Tunisie: De Bourguiba à Saïed : à chacun sa fête, à chacun son symbole

Tunisie: De Bourguiba à Saïed : à chacun sa fête, à chacun son symbole

Mercredi 17 décembre est déclaré jour férié, chômé et payé. Voulue et décidée par le président Kaïs Saïed, cette date marque le déclenchement du soulèvement populaire le 17 décembre 2010 à Sidi Bouzid, événement fondateur qui a conduit, quelques semaines plus tard, à la chute du régime du président Zine El-Abidine Ben Ali, après plus de 23 ans au pouvoir.
Elle remplace le 14 janvier, considéré par le chef de l’État comme un « détournement de la révolution ».

Ce changement n’est pas anodin. Il s’inscrit dans une longue tradition tunisienne où le calendrier des fêtes nationales évolue au gré des régimes politiques, devenant un instrument de lecture — et parfois de réécriture — de l’histoire nationale.

En Tunisie, les fêtes nationales ne se limitent pas aux dates immuables telles que la Fête de l’Indépendance, la Fête de la République ou la Fête de l’Évacuation. À côté de ces repères consensuels, d’autres dates ont été créées, supprimées ou réinterprétées selon la vision du pouvoir en place et la légitimité qu’il entendait mettre en avant.

Sous la présidence de Habib Bourguiba, le 1er juin fut institué Fête nationale de la Victoire, en commémoration de son retour d’exil en 1955. Cette date, étroitement liée à la personne du leader, fut associée à la Fête de la Jeunesse, célébrée le 2 juin, consacrant une lecture personnalisée de l’histoire de l’indépendance et de la construction de l’État.

Avec l’arrivée au pouvoir de Zine El-Abidine Ben Ali, cette symbolique fut profondément remaniée. La Fête de la Victoire fut supprimée et remplacée par le 7 novembre, érigé en fête nationale annuelle célébrant son accession au pouvoir. La Fête de la Jeunesse fut, quant à elle, fusionnée avec la Fête de l’Indépendance, fixée au 21 mars, dans une tentative d’inscrire le régime dans une continuité historique et générationnelle.

Après la chute du régime de Ben Ali en 2011, ces choix furent à leur tour remis en question. Sous les présidences de Fouad Mebazaa puis de Béji Caïd Essebsi, le 14 janvier fut consacré Fête de la Révolution et de la Jeunesse.

Ce consensus n’a toutefois pas survécu à l’arrivée de Kaïs Saïed à la présidence. Considérant que le 14 janvier symbolise une confiscation du processus révolutionnaire, le chef de l’État a choisi de réhabiliter le 17 décembre, date qu’il estime plus fidèle à l’esprit originel de la révolte populaire, enracinée dans les revendications sociales et la marginalisation des régions de l’intérieur.

Ainsi, le calendrier des fêtes nationales tunisiennes apparaît comme un baromètre politique, révélateur des ruptures, des continuités et des conflits de mémoire. Plus que de simples jours chômés, ces dates traduisent la manière dont chaque pouvoir entend définir la révolution, l’histoire et la légitimité, rappelant que, en Tunisie, la mémoire nationale demeure un enjeu éminemment politique.

B.O

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