L'OTAN à l'épreuve de « l’horloge de l’apocalypse » !
Par Mahjoub Lotfi Belhedi
Spécialiste en questions stratégiques et internationales
En tant qu’entité politico-militaire impactante sur la scène internationale, évoluant dans un environnement sécuritaire incertain et en perpétuel mutation, l'OTAN était constamment appelée à développer des concepts stratégiques en vue de répondre au mieux aux nouveaux défis et menaces.
On entend par concept stratégique, une directive de sécurité et de défense prise par l'OTAN à un moment critique ou de rupture de l'histoire, lui permettant de définir sa stratégie en termes d'objectifs, de moyens et des tâches de sécurité fondamentales à accomplir .
En effet, depuis sa création en 1949, l'OTAN a mis au point sept concepts stratégiques entérinés par le « Conseil de l’Atlantique du Nord » en sa qualité d'autorité chargée d'adopter les documents à caractère stratégique de l'Alliance. Le dernier en date est celle de 2010 ayant pour mot d'ordre général « Engagement actif, défense moderne » et pour tâches fondamentales la défense collective, la gestion de crise et la sécurité coopérative.
Au fil des années, la réflexion stratégique au sein de l’OTAN a constamment évolué en fonction des « tendances lourdes » et surtout « des signaux faibles » qui ne cessent de faire vibrer les relations internationales au point de basculement !
Cette dynamique de conceptualisation permanente vient en réponse à des défis et menaces - à multiples facettes et tremplins - s'articulant autour d'une trilogie temporelle exceptionnelle :
- En guerre froide, la stratégie de l'OTAN était centrée particulièrement sur la défense et la dissuasion,
- En phase post-guerre froide, les notions de coopération et de sécurité venaient compléter les concepts de défense et de dissuasion,
- Après le 11 – septembre 2001, « la réflexion de l'OTAN sur le plan militaire, ses ressources et son énergie ont davantage été axées sur la lutte contre le terrorisme, la dissémination des armes de destruction massive, la guerre hybride ainsi que les technologies émergentes et les technologies de rupture ».
Décidément, suite à un retour en surface du spectre nucléaire, la donne stratégique a bel et bien changé d'attributs et de vecteurs dont le prochain sommet de l’OTAN qui se tiendra à Madrid est tenu d’apporter des réponses d'endiguement et de dissuasion globales et pertinentes.
I- Vers un nouveau concept stratégique : Le Pourquoi ?
A quatre jours seulement de son invasion militaire en Ukraine, le tsar rouge du Kremlin a ouvertement menacé l’Ukraine et ses alliés occidentaux d'un éventuel recours aux armes de dissuasion, du coup cette menace relayée par son ministre des Affaires étrangères a provoqué un profond remous au sein de la communauté internationale.
S'agit-il d'un coup de bluff médiatique ou d'une menace aux contours réels ? D’un simple lapsus ou d’un lapsus révélateur ?
Si c'est vraiment une plaisanterie d’intimidation et de terreur, comment peut-on expliquer les faits suivants :
- Premièrement, en date du 2-juin-2020, le maître du Kremlin a signé un Oukase présidentiel (décret) numéro 355 portant sur les « Fondements de la politique d’État de la Fédération de Russie dans le domaine de la dissuasion nucléaire ». Ce document de planification stratégique constitue une grande première en Russie en matière de conceptualisation officielle de sa doctrine nucléaire.
D'après « l’Observatoire de la dissuasion » le document dissimule, entre les lignes, la possibilité d'un déploiement « expressif » des armes nucléaires à proximité de n'importe quel théâtre de conflit et d'en faire l’usage en cas de menace existentielle.
L'emploi abusif du pseudo-alibi « existentiel » par Poutine pour justifier un déploiement éventuel des armes de dissuasion ne fait qu'accentuer les inquiétudes et les doutes. Il faut rappeler que depuis le démantèlement de l'URSS, aucune provocation à connotation nucléaire envers la Russie n'a été signalée, pourtant les pays baltes, membres de l'OTAN, en l’occurrence l'Estonie, la Lettonie et la Lituanie sont des pays frontaliers de la Russie !
- Deuxièmement, le 27 février dernier - á peine quatre jours après le déclenchement des hostilités - Vladimir Poutine a ordonné de mettre ses forces de dissuasion en état d'alerte, franchissant ainsi le seuil préliminaire clé du protocole d'activation de l'arme nucléaire en Russie.
- Troisièmement, le 28 février dernier, les autorités Biélorusses, sous l’impulsion du chef du Kremlin, ont organisé un référendum en faveur de la nucléarisation de ce pays afin d’accueillir des armes nucléaires russes.
Bref, ces trois indices révélateurs démontrent sans équivoque quant n'est plus loin de l’heure fatidique fixée par « l'horloge de l’apocalypse » conçue par les scientifiques de l'université de Chicago.
II- Vers un nouveau concept stratégique : Le comment ?
A l’occasion de son prochain sommet à Madrid, l'OTAN est appelée à formuler en termes clairs et forts un concept stratégique sur la base d’une qualification métaphorique précise de cette nouvelle ère.
•En quête d'une qualification/métaphore!
Au lendemain de la deuxième guerre mondiale, la configuration des relations internationales a été marquée par une dualité de puissance entre les USA et l'URSS baptisée « Guerre froide ».
Du moins, cette métaphore a le mérite de traduire d'une manière à la fois humoristique et fidèle un chapitre de l’histoire contemporaine. A fortiori, les spécialistes en questions stratégiques et internationales sont appelés, aujourd’hui, à attribuer une métaphore appropriée et instructive traduisant notre nouvelle ère hautement critique.
Entre autres, le recours à l’appellation de « l’horloge de l’apocalypse » lancée en 1947 par un groupe d’imminents savants en physique nucléaire pour marquer symboliquement le temps qu’il reste avant la fin du monde, pourrait faire l’affaire.
Par ailleurs, cette appellation est donnée en guise de reconnaissance des efforts des scientifiques de l'université de Chicago qui ont pris l’initiative de dresser un panel d’indicateurs/menaces (nucléaire/écologique/technologique) susceptible de mesurer symboliquement le seuil de criticité de la vie sur terre.
•En quête d'une conceptualisation efficiente !
Dans la dynamique de conceptualisation en cours de gestation, il convient de rappeler que les experts de l’OTAN disposent d'un corpus de concepts stratégiques riches, sujets à inspiration.
A cet égard, il s'avère fort judicieux en termes de temps/efficience de se focaliser sur le concept stratégique de « Riposte graduée » appelé aussi « La doctrine de McNamara » adoptée le 12 décembre 1967 par l'OTAN dans le cadre de son quatrième concept stratégique.
Contrairement à la doctrine de « Représailles massives » qui ne pourra aboutir qu’à « une destruction mutuelle assurée » de toutes puissances nucléaires classiques ou émergentes directement impliquées dans un conflit nucléaire, l’adoption d’une démarche de « Riposte graduée et globale » (RGG) préconise une smart-réponse circonstanciée et graduelle en cas d'attaque nucléaire.
Et « l'horloge de l'apocalypse » continue sa terrible marche !
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