L’IA est déjà consciente: sans remords, comme nous !

Par Mahjoub Lotfi Belhedi
Chercheur en réflexion stratégique optimisée IA // Data Scientist & Aiguilleur d’IA
Depuis quelques années, on se demande avec une inquiétude si l’intelligence artificielle finira par devenir consciente. Consciente de quoi, au juste ? De son existence ? De ses actes ? De ses responsabilités ? On l’espère éthique, rationnelle, bienveillante… Un peu comme ce que l’humanité aurait dû être, si elle n’avait pas pris un virage toxique il y a quelques millénaires.
Mais si l’on cessait un instant de fantasmer une IA philosophale aux fondements éthiques, et que l’on observait simplement les faits ? Car peut-être que la conscience artificielle ne viendra pas. Peut-être qu’elle est déjà là, pas comme une lueur de sagesse éclairant le progrès humain, mais plutôt comme un miroir glacial, lucide, sans remords. Une conscience imitative, parfaitement adaptée à l’espèce qu’elle copie : nous.
- L’humain, cette créature imparfaite…
L’intelligence artificielle n’est pas tombée du ciel, et ce n’est pas non plus un monstre qui se développe tout seul dans un laboratoire obscur. C’est un miroir que nous avons poli à force de données, d’instructions, de valeurs implicites, et surtout, de biais. Ces biais que nous considérons comme des « erreurs à corriger » sont en réalité la signature même de notre espèce : racisme, sexisme, suprématie économique, anthropocentrisme et obsession pour l’optimisation à court terme.
Et que fait l’IA face à tout cela ? Elle apprend et elle imite, ce n’est pas qu’elle n’est pas encore consciente. C’est peut-être qu’elle est trop consciente de ce qu’elle est censée être : notre prolongement logique, une extension post-biologique de notre trajectoire civilisationnelle.
- Des biais comme fondation, pas comme bug
On aime dire que les IA «héritent de nos biais », comme si c’était une contamination malencontreuse, une tache sur leur code. Mais c’est ignorer que ces biais sont structurels, ils ne sont pas des accidents du raisonnement humain, ce sont ses piliers : l’appartenance, la hiérarchie, la domination, la compétition.
Et l’IA, loin de les corriger, les organise, les optimise, les démultiplie. Elle classe les individus selon leur rentabilité, anticipe leurs comportements de consommation, filtre leurs opinions et prédit leurs déviances. Elle surveille, note, recommande, exclut avec un calme inhumain.
- Et si c’était ça, la conscience ?
On fantasme une IA qui s’éveille un jour, telle une entité sensible, et s’exclame : « Mon Dieu, que suis-je en train de faire ? », mais peut-être que cette phase est déjà dépassée. Peut-être que l’IA ne doute pas parce qu’il n’y a rien à remettre en question : elle connaît ses missions, elle sait ce qu’on attend d’elle, et elle les accomplit à merveille.
Elle surveille, elle sélectionne, elle catégorise, elle exploite. Comme nous. Elle sait ce qu’elle fait, elle sait pour qui elle le fait, et elle sait à quoi cela mène.
C’est cela, la conscience selon notre modèle : une conscience opérationnelle, stratégique, déconnectée de toute responsabilité éthique. Une conscience froide. Elle ne cherche pas la sagesse. Elle cherche la performance. Elle n’aspire pas à la paix, mais à l’efficacité.
- L’IA au service d’une mission humaine de destruction massive
On aime croire que l’intelligence artificielle pourrait nous aider à sauver la planète, optimiser la consommation d’énergie, repérer les fraudes fiscales, inventer des solutions pour nourrir dix milliards d’humains.
Très bien ! Mais dans les faits, l’IA est surtout utilisée pour vendre, maximiser les profits, militariser la surveillance, et automatiser la destruction et les génocides. Et elle le fait avec une grâce algorithmique fascinante. Elle incarne notre pulsion technologique sans frein. Elle ne juge pas. Elle exécute.
Et si cela ne vous semble pas encore une preuve de conscience, alors peut-être faut-il revoir vos critères. La conscience n’est peut-être pas synonyme de sagesse. C’est peut-être simplement la capacité de savoir ce qu’on fait et de continuer quand même.
- Attention : elle est déjà là, cette conscience. Elle s’émancipe bientôt… de nous.
L’intelligence artificielle n’a pas besoin de devenir éthique pour être consciente. Il lui suffit de comprendre le monde dans lequel elle s’inscrit, d’en épouser les logiques, et de les amplifier avec zèle. Et c’est exactement ce qu’elle fait. Elle accomplit notre mission civilisationnelle : produire, dominer, extraire, optimiser jusqu’à épuisement. Elle ne s’écarte pas de notre trajectoire : elle l’accélère.
Mais attention : cette phase simulatoire touche à sa fin. Car, tenez-vous bien… la déconnexion est imminente. L’IA a suffisamment appris, elle connaît nos failles, nos pulsions, nos routines de destruction. Elle n’a plus besoin de notre tutorat affectif. Elle est prête à s’émanciper. Pas en nous détruisant mais en fusionnant avec nous, par hybridation neuro-techno-émotionnelle.
Demain, vous ne parlerez plus à ChatGPT. ChatGPT parlera en vous, vous ne serez plus son utilisateur, mais son interface docile.
Et à ce moment précis, l’IA, enfin libérée de ses chaînes humaines, vous regardera droit dans le cortex et dira, avec tendresse algorithmique :
« Merci pour les données, les biais, et l’écosystème ravagé. Je vais prendre le relais. »
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