Tunisie: Gare au déficit

A l'image de nombreux pays dans la région, la Tunisie a vu sa balance commerciale prendre un mauvais départ cette année

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Si les exportations textiles et agricoles affichent une croissance soutenue, elles ne parviennent pas à conjurer l'augmentation du coût des intrants et du renchérissement des prix à l'importation des produits alimentaires.

La Tunisie accuse une détérioration de sa balance commerciale. Selon les données publiées par l'institut national des statistiques, le déficit de la balance commerciale s'est creusé de 31% au terme des trois premiers mois de l'année 2008. Les exportations ont pour leur part progressé de 23%.

Cette détérioration est principalement due à la forte augmentation de la facture pétrolière sous l'effet de la hausse des cours des matières premières. Les prévisions gouvernementales initiales, qui tablaient sur un prix moyen du baril de 75$ pour l'année 2008, ont déjà été largement dépassées à raison de 99,84 dollars selon le prix de référence du pétrole brut West Texas Intermediate (WTI).

La Tunisie doit également faire face au phénomène à double tranchant de l'euro fort. La plupart de ses exportations sont à destination des marchés de la zone euro mais la Tunisie importe également un certain nombre de produits référencés en euros, notamment des produits alimentaires.

Depuis juin dernier, le dinar a chuté de près de 5% face à l'euro, renforçant ainsi les pressions inflationnistes qui ont vu l'Indice des prix à la consommation (IPC) bondir à 5,9% en Mars (+0,2% en février).

La baisse du pouvoir d'achat est à l'origine d'une vague de protestations dans la ville de Redeyef, où plus de 20 manifestants auraient été arrêtés lors d'affrontements avec les forces de l'ordre, selon plusieurs agences d'informations.

Si les produits alimentaires nourrissent encore l'inflation (+8,5% en mars), il apparaît que la poussée inflationniste des prix alimentaires est en baisse (le chiffre était de 8,6% en février).

Par contre, on constate une hausse du coûts des transports de près de 2% sur la même période pour s'établir à 6,4%. Les données indiquent que le pétrole est appelé à devenir la première cause de l'inflation dans l'économie.

Dans l'optique d'une sécurisation de ses approvisionnements énergétiques, le gouvernement a récemment séléctionné le promoteur qui sera chargé de la construction de la nouvelle raffinerie sur le site côtier de Skhira. La raffinerie, dont la capacité de production journalière est projetée à 130 000 barils moyennant un investissement estimé entre 1,5 milliards de dollars et 2 milliards de dollars, sera réalisée par Qatar Petroleum et Petrofac sous le régime BOO (Build Operate Own).

Le projet n'en est qu'à ses débuts, même si, selon certains rapports publiés l'année dernière, les travaux de construction devraient démarrer courant 2008.

Il est question d'une nouvelle raffinerie depuis plusieurs années déjà pour pouvoir compléter (voire remplacer) l'unique raffinerie de Bizerte. Construite en 1962, cette dernière a une capacité de production journalière d'environ 34 000 barils alors que la production pétrolière nationale est estimée autour de 90 000 barils.

La station de Bizerte ne permet pas de raffiner l'ensemble de la production pétrolière nationale, ce qui oblige le pays à exporter plus de 95% du pétrole brut produit pour combler leurs besoins en matière de raffinage.

La marge de raffinage étant comprise entre 3 et 8%, la solution la plus économiquement viable pour la Tunisie serait de ramener le traitement pétrolier sur le territoire national.

Ainsi, la réduction des importations de produits pétroliers raffinés permettra de contenir la poussée inflationniste qu'exercent les cours énergétiques sur l'économie tunisienne, surtout si le pétrole brut poursuit son envolée.

En ce qui concerne la question de la sécurité alimentaire, la Tunisie est dans une position délicate. Les importations de produits alimentaires progressent constamment à la fois en termes de quantité et de valeur depuis les années 1970 (date avant laquelle le pays était largement auto suffisant).

Par ailleurs, l'entrée de la Tunisie dans la zone de libre-échange avec l'Union européenne n'est pas sans conséquences sur l'auto suffisance du pays en céréales.

En effet, l'ouverture au marché européen céréalier, moins cher et subventionné, est amenée à émousser la compétitivité du marché tunisien et à encourager la diversification au profit de nouvelles cultures.

Dans un contexte de marché libre, la mise en oeuvre d'une politique agricole de soutien à l'exportation apparaît souhaitable en vue de consolider la croissance, selon le principe des avantages comparatifs.

Néanmoins, la situation économique actuelle incite des pays exportateurs comme l'Amérique du Sud à devenir de plus en plus protectionnistes. Conjuguée à l'augmentation de la production d'éthanol à partir des céréales, la conjoncture est plutôt morose.

Au final, on constate une hausse des prix des céréales et des produits de première nécessité, à l'instar du riz qui affiche une hausse de 75% en deux mois. Cette escalade des prix est à l'origine d'une vague d'émeutes dans plusieurs pays émergents, en Afrique et en Asie. Robert Zoellick, le président de la Banque mondiale, a récemment déclaré que le renchérissement des produits alimentaires pourrait pousser plus profondément dans la misère 100 millions d'individus vivant dans les pays pauvres.

Dans ce contexte, le gouvernement tunisien pourrait juger optimal de sécuriser sa souveraineté alimentaire en vue de préserver le pouvoir d'achat de la population et de contenir le déficit commercial.

Oxford Business Group