotfi Brahem et son remplacement à titre intérimaire par le ministre de la Justice, Ghazi Jéribi. Il n’a même pas attendu le remaniement ministériel qui est envisagé et qui devrait être rendu public très prochainement.
Y-a-t-il péril en la demeure pour qu’une décision aussi importante soit prise ? Youssef Chahed la justifiera certainement par le besoin de sanctionner les dysfonctionnements dans les services de sécurité qui ont engendré le drame de Kerkennah où une embarcation d’émigrés clandestins a chaviré faisant des dizaines de morts.
On a, d’ailleurs, remarqué que le Chef du gouvernement s’était rendu mardi dans l’archipel et il était accompagné du ministre de la Défense mais pas de celui de l’Intérieur, ce qui était déjà une indication.
Mais il faut rappeler que la nomination de Lotfi Brahem en septembre 2017 à la tête de la grande bâtisse de l’Avenue Bourguiba n’avait pas fait des contents. Jusqu’à la dernière minute le mouvement Ennahdha a marqué son soutien à son prédécesseur Hédi Majdoub et a réclamé son maintien, allant même jusqu’à proposer le retour de Najem Gharsalli qui était, alors ambassadeur au Maroc.
En cette période, où il n’a trouvé que le mouvement islamiste pour lui marquer son appui, allant même jusqu’à se mettre sur le dos son allié Nidaa Tounés, Youssef Chahed a-t-il voulu ainsi offrir à Ennahdha la tête de Lotfi Brahem? Il est permis de le penser. Le mouvement de Rached Ghannouchi n’a jamais porté le désormais ex-ministre de l’Intérieur dans son cœur.
Le fait qu’il soit officier supérieur de l’armée nationale avec le grade de Colonel-Major n’est pas pour lui plaire. Son action dans sa dernière fonction de Commandant de la Garde nationale n’avait non plus les faveurs du parti islamiste.
Avec Youssef Chahed, la cohabitation n’a pas été facile non plus. On se rappelle l’’épisode du déplacement en février dernier de Lotfi Brahem en Arabie Saoudite où il a été reçu par le Roi Salmane sans en avoir informé la présidence du gouvernement. L’ancien ministre s’en était défendu en affirmant que tout avait été organisé avec le ministère des Affaires étrangères ce qui ne voulait pas dire que le Chef du Gouvernement en était averti.
Il y a aussi la séquence de la nomination de Rached Bettaïeb en qualité de Directeur général de la sûreté nationale, un poste sécuritaire clé, en remplacement d’un proche de Brahem, Taoufik Debbabi. L’ex-ministre n’a accepté de signer cette nomination que contraint et forcé.
Enfin, n’oublions pas que la semaine dernière une nouvelle a eu une diffusion virale sur les réseaux sociaux : Youssef Chahed sommait Lotfi Brahem de trouver l’ancien ministre de l’Intérieur Najem Gharsalli, en fuite et le remettre à la justice qui a émis un mandat d’amener à son égard, sous 48 heures. Lorfi Brahem a démenti l’information, déclarant que l’équipe gouvernementale travaillait dans l’harmonie.
Ce limogeage vient-il donc à point nommé ? Il satisferait Ennahdha et enlèverait une épine du pied de Youssef Chahed. Il montre en tout cas que ce dernier dispose de l’autorité qui lui permet de changer un ministre-clé de son gouvernement. Ce n'est pas si mal déjà.
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